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Enterrement de la hache de guerre :
les Arabes vont reconnaître Assad et
l’investissement arabe favorisera la
reconstruction de la Syrie
Elijah J. Magnier
Vendredi 21 décembre 2018
Le président du Soudan Omar el-Béchir a
effectué une visite historique en Syrie,
la première d’un dirigeant arabe depuis
le début de la guerre imposée à la Syrie
en 2011. El-Béchir a atterri à
l’aéroport de Damas à bord d’un avion
russe, ce qui donne un aperçu des
efforts de Moscou pour ramener la Syrie
dans la communauté arabe et
internationale. Pendant les sept années
de guerre, le Soudan n’a jamais fermé
son ambassade à Damas.
El-Béchir n’a pas voyagé seul. Le Soudan
ne ferait pas un si grand pas en avant
sans le soutien de ses alliés. Le
président soudanais est un proche
partenaire de l’Arabie saoudite et des
Émirats dans leur guerre destructrice au
Yémen. L’objet de sa visite était de
déblayer le chemin de Damas pour
d’autres dirigeants arabes, qui
devraient présenter leurs hommages au
président Bachar al-Assad en 2019. Leur
objectif est d’écarter du coude la
République islamique d’Iran, seul pays
omniprésent sur la scène damascène.
Ce n’est pas la
première prise de contact entre des pays
arabes et la Syrie depuis 2011. L’Égypte
a maintenu des relations étroites avec
la Syrie sur le plan diplomatique,
politique et sécuritaire tout au long
des années de guerre. Le Bahreïn, les
Émirats, Oman, le Liban et la Jordanie
sont aujourd’hui présents en Syrie. Du
côté des pays occidentaux, l’Italie se
prépare à rouvrir son ambassade, tandis
que l’Allemagne et la France n’étaient
pas totalement absentes ces dernières
années.
L’arrivée
d’el-Béchir à bord d’un avion russe
témoigne de la détermination du
président Vladimir Poutine de tisser un
réseau de relations entre le
Moyen-Orient, l’Occident et la Syrie.
Poutine veut que la Syrie reprenne ses
relations diplomatiques avec les pays
arabes et les autres pays. La Russie et
la Syrie ont rejeté les conditions que
les USA cherchent à imposer pour la
reconstruction du pays et souhaitent que
leurs forces indésirables quittent le
Levant.
El-Béchir est allé
en Syrie au moment où les pays du
Moyen-Orient admettent l’échec de leur
plan qui visait non pas à établir un
nouveau régime, mais bien à créer un
État en déliquescence au Levant. Leur
soutien illimité aux groupes takfiris (c.‑à‑d.
le groupe armé « État islamique » ou
Daech et Al-Qaeda) poussait la Syrie
vers un chaos total, qui menaçait tous
les pays voisins à l’exception d’Israël.
Tel-Aviv a accueilli les deux groupes
religieux extrémistes, les a adoptés et
a soutenu leur présence à sa frontière
pendant toutes les années de guerre en
Syrie.
Après tant d’années
de guerre, le président syrien est
aujourd’hui plus rigide dans son
approche envers Israël, sans avoir
nécessairement l’intention de lancer une
attaque pour reprendre le territoire
syrien occupé par Israël sur les
hauteurs du Golan. Assad se réjouit de
voir qu’une résistance syrienne,
similaire à celle du Hezbollah iranien,
prend forme le long de la frontière et
ailleurs au pays.
Assad n’a pas
changé sa position à l’égard de l’Iran.
Bien au contraire, les années de guerre
lui ont enseigné à se fier seulement à
ceux qui, comme l’Iran, ont offert des
milliards de dollars pour soutenir
l’économie syrienne et livré des tonnes
d’armes et des milliers d’hommes pour
protéger l’intégrité territoriale de la
Syrie.
Le président syrien
n’a jamais étalé son soutien au
Hezbollah. De 1982 jusqu’à maintenant,
le groupe libanais a reçu des armes et
un soutien financier qui passaient par
la Syrie. Mais aujourd’hui, le lien est
plus fort que jamais, d’autant plus que
des centaines de membres du Hezbollah
ont été tués sur le champ de bataille et
que des milliers d’autres ont été
blessés pour assurer l’unité du Levant.
Puis oui, la
position d’Assad envers le Hamas a
effectivement changé. Il rejette toute
médiation du secrétaire général du
Hezbollah Sayyed Hassan Nasrallah et de
l’Iran pour ramener le Hamas dans
« l’Axe de la résistance ». Assad juge
que le moment n’est pas venu de se
réconcilier avec le groupe palestinien,
dont des centaines de membres ont
combattu dans les rangs de Daech et
d’Al-Qaeda et ont été responsables de la
mort de Syriens.
Le président syrien
est resté ferme tout au long de la
guerre, même lorsque Daech (appelé front
al-Nosra en 2013 avant que Joulani, son
dirigeant, prête allégeance à Ayman
Zawahiri) est parvenu à la place des
Abyssins à Damas, en menaçant le
gouvernement et la présidence. L’Arabie
saoudite et les USA ont alors offert à
Assad de le reconnaître comme président
légitime de la Syrie s’il abandonnait le
Hezbollah, l’Iran et le Hamas. Bien au
fait de la fourberie de ses
interlocuteurs, Assad a refusé et s’est
tourné plutôt vers ses partenaires
dignes de confiance (le Hezbollah et
l’Iran) pour l’aider à gagner la guerre
imposée sur son pays.
La visite
d’El-Béchir exprime la volonté de ses
commanditaires de reconnaître la
victoire d’Assad et sa direction du pays
par crainte de le laisser entre les
mains de la Russie et de l’Iran, qui
recueillent les fruits de leur victoire
en Syrie.
Le jeune Bachar
devenu président à 35 ans en a
aujourd’hui 53 et a acquis une
expérience politique et une expérience
de la guerre sans équivalent. Assad est
pragmatique et nullement idéologue. Il
ne verra pas d’inconvénient à transiger
avec le Qatar, l’Arabie saoudite et les
USA, qui ont pourtant été les fers de
lance de la guerre contre la Syrie qui a
causé sa destruction. Plus encore, Assad
est prêt à accueillir ces pays et à les
inviter à prendre part à la
reconstruction malgré l’absence de
confiance. C’est ce qu’on appelle l’art
de l’impossible.
La reconnaissance
d’Assad comme président de la Syrie par
les pays responsables des années de
guerre ouvrira les portes à quiconque
est prêt à participer à la
reconstruction, même si les USA
continuent d’occuper le nord-est de la
Syrie pendant des décennies et que la
Turquie poursuit son occupation du
nord-ouest du pays.
El-Béchir souhaite
que Damas réintègre la Ligue arabe, qui
a évincé la Syrie en 2012, une fois qu’Assad
sera reconnu par les Arabes comme le
président légitime du pays. La Syrie est
un État et se comporte comme tel. Loin
de chercher vengeance, elle offre plutôt
une part du gâteau damascène à quiconque
est prêt à contribuer à la
reconstruction du pays.
La visite du
président soudanais était prévue depuis
plus d’un an, avec la bénédiction des
pays qui s’opposaient le plus
farouchement à Assad. Ces pays ont
accepté leur défaite et admettent que la
Syrie ne peut tomber. La Turquie aussi
revoit sa position, comme le prouve la
plus récente affirmation du ministère
des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu :
« Si les élections [syriennes] sont
démocratiques et dignes de confiance,
nous envisagerons tous les scénarios
[donc coopérer avec Assad s’il est
réélu] ». Les relations turco-syriennes
sont bien plus compliquées que les
relations arabo-syriennes. Les troupes
d’Ankara occupent une partie de la Syrie
et protègent Al-Qaeda et ses alliés à
Idlib. Sauf que le président Erdogan
partage un même objectif avec Damas :
ils souhaitent tous les deux le retrait
des forces d’occupation américaines et
empêcher les Kurdes de protéger ces
forces et d’imposer leur enclave au
nord-est de la Syrie.
La porte menant à
la reconnaissance d’Assad comme
président de la Syrie est maintenant
ouverte à tous les Arabes sans
exception, tout comme leur
investissement dans la reconstruction du
pays. L’heure est venue d’enterrer la
hache de guerre arabe au Levant.
Elijah J.
Magnier : @ejmalrai
19 décembre 2018
Traduction : Daniel
G.
Elijah J. Magnier | ايليا ج مغناير
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