Palestine
La Palestine et les acteurs régionaux :
qui a perdu la boussole ?
Fadwa Nassar
Dimanche 21 septembre 2014
Depuis la récente agression sioniste
contre la bande de Gaza, les questions
et les commentaires relatifs à la
position des différents acteurs
régionaux se précipitent : qui a soutenu
la résistance palestinienne et qui a
soutenu l’agresseur colonial ? Pourquoi
les peuples arabes et leurs directions
politiques, nationalistes ou islamistes,
n’ont pas envahi les rues de leurs
capitales pour modifier la position de
leurs gouvernements qui, pour le moins
qu’on puisse dire, n’ont pas apporté
l’aide nécessaire à la résistance ? Il
va sans dire, par ailleurs, que la
résistance héroïque du peuple
palestinien à Gaza aurait pu remporter
une victoire plus fracassante si les
différents acteurs régionaux, peuples et
gouvernements, n’avaient pas failli à
leur devoir. C’est le sens des
différentes déclarations des dirigeants
de la résistance palestinienne qui ont
tenu à souligner que, dans le contexte
régional et mondial actuel, la
résistance a cependant remporté la
victoire sur l’ennemi au cours de cette
agression qui a duré 51 jours.
Dès le début de l’agression, les
sionistes avaient déclaré que des Etats
régionaux les appuyaient, comme ce fut
le cas en 2006, lors de l’agression
sioniste contre la résistance du
Hezbollah au Liban, et même plus. Ces
Etats ont espéré, une fois encore, que
l’esprit même de la résistance soit
éradiqué du champ politique arabe, et
notamment palestinien, et que la bande
de Gaza soit finalement soumise au
diktat sioniste et américain, avec la
bénédiction européenne et
internationale. Mais, pour ces Etats, la
résistance palestinienne ne représente
qu’une partie de l’ennemi à abattre,
l’autre partie étant l’Iran et le
Hezbollah, deux acteurs refusant
toujours de reconnaître la légalité de
la présence coloniale sioniste en
Palestine, malgré toutes les pressions,
internes, régionales et mondiales
exercées sur eux, notamment depuis 2006.
Ces deux acteurs ont réussi, avec la
Syrie d’avant 2011, à aider la
résistance militaire palestinienne en
armant et en formant les combattants à
l’utilisation de différents armements
dans les bases en Iran et en Syrie, et
en assurant leur acheminement vers la
Palestine. Ce rôle assumé par ces
acteurs régionaux fut une des causes de
la guerre mondiale déclarée contre eux,
masquée par « le nucléaire iranien »,
« le croissant shi’ite », « le régime
corrompu » etc…
Les révoltes arabes, suivies par la
montée au pouvoir des Frères Musulmans
dans plus d’un pays, ont profondément
modifié la situation, malgré leur
échec : coup d’Etat « populaire » en
Egypte, retrait du gouvernement en
Tunisie, guerre civile et internationale
en Lybie et au Yémen. Soutenus par le
Qatar et la Turquie, les nouveaux
pouvoirs, quand ils furent plus ou moins
stabilisés, ont plié sous les pressions
américaines et européennes et craint
d’affronter l’entité sioniste : l’Egypte
de Morsi a maintenu les accords de Camp
David et tous les accords néfastes à la
souveraineté du pays, comme les accords
conclus sous Moubarak relatifs aux
« Zones Industrielles » communes avec
l’entité sioniste, pendant que les
Frères Musulmans de Tunisie
tergiversaient quant à la
criminalisation de la normalisation avec
l’occupant, pourtant incluse dans leur
programme et réclamée par de larges
couches de la population tunisienne.
Faut-il expliquer ces attitudes par le
rapport de forces sur la scène
internationale (thèse développée par le
penseur arabe Mounir Shafiq qui
considère qu’une révolution ne peut
réussir que lorsqu’elle parvient à
profiter d’un déséquilibre dans le
rapport de forces international), ou par
la nature du pouvoir et de l’idéologie
des groupes issus des révoltes arabes ?
Quoiqu’il en soit, malgré l’adhésion des
Frères Musulmans à l’idée de la
libération de la Palestine, leur
pratique fut très en-deçà de ce qui
était attendu de pouvoirs se réclamant
des peuples. Le rôle joué par la
Turquie, qui a des relations développées
avec l’entité sioniste et l’OTAN (malgré
quelques changements survenus depuis
quelques années) et par le Qatar (qui a
normalisé ses relations avec l’occupant
sous diverses formes et qui abrite une
base militaire américaine), qui
soutiennent et ont soutenu le pouvoir
des Frères Musulmans, ne contribue
certainement pas à faire le saut
nécessaire pour se rallier au camp de la
résistance.
Car ouvrir à Hamas les portes des
Etats-Unis et des pays européens en
contrepartie de l’abandon de son
objectif stratégique n’est pas soutenir
la résistance, ou bien agiter une
proposition d’accord pour un
cessez-le-feu sous la garantie
américaine et européenne (d’ailleurs
immédiatement rejeté par Mohammad Dayf,
dirigeant des Brigades d’al-Qassam) pour
contrer toute garantie de l’Egypte de
Sissi, signifie tout simplement creuser
les alignements déjà présents entre deux
axes : l’Arabie Saoudite, les Emirats et
l’Egypte, d’une part et le Qatar et la
Turquie d’autre part, pour ne citer que
les principaux acteurs. Si l’un des axes
a été franchement hostile à la
résistance, l’autre axe a soutenu une
partie de la résistance dans le but de
la faire plier vers un règlement
« juste » parrainé par les Etats-Unis et
l’Union européenne. Ces alignements ont
certainement nui à la résistance
palestinienne dans son ensemble et sont
loin de lui assurer une couverture
arabo-islamique, nécessaire pour toute
victoire aussi bien politique que
militaire.
Il est certainement vrai que le pouvoir
égyptien actuel n’est pas l’allié de la
résistance, mais il reste un acteur clé
nécessaire à la Palestine, sur les plans
stratégique et géographique, tout comme
l’est le pouvoir jordanien, qui affiche
d’ailleurs une hostilité encore plus
grande à toute idée de résistance : des
formations palestiniennes y sont
interdites même de passage, comme c’est
le cas pour tout membre du Mouvement du
Jihad islamique (Parmi les dirigeants
des formations palestiniennes, seul Abu
‘Imad Rifaï a été interdit, par deux
fois, de se rendre en Jordanie pour
assister à une réunion dans le cadre de
la reconstruction de l’OLP).
La Palestine est-elle la boussole des
formations politiques arabo-musulmanes ?
Il peut être injuste de poser la
question, mais les pratiques des uns et
des autres soulèvent de nombreuses
questions. Si les partis nationalistes
arabes n’ont jamais nié leur adhésion à
la volonté de libérer la Palestine,
toute entière, « du fleuve à la mer »,
seuls certains d’entre eux ont poursuivi
dans la pratique leur militantisme en sa
faveur.
Mais pour certains mouvements et partis
islamistes, l’intérêt pour la Palestine
ne s’est manifesté qu’avec la naissance
du Hamas ou même la victoire du Hamas
aux élections législatives de l’Autorité
palestinienne en 2006, y compris au sein
de certaines formations des Frères
Musulmans, considérant que le Hamas est
leur branche en Palestine. Selon cette
vision, le conflit avec l’entité
sioniste serait comparable, plus ou
moins, avec tout conflit existant contre
un régime arabe, quel qu’il soit. La
Palestine occupée et arrachée à la
nation, ne serait pas la boussole de
leur lutte, puisque l’entité coloniale
est jugée de la même manière que les
régimes répressifs et non comme une
entité coloniale de peuplement qu’il
faudrait extirper de la région, ce qui
d’ailleurs fait croire à certains que
les récentes agressions sionistes sont
uniquement dirigées contre le Hamas, et
que le conflit entre ce dernier et
l’Autorité palestinienne dirigée par
Mahmoud Abbas serait de même nature.
D’où l’importance de la position de la
république islamique d’Iran, depuis que
son fondateur et regretté père
spirituel, l’Imam Khomeyni, a déclaré la
Palestine et al-Quds la boussole des
peuples musulmans, ce qui signifie que
les conflits entre les musulmans peuvent
être réglés par des accords et des
ententes, mais non pas celui qui existe
entre les peuples musulmans et l’entité
sioniste. Cette attitude est non
seulement « religieuse » dans le sens
étroit du terme (lutte contre « al-istikbar »),
mais civilisationnelle, historique,
géographique et géostratégique. L’entité
sioniste est le « mal absolu » et les
Etats-Unis, « le grand Satan ». Au-delà
des slogans qui font rire certains,
l’imam Khomeyni a tracé la position de
la nation contre l’ennemi sioniste et
son protecteur, l’impérialisme
américain. Ni les Etats-Unis, ni
l’Europe, ni l’ONU ne peuvent aider à
« régler le conflit », au contraire.
Concernant la Palestine, l’Iran ne
négocie pas et refuse de le faire dans
le cadre des négociations sur le
nucléaire, ce qui a fait dire à certains
que l’Iran ne se préoccupe pas de la
Palestine, souhaitant le voir participer
au règlement du conflit, en tant que
puissance régionale(!).
Parce que la libération de la Palestine
est le devoir de tous les peuples
arabo-musulmans, et que leur unité est
nécessaire pour ce but, ils doivent
rejeter toutes les tentatives impérialo-sionistes
de leur désigner comme ennemis des
acteurs régionaux connus pour leur
antisionisme profond et radical et qui
ont fait leur preuve en combattant les
sionistes, en remportant des victoires
contre eux et en soutenant la résistance
palestinienne jusqu’à présent, dans les
actes et non dans les discours, et qui
refusent de normaliser toute relation
avec l’ennemi. Comme ils doivent par
contre se tourner contre toutes les
tentatives de normalisation des
relations avec l’occupant sioniste, dans
les domaines les plus divers,
normalisation qui menace déjà le tissu
social et politique de nombreuses
sociétés, par le biais des relations
entretenues avec des structures
européennes ou américaines.
La mobilisation populaire
arabo-musulmane pour la libération de la
Palestine exige de nombreux sacrifices
comme elle réclame un approfondissement
de la réflexion et de l’étude, pour
essayer de comprendre justement comment
le sionisme et ses alliés impérialistes,
Etats-Unis, Union européenne et autres,
tentent non seulement de nous diviser et
de créer des entités territoriales
servant leurs intérêts, mais nous
empêchent de concevoir la Palestine
faisant partie de notre nation
arabo-musulmane, toute la Palestine, du
fleuve Al-Urdun à la Mediterranée, et
qu’il est de notre devoir de la libérer.
Le sommaire de Fadwa Nassar
Les dernières mises à jour
|