L'autre rue juive
BDS : retour d'une polémique truquée
Daniel Liebmann
Samedi 14 mai 2016
Comme l’an dernier,
le mouvement BDS a organisé dans
plusieurs universités son “Israeli
Apartheid Week” pour informer des
réalités sociales en Israël-Palestine et
promouvoir la campagne de “Boycott,
Désinvestissements et Sanctions” envers
Israël tant que cet Etat ne respecte pas
le droit international. Et à nouveau,
cette initiative a suscité une vive
polémique au point que le quotidien Le
Soir lui a consacré un petit dossier
sous le titre “Boycotter Israël est-il
antisémite ?”
Cette accusation
grave contre le mouvement de solidarité
avec le peuple palestinien avait en
effet été relancée par l’Union des
Etudiants Juifs de Belgique (UEJB) dans
une carte blanche publiée par le même
journal. L’UPJB y a répondu à son tour
par une carte blanche réaffirmant son
adhésion raisonnée à la campagne BDS
comme ultime moyen pacifique et citoyen
pour tenter de mettre fin à l’impunité
dont jouit Israël pour sa politique
d’occupation, de colonisation et
d’apartheid1.
Cette polémique est
récurrente et les arguments de part et
d’autre se répètent depuis la naissance
du mouvement BDS en 2005. Mais elle
s’amplifie actuellement, car la campagne
a atteint des résultats importants qui
font peur au gouvernement israélien :
songeons par exemple à la décision
récente de la société de sécurité G4S de
vendre ses filiales en Israël suite aux
multiples campagnes internationales
(dont celle, exemplaire, de
l’organisation états-unienne Jewish
Voice for Peace) dénonçant son rôle dans
les prisons israéliennes (où la torture
est légale) ainsi que dans la protection
des colonies et check-points qui
déchirent la Palestine. L’étiquetage par
l’Union Européenne des produits issus
des colonies constitue, même si la
mesure est d’ordre symbolique, un autre
avertissement : non, tout n’est pas
permis.
RIPOSTE
ISRAELIENNE
Et les autorités
israéliennes de préparer la riposte :
un “Congrès contre le boycott” organisé
par le quotidien de droite Yediot
Aharonot et patroné par le Président
israélien Reuven Ritlin, la nomination
de “coordinateurs anti-BDS” dans les
ambassades, un département “anti-BDS” au
sein du Ministère des Questions
stratégiques regroupant des dirigeants
des différents services secrets :
l’affaire est prise très au sérieux ! Il
ne s’agit pas d’une petite polémique
entre cercles étudiants mais d’un enjeu
international vécu par ses acteurs
israéliens comme existentiel.
L’argumentaire né
au sommet de l’Etat et relayé par
l’ensemble des organisations
pro-israéliennes même les plus modérées
en apparence (par exemple JCall) est que
le boycott d’Israël est une manière de
remettre en cause le droit de l’Etat
juif à exister et qu’il est motivé par
l’antisémitisme. Les revendications de
BDS ne sont pourtant pas radicales.
Elles se limitent à trois points qui
relèvent du droit international : la
fin de l’occupation et de la
colonisation des territoires
palestiniens conquis en 1967, l’égalité
complète pour tous les citoyens
israéliens (c’est-à-dire la fin des
discriminations envers les Palestiniens
d’Israël) et le droit au retour des
réfugiés palestiniens. Ces deux
dernières revendications pourraient
remettre en question le caractère juif
de l’Etat d’Israël, ce qui fait peur aux
partisans d’un Etat ethnique “pur”, mais
le mouvement BDS n’a jamais exprimé
d’opposition aux droits nationaux des
Juifs israéliens et ne se prononce pas
sur la forme (un ou deux Etats) que
devrait prendre la solution politique au
conflit.
ORIGINE JUIVE ET
SUD-AFRICAINE DU MOUVEMENT
La comparaison avec
le mouvement de boycott qui a contribué
à mettre fin à l’apartheid sud-africain
n’est pas fortuite puisqu’avant même
l’appel de la société civile
palestinenne il y avait cette célèbre
déclaration de Nelson Mandela le 4
décembre 1997 : “Notre liberté est
incomplète sans la liberté des
Palestiniens”. Et puis en 2001, la
pétition lancée par les militants juifs
de l’ANC Ronnie Kasrils et Max Ozinsky
“Not in my Name”, qui repose sur une
comparaison explicite entre le régime
subi par les Palestiniens et
l’apartheid.
Et précisément :
ce sont les mêmes militants juifs
(communistes) sud-africains qui avaient
été parmi les fers de lance de la
doctrine d’un avenir multiracial pour
l’Afrique du Sud, luttant au sein même
du mouvement anti-apartheid contre les
tenants d’une Afrique du Sud purement
noire. Le mouvement BDS s’inspire en
tous points de cette origine souvent
méconnue, puisqu’il repose sur des
valeurs d’égalité et de justice et non
de revanche. Le boycott international
est une méthode pacifique pour instaurer
un nouveau rapport de forces, seul moyen
pour parvenir à une réconciliation entre
égaux.
QUEL DIALOGUE ?
Dans sa carte
blanche, l’UEJB se présente comme
partisan du “dialogue” face à des
adversaires motivés par la “haine”. Mais
de quel dialogue s’agit-il ? Quel sujet
les défenseurs du gouvernement israélien
sont-ils prêts à aborder ? L’occupation
de la Cisjordanie ? Le blocus de Gaza ?
Le statut de Jérusalem ? Le retour des
réfugiés ? La place des Palestiniens de
48 dans la société et la politique
israéliennes ? Face à un mouvement qui
met en avant des revendications
précises, ils n’avancent que la
perspective d’un dialogue sans objet
concret, feignant d’oublier que toute
négociation sérieuse – pour peu qu’il y
en ait jamais eu – a été balayée depuis
qu’Ehud Barak, le fossoyeur de la gauche
israélienne, a martelé qu’« il n’y a
pas d’interlocuteur palestinien », ce
qui était un mot pour un autre : en
réalité il n’y a pas d’interlocuteur
israélien !
Ce n’est pas pour
rien qu’une personnalité comme Abraham
Burg, ancien Président de la Knesset
devenu pacifiste, a appelé lors des
dernières élections à voter pour la
Liste Arabe Unie : il n’y a plus
d’autre voie démocratique que de se
tourner “contre son propre camp”, pour
les partis palestiniens qui revendiquent
les droits civiques et l’égalité. Les
quelques Israéliens (et surtout
Israéliennes, autour de la Coalition des
Femmes pour la Paix qui a initié la
campagne du Boycott from Within) qui
appellent courageusement au boycott de
leur propre Etat sont paradoxalement les
seuls à prendre à bras-le-corps le tour
non seulement criminel mais aussi
suicidaire qu’a pris la politique
israélienne. Le boycott pour faire
tomber les murs et sauver les Juifs
israéliens de leurs propres démons.
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