Actualité
La liberté d’expression, Hassan
Nasrallah
et autres victimes de la censure sur
Internet
Chris Wright
Jeudi 2 mai 2019
Avec un commentaire de Norman
Finkelstein
Source :
https://dissidentvoice.org/2019/01/free-speech-hassan-nasrallah-and-other-victims-of-internet-censorship/
Traduction :
sayed7asan.blogspot.fr
Le fait que nous
vivions dans un monde où la diffusion de
l'information est largement sous le
contrôle de sociétés privées (et de
gouvernements très largement influencés
par ces grandes corporations) constitue
en soi une mise en accusation suffisante
de notre civilisation. Même si, de
manière inconcevable, aucun autre crime
n'était jamais commis nulle part et que
les systèmes de pouvoir étaient
généralement bienveillants envers les
citoyens, un contrôle et une diffusion
de l’information concentrés dans une
poignée de mains privées justifieraient
des tentatives de reconstruction de la
société sur de nouvelles bases. Un tel
contrôle est tout simplement trop
contraire aux principes de la liberté
d'expression et du libre accès à
l'information pour être toléré par un
peuple attaché à la démocratie, à la
vérité et à une communication
rationnelle et sans entrave. Mais c’est
bien pire encore lorsque le contrôle de
l'information par quelques consortiums &
milliardaires est une condition
préalable essentielle à ce que des
crimes systématiques contre l'humanité
soient commis sans cesse par ces mêmes
entreprises et gouvernements. Si le
public savait tout ce qui se passe, il
est peu probable qu’il le tolère
longtemps.
Dans les faits,
c’est comme si nous vivions dans une
farce planétaire, victimes d’une
intelligence cosmique malveillante dotée
d’un sens de l’humour pervers :
organiser la dissidence politique,
lutter pour le progrès social et mieux
faire connaître les crimes commis par
les entreprises et les gouvernements
semble une tâche aussi nécessaire
qu’impossible. Car au quotidien, nous
dépendons en grande partie de réseaux
gérés et contrôlés par ces criminels
eux-mêmes. Nous sommes à la merci de
leur bonne volonté. Les fournisseurs de
services Internet peuvent, quand ils le
souhaitent, refuser leurs services à un
individu ou à un groupe jugés «
dangereux » selon des critères obscurs ;
les plates-formes médiatiques telles que
Facebook et YouTube peuvent suspendre un
utilisateur dès qu’elles décident
qu’elles n’aiment pas ce qu’il dit, ou
s’il ne respecte pas un algorithme
mystérieux, évolutif et rétroactif ;
Google peut détourner le trafic de
certains sites Web, comme
il l'a fait récemment pour les sites
de gauche tels que World Socialist
Website, AlterNet,
Democracy Now et CounterPunch.
Et les victimes de cette censure n'ont,
dans les faits, aucun recours, si ce
n'est de faire appel au public pour
faire pression sur les censeurs.
Facebook a censuré un nombre
incalculable d’utilisateurs qui ne le
méritaient pas, par exemple en
ciblant de manière disproportionnée
des activistes de couleur, en
suspendant les diffusions en direct
d’images de policiers tirant sur des
civils, en
supprimant temporairement la page
anglaise de TeleSur et en
supprimant la page de
VenezuelAnalysis jusqu’à ce que le tollé
public qui s’est ensuivi les ait
contraints à faire marche arrière – et
dernièrement, citons la
suppression du compte officiel Whatsapp
du parti espagnol Podemos, juste avant
les élections... L’armée de modérateurs
de Facebook censure constamment des
messages individuels selon un ensemble
de règles
énoncées sur 27 pages, entraînant la
suppression de messages concernant, par
exemple, les atrocités indiennes au
Cachemire,
Geronimo et Zapata en tant que héros
de la « guerre de 500 ans contre le
colonialisme », ou encore un
contre-rassemblement de gauche pour
l'anniversaire des violences à
Charlottesville, en Virginie.
La censure
politique (visant à la fois la gauche et
la droite) est incontrôlable : cette
année, des
centaines de comptes et de pages ont
été supprimés au prétexte qu'ils
seraient faux ou « inauthentiques ». Ou,
comme toujours, « extrémistes ». Sans
surprise, beaucoup étaient tout à fait
légitimes, dirigés par de vraies
personnes qui utilisaient des
pseudonymes pour des raisons de
sécurité, ou dont les perspectives sont
simplement qualifiées d'inacceptables
parce qu'elles sont contraires aux
récits officiels. Après avoir supprimé
des dizaines de comptes et de pages «
inauthentiques » l'été dernier, Facebook
a
déclaré que les coupables avaient «
cherché à attiser les tensions sociales
et politiques aux États-Unis », et
déclaré que leur activité était
« similaire, voire parfois liée, à celle
des comptes russes lors de l'élection de
2016. » En d'autres termes, il est
désormais interdit aux utilisateurs
« d'enflammer les tensions » ou d'agir «
de la même manière » que les comptes
russes – allez savoir ce que ça veut
dire.
Au moins, nous
sommes toujours autorisés à partager des
mèmes de chats et des photos de bébés.
Mais la principale
victime de ce maccarthysme rampant a
bien sûr été la cause palestinienne, et
plus généralement tous ceux qui
s’opposent à la longue
orgie sanglante insatiable perpétrée
par Israël. Que ce soit sur Twitter,
YouTube, Facebook ou d'autres
plateformes, les personnes,
personnalités ou groupes résistant à
Israël se voient régulièrement refuser
leur droit à la parole. La branche armée
du Hamas
n’a pas le droit de créer un compte
sur Twitter, contrairement à l’armée
israélienne. Facebook
bloque si souvent des groupes
palestiniens – y compris le Fatah,
pourtant reconnu sur la scène
internationale, et les principaux médias
de Cisjordanie – qu'ils ont leur propre
hashtag, #FBcensorsPalestine. Étant
donné que ces réseaux sociaux, qui ont
un quasi-monopole mondial, sont un moyen
essentiel de toucher une audience et de
diffuser un message, une telle censure a
un effet particulièrement dévastateur.
Un scandale récent
concerne la répression de la voix du
Secrétaire Général du Hezbollah, Hassan
Nasrallah. Il y a un an, YouTube a
suspendu une chaîne reconnue qui
diffusait et traduisait depuis 5 ans les
discours de Hassan Nasrallah, ainsi que
d’autres dirigeants « anti-américains »
(Poutine, Assad, etc.), en français et
en anglais. La chaîne
Sayed Hasan, qui comptait plus de
400 vidéos, avait 10 000 abonnés et
avait recueilli plus de six millions de
vues, devenait de plus en plus
populaire. Le prétexte de YouTube pour
sa suspension fut « une violation des
règles concernant le contenu graphique
ou violent ». Plus précisément, trois
extraits de discours de Nasrallah ont
été jugés offensants : la première vidéo
était intitulée «
Daech est l'allié d'Israël et vise La
Mecque et Médine », la seconde «
Nous sommes sur le point de libérer Al-Qods
(Jérusalem) et toute la Palestine »,
et la troisième «
La prochaine guerre changera la face de
la région ». Il serait difficile
d'affirmer que ces discours contenaient
des propos particulièrement « graphiques
ou violents », car il ne s’agit que
d’analyses politiques convaincantes et
d’exhortations à résister à un État
voisin particulièrement brutal et
violent.
La chaine
Sayed Hasan avant sa suppression
Le propriétaire de
la chaîne a ensuite
créé une page Facebook pour publier
un contenu similaire,
Le Cri des Peuples, qui compte à ce
jour plus de 9 000 abonnés, et une
version anglaise appelée
Resistance News Uniltered. Un an
plus tard, cette dernière a été
supprimée à son tour. Sans aucune
explication. Elle comptait plus de 6 000
abonnés et fournissait un service
important en traduisant les discours
d'un analyste politique très perspicace.
Norman Finkelstein a publié une
déclaration de soutien au traducteur
dénonçant cette censure de Nasrallah :
« Il est
scandaleux que les discours de Hassan
Nasrallah soient interdits sur Youtube.
Quoi que l'on pense de sa politique, il
ne fait aucun doute que Nasrallah compte
parmi les observateurs politiques les
plus sagaces et les plus sérieux au
monde aujourd’hui. Les dirigeants
israéliens scrutent attentivement le
moindre mot de Nasrallah. Pourquoi le
public se voit-il refuser ce droit ? On
ne peut s'empêcher de se demander si les
discours de Nasrallah ne sont pas
censurés simplement car il ne correspond
pas au stéréotype du dirigeant arabe
dégénéré, ignorant et fanfaron. Il
semble que les médias et réseaux sociaux
occidentaux ne soient pas encore prêts
pour un dirigeant arabe digne tant dans
sa personne que dans son esprit. »
La page
Resistance News Unfiltered peu avant
sa suppression
En plus des deux pages Facebook (la
version anglaise vient d’être recréée),
on peut retrouver les traductions de
Sayed Hasan en français sur
Vimeo et sur son blog
sayed7asan.blogspot.fr, et en
anglais sur
Dailymotion et sur son blog
resistancenewsunfiltered.blogspot.com.
Le traducteur peut être soutenu dans son
travail bénévole trilingue via son
compte Paypal.
Le New York
Times a
rapporté que « les agences de
sécurité israéliennes surveillent
Facebook et envoient à l’entreprise les
messages qu’elles considèrent comme de
l’incitation à la haine. Facebook a
réagi en supprimant la plupart d'entre
eux. » En fait,
plus de 90% d'entre eux. Pendant ce
temps, comme le
remarque Glenn Greenwald, « les
Israéliens ont pratiquement toute
liberté pour publier tout ce qu'ils
veulent sur les Palestiniens », y
compris des appels au génocide et les
célébrations les plus outrageuses de
la torture et du meurtre d'enfants
palestiniens.
Tout cela est
parfaitement prévisible, car les
puissants en matière économique
coopéreront toujours avec les puissants
en matière politique pour censurer les
dissidents. Des entreprises telles que
Facebook et Google (qui possède YouTube)
seront toujours enclines à complaire au
gouvernement des États-Unis et à ses
alliés. Ce fait constitue néanmoins un
danger terrible pour la liberté
d’expression, un véritable
proto-fascisme, auquel il convient de
résister aussi énergiquement que face à
tout crime contre l’humanité qui est
dissimulé par une telle collaboration
corporatiste.
Ce n'est qu’en
inondant Google, Facebook, Twitter et
les autres de plaintes que nous auront
la possibilité de faire entendre des
voix nécessaires comme celle de Hassan
Nasrallah. Notre objectif ultime devrait
être d’éliminer ces sociétés elles-mêmes
et de transférer l’infrastructure
médiatique qu’elles possèdent au public,
mais pour atteindre cet objectif, nous
devons continuer à percer des failles
dans le blackout de ces sociétés afin de
laisser passer un peu de lumière.
Chris Wright a
obtenu un doctorat en Histoire
américaine à l’Université de l’Illinois
à Chicago. Il est l'auteur de
Notes d’un humaniste clandestin
et
Coopératives ouvrières et révolution :
histoire et possibilités aux États-Unis.
Lisez d'autres articles de Chris
Wright ou
visitez son site internet.
« Chaque
somme compte, car un peu d'argent ici ou
là, c'est comme des gouttes d'eau qui
peuvent devenir des rivières, des
fleuves ou des océans... »
Hassan Nasrallah
Soutenez ce travail
en faisant un don, même modeste, et
abonnez-vous à la
Page Facebook et à la
chaine Vimeo pour contourner la
censure.
Le sommaire de Sayed Hasan
Les dernières mises à jour
|