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Vous avez dit usurpation ?
Christian Vanneste

Samedi 21 juillet 2018
Il y a quelque chose de pourri au
royaume de Jupiter-Narcisse. L’affaire
Benalla n’est pas un détail, un incident
isolé. C’est au contraire le signe qui
révèle sans doute, plus que le style, la
nature profonde du pouvoir actuel.
Arrivé pour nettoyer les écuries
d’Augias de la politique française, M.
Macron, l’ancien énarque, conseiller de
Hollande, puis son ministre qui
connaissait le sérail de l’Elysée où il
avait vécu dans l’ombre du prince,
montre qu’il y patauge avec un bonheur
sans partage. Prince à son tour, il
s’évertue par un silencieux mépris à
l’égard des critiques à prouver que son
pouvoir est inaccessible aux questions
qui pourraient l’abaisser. La cour des
opportunistes et des arrivistes qui ont
accompagné son étonnante accession au
trône s’emploie à réduire le scandale à
la faute personnelle d’un individu, déjà
sanctionnée « comme jamais », grossie
par une opposition illégitime et
irresponsable, qui cherche à entraver la
marche de la République. Mais ni les
plaidoyers des uns, ni les leçons des
autres n’éteignent l’incendie. D’abord
parce que les pompiers, le
« journaliste » devenu cireur de pompes,
Bruno Roger-Petit, ou le président du
groupe LREM, Richard Ferrand, ancien
socialiste, ancien directeur des
Mutuelles de Bretagne, et ministre
éphémère, manquent de la moindre
crédibilité. Ensuite et surtout, parce
que les faits sont têtus. Les vidéos qui
montrent Benalla s’acharnant
sur deux personnes lors d’une
manifestation Place de la Contrescarpe
ne laissent aucun doute sur la violence
du personnage ni sur son usurpation de
la fonction policière. S’il s’était agi
d’un excès de zèle d’un garde du corps
désirant combattre les ennemis de son
patron en dehors des heures de service,
on aurait pu mettre ça au compte du
dévouement quasi-passionnel d’un fidèle
un peu bas de plafond, mais on apprend
que celui-ci disposait d’un bureau à
l’Elysée, accompagnait le Président dont
il était très proche dans tous ses
déplacements, disposait d’une limousine
haut de gamme dotée des signes
extérieurs des véhicule de police (aux
antipodes des véhicules hors d’âge
qu’utilisent le plus souvent les
policiers), et allait même devenir
Préfet après avoir été « nommé »
Lieutenant-Colonel de Gendarmerie dans
la réserve opérationnelle. A 26 ans,
sans le moindre bagage, si ce n’est une
formation dans les gros-bras du PS et sa
participation à la campagne
présidentielle comme garde du corps du
candidat élu, la carrière du jeune homme
avait pris un départ fulgurant. On se
souvient alors d’un mot du lexique de la
monarchie : M. Benalla était-il un
favori ? N’était-il donc adoubé que par
le bon plaisir du prince pour services
rendus à sa personne ? La hiérarchie du
mérite, du temps long ou des actes
exceptionnels était doublée par le choix
du monarque. La « République
inaltérable » était bel et bien
ébranlée.
Et l’Etat de droit, dont on nous rebat
les oreilles, ne l’était pas moins !
Coups et blessures volontaires en
réunion, usurpation de la fonction
policière, port illégal d’insignes :
tels sont les trois premier motifs de la
garde à vue du nervi trop voyant. Mais
les dates ne laissent aucun doute sur la
protection princière. Les images de
l’agression caractérisée contre un jeune
homme et une femme ( Tiens, on n’entend
pas Mme Schiappa ?!?) sont connues
depuis le 2 Mai à l’Elysée. Une
suspension de 15 jours avait paru
suffisante. Sarkozy et Hollande avaient
été plus sévères. Et le sbire avait
continué à exhiber sans vergogne son
passe-droit élyséen au Panthéon pour
l’entrée de Simone Weil ou à l’arrivée
des Bleus , dès l’Aéroport où il avait
même prétendu donner des ordres à un
gendarme en exigeant de lui le plus
grand respect. Qui plus est, il
disposait d’un logement depuis le 9
Juillet au Quai Branly, là où le prince
loge les proches dont il a le plus grand
besoin. C’est là que Mitterrand cachait
sa seconde famille soustraite aux
regards des Français avec la complicité
des journalistes et du pouvoir.
Autrement dit, le même système qui
n’avait pas hésité à humilier des
officiers généraux, des serviteurs
courageux et fidèles du pays, protégeait
un homme de l’ombre du souverain,
au-delà de la Loi, puisque les faits
connus auraient du être transmis au
Parquet, dès le 2 Mai. Il n’y a pas de
démocratie digne de ce nom dans le monde
où un tel scénario puisse se dérouler.
Depuis, le
chevalier blanc devenu roi s’accroche
aux branches en chutant de l’une à
l’autre. Chacune de ses parades renforce
le doute et le malaise. Ainsi, cette
fois Benalla est licencié parce qu’un
fait nouveau est apparu. Trois gradés de
la police lui auraient remis des vidéos
pour lui permettre d’étayer sa défense.
C’est ce quatrième motif, qui éclabousse
la police au passage, sur lequel
s’appuie le licenciement. Comme si
l’ensemble n’accusait pas, au-delà de
l’encombrant personnage, le
fonctionnement de l’Etat français, celui
d’un pays qui parle d’autant plus de
République et d’égalité, qu’il multiple
les privilèges et fait du coeur du
Pouvoir, le Palais de l’Elysée, un lieu
qui sacralise ceux qui y séjournent au
point qu’ils se croient tout permis, et
qui est craint dans la soumission par
ceux qui ne devraient obéir qu’à la loi
! Mais le monarque, méprisant selon sa
nature profonde, se tient coi et
distant. Il envoie son Premier Ministre
au Tour de France pour répondre aux
journalistes au sujet de cette
ténébreuse affaire. Là encore, notre
grand réformateur volontiers moraliste
bouscule allègrement les institutions.
Pour le coup, Edouard Philippe, qui
s’est abaissé à cette mascarade indigne,
n’est pas directement en cause, car ce
n’est pas lui qui est responsable des
agissements de Benalla, mais celui qui
l’a installé à l’Elysée. En revanche, il
est responsable devant les Députés qui
ont bien raison d’exiger de lui qu’il
vienne donner des explications.
D’ailleurs, puisque le Président tient
tant à dialoguer avec le Parlement, en
éludant le gouvernement, n’est-ce pas
lui qui devrait venir ? A force de
bousculer nos institutions pour modeler
une « république » selon son goût,
Jupiter-Narcisse serait pris à son
propre piège. Un usurpateur modeste
aurait mis en lumière l’usurpation
structurelle qui définit le pouvoir que
la France subit.
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