L'Humanité
Elsa Lefort apostrophe les journalistes
Elsa Lefort
Photo:
D.R.
Vendredi 22 janvier 2016
Depuis quelques jours, l’épisode de
mon expulsion d’Israël est médiatisé.
J’ai pu lire de nombreux articles à ce
sujet, contenant des informations plus
ou moins exactes. Je m’étonne toutefois
que la grande majorité des journalistes
n’ait pas crû bon contacter la
principale intéressée afin de croiser
leurs sources, règle éthique
primordiale, me semble-t-il, en
journalisme. En effet, je n’ai été
contactée que par une minorité d’entre
eux.
Le journaliste de l’AFP, dont la
dépêche est, comme souvent, reprise par
de nombreux médias, n’a pas fait cet
effort, se contentant de citer le texte
de la pétition réalisée en ma faveur
mais laissant tout loisir au
porte-parole du Ministère des Affaires
étrangères israélien de s’exprimer, ne
m’offrant ainsi aucun droit de réponse
et allant même jusqu’à prendre pour
vérité absolue les affirmations
mensongères de ce dernier !
Si l’AFP et d’autres journalistes
m’avaient contactée, j’aurais pu leur
parler de mes deux jours et deux nuits
en détention dans des conditions plus
que précaires dont ils n’ont pas fait
mention dans leurs articles. J’aurais pu
également leur décrire la procédure qui
permet d’obtenir un « visa de service ».
La demande est faite par l’employeur
directement auprès du MAE israélien, et
c’est ce même employeur qui récupère le
visa une fois accordé. A aucun moment je
n’ai donc menti au Ministère des
Affaires étrangères israélien puisqu’à
aucun moment je n’ai été en contact avec
lui.
Cette demande de « visa de service »
a donc été faite par le Consulat général
de France à Jérusalem directement auprès
du Ministère des affaires étrangères
israélien qui l’a accordé en octobre
2015, ce visa étant valable un an. Le
Consulat français étant bien évidemment
au courant des difficultés
administratives que je rencontrais
depuis plus d’un an m’empêchant de
circuler librement ; il était au courant
du rejet de ma demande de « visa
épouse » mais également de l’appel que
j’avais déposé contre cette décision,
comme le prévoit la loi israélienne. Cet
appel étant suspensif, j’étais tout à
fait en règle au regard des autorités et
des lois israéliennes depuis octobre
2015 et donc en janvier 2016, à la date
de mon expulsion.
Les autorités israéliennes qui m’ont
délivré mon « visa de service » en
octobre 2015 ne pouvaient pas ignorer
mon statut marital, puisque toutes les
démarches ont été faites de façon
correcte, avec le même passeport qui est
utilisé lors de mes démarches de demande
de visa d’épouse.
Par ailleurs, les accusations de
« dangerosité » et même de
« terrorisme » qui me sont imputées sont
tout bonnement diffamatoires et
quiconque lit le jugement du tribunal
ayant rejeté mes appels lors de ma
détention, comprend aisément que le
dossier est totalement vide. Mais là
encore, il eût fallu que les
journalistes se renseignent et se
plongent dans une lecture approfondie de
ce jugement.
Comment la titulaire d’un visa
délivré en octobre 2015 par les
autorités israéliennes qui disposent
d’un des meilleurs services de
renseignements au monde, se révèle être
une « dangereuse terroriste » quelques
mois plus tard ?
Le lieu de naissance de notre enfant
n’est pas anodin, compte tenu du statut
très spécifique des Palestiniens de
Jérusalem-Est, statut que possède Salah,
mon époux. Si notre enfant ne peut pas
naître comme prévu à Jérusalem, il
n’aura pas le même statut que son père
et pourra à son tour, être empêché
d’entrer dans son pays. Il pourra même
être placé en détention en attendant son
expulsion puisqu’une cellule dite
« familiale » existe dans ce centre de
détention…
Chaque année, des centaines de
familles, dont l’un des parents est
Jérusalémite, se voient ainsi séparées.
Une fois encore, il est possible aux
journalistes de se renseigner sur le
sujet en consultant
le rapport sur l’impact des politiques
israéliennes sur les enfants
Jérusalémites, réalisé par l’ONG Society
of Saint Yves
Bien entendu, et comme le sérieux
journal l’Humanité l’a précisé,
ma détention-expulsion ne découle pas
d’un banal différend administratif mais
bel et bien d’un choix politique
délibéré ayant pour but de m’éloigner de
Jérusalem et de mon époux, au moment
même où n’importe quel couple
souffrirait d’un tel éloignement
forcé aux derniers mois d’une grossesse
et juste avant la naissance d’un premier
enfant.
© Journal
l'Humanité
Publié le 22 janvier 2016 avec l'aimable
autorisation de
l'Humanité.
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