Syrie
Le Hezbollah, vrai vainqueur de la
guerre de Syrie ?
Christopher Phillips
Le groupe
libanais a tiré plusieurs avantages de
son engagement en Syrie,
notamment l’amélioration de son
équipement militaire et l’accroissement
de son influence régionale
Mercredi 2 janvier 2019
Rétrospectivement, les raisons pour
lesquelles le Hezbollah est entré dans
la guerre en Syrie étaient évidentes. La
chute potentielle du président Bachar
al-Assad faisait peser une menace
existentielle par la coupure de ses
lignes d’approvisionnement avec l’Iran.
Bien que le secrétaire général Hassan
Nasrallah ait d’abord hésité, des
combattants ont été envoyés sur place
dès 2012.
Aujourd’hui, il est clair que
l’implication du Hezbollah a été l’une
des nombreuses interventions clés qui
ont contribué à sauver Assad, mais
qu’est-ce que cela signifie pour le
mouvement libanais ? Le « parti de
Dieu » est-il plus fort ou en plus
grande difficulté après six ans de
guerre ?
Au-delà de la
survie d’Assad, le Hezbollah a tiré
plusieurs avantages de son implication
en Syrie, notamment l’amélioration de
son expérience militaire, le
perfectionnement de ses équipements et
de son personnel militaire et
l’accroissement de son poids régional.
Une expérience
en guerre urbaine
En termes
d’expérience militaire, le conflit est
très différent des guerres menées avec
Israël depuis les années 1980, ce qui a
contraint le Hezbollah à s’adapter et à
acquérir de nouvelles compétences.
Il a maintenant une
expérience en guerre urbaine, mais aussi
du combat à l’intérieur du territoire
ennemi, de la collaboration avec soutien
aérien et de la coopération avec des
groupes autres que le Hezbollah,
notamment les principales armées
étatiques, comme celles de la Russie et
des intervenants non arabes, dont les
milices chiites afghanes et
pakistanaises.
En termes
d’équipement militaire, l’Iran a mis à
profit la guerre pour
augmenter massivement les stocks du
Hezbollah, qui comprennent désormais des
missiles guidés, des drones armés sans
pilote, des missiles balistiques à
courte portée et des missiles antichar.
Elle compte aujourd’hui environ 130 000
roquettes et missiles, contre 15 000
à la veille de la guerre de 2006.
L’Iran a utilisé la
guerre pour augmenter massivement les
stocks du Hezbollah, qui comprennent
désormais des missiles guidés, des
drones armés sans pilote, des missiles
balistiques à courte portée et des
missiles antichar
En termes de
personnels, pour combattre en Syrie, le
Hezbollah a dû augmenter massivement ses
recrutements. Il a élargi son bassin de
recrutement en assouplissant ses
exigences idéologiques et les critères
d’âge – très stricts auparavant. Cela
lui vaut de disposer d’une « armée »
permanente de 20 000 combattants, aux
côtés de dizaines de milliers d’autres
réservistes libanais et des milices syriennes
alliées pour faire la guerre par
procuration.
L’influence
régionale du Hezbollah, avec désormais
une présence en Irak et au Yémen, ainsi
qu’en Syrie, a également été renforcée.
Jusqu’à 500 spécialistes du Hezbollah
ont été envoyés en Irak depuis 2014 pour
former Hachd al-Chaabi, entre autres
contre le groupe État islamique (EI),
tandis que Nasrallah joue régulièrement
un rôle de médiation entre les factions
chiites irakiennes.
Un nombre inconnu
d’agents du Hezbollah ont également été
envoyés au Yémen pour former des
combattants houthis, tandis que le
Hezbollah entretient désormais des
relations directes avec la Russie, tant
au niveau opérationnel que politique.
Résultat, le Hezbollah s’est transformé
: il est entré en Syrie comme mouvement
local libanais, mais est devenu un
acteur armé régional important.
Conséquences sur
le plan intérieur
Tout cela a eu un
prix, cependant. Le nombre de morts est
élevé. Les analystes estiment que le
Hezbollah a perdu entre 1 000 et 2 000
combattants en Syrie – jusqu’à 10 % de
ses combattants, dont des commandants et
des vétérans de grande valeur ayant
participé aux guerres des années 1990 et
2006 en Israël.
Des critiques ont
été formulées quant au nombre élevé de
victimes parmi la base populaire
libanaise du Hezbollah et, pour limiter
partiellement ces répercussions, un
effort délibéré a été consenti pour
engager davantage de recrues issues de
la région de la Bekaa-Hermel
orientale du Liban plutôt que des
bastions plus traditionnels du sud et de
Beyrouth-Sud.
Il y a eu aussi
d’autres conséquences intérieures. En
2013-2014, les djihadistes,
sympathisants de l’opposition anti-Assad,
ont lancé des attaques contre le
Hezbollah et principalement contre des
zones de population chiite au Liban.
Cette situation a finalement été résolue
grâce à des campagnes militaires et à
des tractations de politique intérieure.
En effet, aujourd’hui au Liban le
Hezbollah s’avère fort.
Ses alliés, dont le
président Michel Aoun, sont au pouvoir,
tandis que son rival de longue date,
l’Alliance du 14-mars, s’est fracturée.
Par ailleurs, son chef, Saad Hariri, est
d’autant plus conciliant qu’il est
affaibli.
Un combattant du
Hezbollah brandit le drapeau du groupe,
lors d’une visite guidée
dans une zone
montagneuse autour de la ville syrienne
de
Flita, le 2 août 2017 (AFP)
D’autres
conséquences de la guerre syrienne
restent toutefois non encore résolues
pour le Hezbollah. La guerre a coûté
cher. Alors que de nouvelles sanctions
frappent son allié et principal
bienfaiteur, l’Iran, le parti de Dieu peine
à payer les hausses de salaires et
de pensions exigées par sa liste
croissante de recrues et de victimes. Il
a déjà dû réduire certains des services
essentiels fournis à sa base populaire
défavorisée. Cela ne suffira pas à
retourner la population contre le
Hezbollah, mais pourrait avoir un impact
sur l’attrait à long terme du groupe.
Plus pressantes
sont les craintes qu’Israël lance une
attaque importante pour contrer la
puissance croissante du Hezbollah. Toute
guerre future serait beaucoup plus
destructrice qu’en 2006, tant pour
Israël que le Liban, ce qui a jusqu’à
présent dissuadé les deux parties – mais
une flambée accidentelle est toujours
possible, surtout depuis que des
tensions se manifestent autour de la
présence du Hezbollah sur le plateau
syrien du Golan.
La présence de la
Russie en Syrie comme médiateur
potentiel pourrait calmer la situation.
Jusqu’à présent, Israël a lancé des
dizaines d’attaques en Syrie, sans
provoquer une escalade significative ni
d’un côté ni de l’autre. Mais on touche
ici à de fragiles équilibres.
Encore plus
puissant
Enfin, l’avenir du
Hezbollah en Syrie n’est pas clair. Les
dirigeants du mouvement ont déclaré
qu’ils ne se retireraient qu’une fois
conclu un règlement politique, et le
nombre des combattants a récemment été
réduit en raison de la diminution de la
violence. Craignant peut-être de perdre
d’autres précieux combattants, le
Hezbollah est passé du de rôle de
combattant à celui de formateur de
mandataires syriens ainsi que de forces
afghanes et pakistanaises
pro-iraniennes.
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Cela dit, le
Hezbollah semble maintenir une présence
permanente dans des lieux stratégiques
clés, tels que Qousseir, Qalamoun et
Sayyida Zeinab. De plus, vu la proximité
du Liban, il peut facilement envoyer des
troupes de combat si Assad ou l’Iran en
ont besoin pour de futures attaques
contre Idleb ou l’Euphrate oriental.
Bien que le groupe
se soit avéré un allié loyal et précieux
pendant le conflit syrien, sa direction
est probablement consciente qu’elle ne
peut pas subir indéfiniment de lourdes
pertes au combat et elle espère pouvoir
réduire au minimum le nombre de ses
membres à mesure que la guerre
progresse.
Dans l’ensemble, le
Hezbollah s’est bien sorti du conflit
syrien. C’est aujourd’hui une puissance
régionale beaucoup plus puissante et
mieux formée qu’elle ne l’était avant la
guerre. Cependant, il est encore limité
financièrement et en nombre de recrues,
et il ne lui reste plus qu’à espérer que
la guerre syrienne prendra bientôt fin
et qu’un nouveau conflit avec Israël
sera évité, ce qui consolidera sa
nouvelle position.
-
Christopher Phillips est
maître de conférences en relations
internationales à la Queen Mary
University de Londres et chercheur
associé au programme pour le
Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de
Chatham House. Il est l’auteur de
The Battle for Syria: International
Rivalry in the new Middle East. Une
nouvelle édition de poche mise à jour
est disponible aux éditions Yale
University Press.
Les opinions
exprimées dans cet article n’engagent
que leur auteur et ne reflètent pas
nécessairement la politique éditoriale
de Middle East Eye.
Photo : des
membres du mouvement libanais du
Hezbollah au garde-à-vous lors des
funérailles d’un combattant, tué à la
frontière orientale avec la Syrie, le 28
août 2017 (AFP).
Traduit de
l’anglais (original)
par Dominique
Macabies.
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Publié le 7 janvier 2019 avec l'aimable autorisation de
Middle East Eye
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