Opinion
Agnès Saal :
La république des copains coquins
Éric Verhaeghe
Photo:
D.R.
Samedi 23 mai 2015
Agnès Saal, qui a quitté l’INA après
l’affaire des 40.000 euros de taxi
qu’elle a reconnus, vient de bénéficier
d’une ex-filtration d’urgence derrière
les lignes ennemies. Elle sera
désormais chargée de mission sur les
questions de gestion prévisionnelle des
emplois et des compétences auprès du
secrétaire général du ministère, dit-on.
Les petits marquis ont encore frappé:
ils trouvent toujours une porte de
sortie pour sauver l’un des leurs.
Les déclarations
bidon de Fleur Pellerin sur le sujet
A propos de cette mesure, Fleur
Pellerin a fait une
déclaration bidon:
Il s’agit d’une réintégration
automatique, conformément aux
statuts de la fonction publique…
C’est évidemment tout ce qui lui a de
plus faux! Face à ce qui apparaît (si
cela est confirmé bien entendu, mais
Agnès Saal n’a pas démenti les faits…)
comme un détournement de bien au sens de
l’article
432-15 ou 432-16 du Code Pénal, la
ministre avait tout à fait la faculté de
prendre la mesure habituelle dans ce
cas: la suspension immédiate de la
personne (qui garantit le versement du
salaire, sans les primes) le temps
qu’une enquête soit menée en vue d’un
éventuel déféré devant le Parquet.
Un douanier surpris à écouler une
marchandise saisie pour un montant de
40.000 euros, un cuisinier qui
organiserait du coulage à cette hauteur,
feraient l’objet de ce traitement. Dans
mes premières années de fonctionnaire,
je me souviens avoir pris une mesure de
ce type pour un détournement de… 2.500
euros. La fonctionnaire incriminée fut à
l’époque révoquée de la fonction
publique. Je me souviens (lorsque
j’organisais des conseils de discipline)
avoir vu une fonctionnaire révoquée pour
avoir dérobé le temps d’un week-end une
somme de 1.000 euros qu’elle a remise
dans la caisse le lundi matin. Par peur
d’être expulsée de son logement, elle
avait cédé à la tentation pour pouvoir
payer son loyer.
Pourquoi un « petit fonctionnaire »
se retrouve-t-il au chômage pour des
détournements mineurs quand une haute
fonctionnaire, qui devrait donner
l’exemple, bénéficie d’une mesure de
protection pour des sommes équivalentes
à 4 années de SMIC?
En tout cas, ce deux poids deux
mesures n’a rien à voir avec le droit de
la fonction publique, et la ministre de
la Culture ment éhontément lorsqu’elle
le prétend. Rappelons que le statut de
la fonction publique existe pour
protéger les fonctionnaires contre la
pression des politiques. Pas pour
permettre aux politiques de les protéger
contre l’application des lois de la
République…
Petits marquis de
gauche et République des copains coquins
Fleur Pellerin serait mieux inspirée
de dire la vérité: oui, les petits
marquis de la République des copains
coquins ont encore frappé.
Exceptionnellement, je vais ici
mobiliser (sans grande peine) quelques
souvenirs du gestionnaire de personnel
que je fus dans le service public, pour
décrire à quoi a dû ressembler le
reclassement d’Agnès Saal dans les
services du ministère.
Lorsqu’Agnès Saal a appelé sa
ministre pour lui annoncer qu’elle
allait démissionner, il est plausible
qu’elle ait obtenu la promesse à ce
moment-là d’une évacuation sanitaire
dans des conditions acceptables: pas de
poursuite disciplinaire, on fait le dos
rond quelques jours et on étouffe
l’affaire. Pas la peine de soulever le
tapis pour trouver d’autres petits tas
de poussière qui auraient échappé au
public. En contrepartie, on trouve une
solution de reclassement à
l’administration centrale.
Le directeur de cabinet de Fleur
Pellerin a dû faire passer l’instruction
au secrétaire général: il faut sauver le
soldat Saal, sans éclat, mais sans
faillir! De là a dû venir l’idée de ce
poste fourre-tout et bidon, que tous les
gestionnaires de personnel ont pratiqué
lorsqu’il s’est agi de recaser un
protégé du pouvoir en déshérence: chargé
de mission à la gestion prévisionnelle
des emplois et des compétences… Tout le
monde le sait, c’est le genre de job à
quart temps qui ne sert à rien, sauf à
produire des notes bavardes que personne
ne lit, et qui est très proche de
l’emploi fictif.
Disons même que le secrétaire général
du ministère de la Culture a fait ici le
minimum syndical en matière de recasage.
On aurait pu imaginer une mission
temporaire sur un sujet d’actualité au
ministère, même d’actualité obscure. En
vrac: l’avenir de la filière archéologie
préventive, la politique de la lecture
face au numérique, le dialogue de
gestion face aux mutations budgétaires,
les effets de la réforme territoriale
sur la politique culturelle, que sais-je
moi? On aurait pu maquiller la
forfaiture de façon plus inventive.
Mais, visiblement, ce n’était pas le
propos…
Et Manuel Valls qui
dénonçait la diminution du budget de la
Culture
Cette affaire tombe bien mal pour
Manuel Valls qui déplorait, à Cannes, la
diminution du budget de la Culture
depuis 3 ans. Preuve est faite que
l’administration centrale de la Culture
(systématiquement protégée par la
cataclysmique Aurélie Filipetti, qui a
fait payer le prix des baisses de budget
aux établissements de terrain, en
protégeant jalousement les petits
marquis de la rue de Valois) est aussi
faite d’inutiles qui coûtent cher aux
contribuables. Tailler dans ce budget
des copains coquins n’a rien de
choquant. C’est même de salubrité
publique!
Mais jusqu’à quand le contribuable
devra-t-il se saigner aux quatre veines
pour alimenter cette farce
administrative quotidienne où défense du
service public rime avec défense des
privilèges et impunité accordée aux
petits marquis?
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