Opinion
L'accord de Vienne sur le nucléaire :
Le désarroi des rentiers du pétrole
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Jeudi 23 juillet2015
«Purifie-toi des attributs; du moi, afin
de pouvoir contempler ta propre essence
pure et contemple dans ton propre coeur
toutes les sciences des prophètes, sans
livres, sans professeurs, sans maîtres.»
Jalal
Eddine Ar Roumi, immense soufi iranien
Avec un suspense digne des films à la
Hitchcock, le feuilleton iranien avec
une superproduction qui a mobilisé pas
moins de sept acteurs, s'est achevé sur
une note optimiste, un accord à
l'arraché où chacun était pressé de
conclure. Cet accord sans qu'il ne soit
parfait, ferme en théorie le champ à une
éventuelle fabrication dont on nous a
annoncé régulièrement dans les deux mois
et ceci depuis cinq ans. Unanimement
salué par la presse iranienne toutes
tendances confondues et célébré dans les
rues de Téhéran.
Que dit
l'accord?
L'accord sur le nucléaire ouvre un
nouveau chapitre dans les relations
entre l'Iran et la communauté
internationale, a déclaré mardi 15
juillet le président iranien Hassan
Rohani. Par ailleurs, malgré les
demandes visant à réduire drastiquement
le nombre de ses centrifugeuses, l'Iran
en maintiendra 5.000 dans l'usine de
Natanz et 1.000 à Fordow. D'après cet
accord, l'Iran sera reconnu par les
Nations unies comme une puissance
nucléaire menant un programme nucléaire
civil pacifique, comprenant un cycle
d'enrichissement d'uranium, D'après
l'agence, toutes les sanctions
financières et économiques de l'ONU
seront levées en même temps via une
nouvelle résolution de l'ONU. Les
sanctions de l'Union européenne et des
Etats-Unis frappant les secteurs
bancaire, pétrolier, gazier,
pétrochimique, commercial, mais aussi de
l'assurance et des transports seront
levées dès que l'accord sera appliqué
concrètement, tandis que des dizaines de
milliards de dollars de revenus iraniens
seront dégelés. Cependant, l'embargo sur
les armes sera remplacé par un régime
surveillé d'importation et d'exportation
de matériels sensibles qui durera cinq
ans.
L'Iran pourra également entreprendre
une coopération internationale pour
construire de nouveaux réacteurs
nucléaires, des réacteurs de recherche
et d'autres centrales nucléaires de
pointe. En vertu de l'accord, le site
d'Arak conservera son réacteur à eau
lourde, mais sera modernisé et équipé
des technologies les plus modernes et
les plus sûres au monde, L'Iran sera
reconnu comme producteur de produits
nucléaires, notamment d'uranium enrichi
et d'eau lourde. (1)
Les
conséquences de l'accord: changement
d'alliance en perspective
L'accord de Vienne déplaît aux
Israéliens, aux Arabes et au Congrès
américain: «Ce qui alarme le Premier
ministre israélien Benjamin Netanyahu
écrit Joshua Keating ainsi que les
dirigeants du Golfe, c'est au moins
autant le programme nucléaire iranien
qu'une convergence des intérêts iraniens
et américains. Au cours de l'été 2012,
quand les diplomates iraniens et
américaines commencèrent leurs
pourparlers secrets à Oman, lançant le
processus qui vient d'aboutir par un
accord sur le nucléaire iranien, le
Proche-Orient était très différent de ce
qu'il est aujourd'hui. Quelques mois
auparavant le dernier convoi de troupes
américaines avait quitté l'Irak et leur
retour à Baghdad apparaissait
inconcevable. La chute de Bachar el-Assad,
combattu par les rebelles syriens,
semblait n'être plus qu'une question de
temps. Al-Qaîda avait l'air totalement
déconfite après la mort de Ben Laden
(...) »
« En d'autres termes, il y a trois
ans, il était raisonnable de considérer
que la question du nucléaire iranien et
d'une éventuelle guerre régionale à son
sujet, était le sujet le plus
préoccupant du Proche-Orient. Le
président des Etats-Unis évoque à
présent l'accord comme un moyen de «voir
si cette région qui a connu tant de
souffrances, tant d'effusions de sang,
peut emprunter une nouvelle voie.»
L'accord sur le nucléaire iranien semble
presque anecdotique. L'Iran est parvenu
à étendre son influence régionale sans
posséder l'arme nucléaire. Les rebelles
chiites soutenus par l'Iran sont en
pointe de la lutte contre Daesh en Irak,
Assad est toujours au pouvoir en Syrie
et malgré des mois d'attaques aériennes
saoudiennes les rebelles Houthi
contrôlent toujours la capitale du
Yémen. Le chaos de la région convient
bien à l'Iran et les adversaires de
l'accord affirment que la levée des
sanctions va encore accroître son
influence » (2).
La paille
nucléaire iranienne et la poutre
nucléaire israélienne
Sans surprise nous trouvons parmi les
mécontents de l'accord, Israël, le
Congrès américain et Hillary Clinton. Le
Premier ministre israélien Benjamin
Netanyahu a dénoncé une «erreur
historique pour le monde». «Israël n'est
pas lié par cet accord car l'Iran
continue à vouloir notre destruction.
Nous saurons toujours nous défendre»,
a-t-il prévenu.
«Netanyahou lit-on sur le site
europalestine, fulmine après l'accord
concernant le nucléaire iranien. (....)
Pourtant, on sait qu'Israël,
contrairement à l'Iran, ne se prive pas
d'attaquer ses voisins et de recourir à
des armes prohibées extrêmement létales,
bombes au phosphore, à fragmentations,
gaz toxiques.. pour perpétrer ses
massacres de populations civiles. Israël
possède au moins deux sites nucléaires
interdits, Dimona, un cadeau du
gouvernement socialiste français de Guy
Mollet en 1956, et le centre de
recherches nucléaires de Nahal Sorek, à
l'ouest de Jérusalem, offert par
Eisenhower. En 2007, un journal italien
dévoilait un scandale d'importance: le
professeur palestinien Mahmud Saâda,
expert, et membre d'une commission
internationale chargée de la «sauvegarde
à l'égard des guerres nucléaires et des
radiations», rapportait que des
«radiations émanant du réacteur
israélien de Dimona, et les scories
nucléaires de trois dépôts souterrains
adjacents étaient sans doute la cause de
très rares formes de tumeurs aux yeux et
au cerveau chez des enfants palestiniens
à Daheriyeh, au sud d'Hébron.
L'augmentation de 60% de ces cancers ne
s'expliquerait pas autrement. Alors,
pourquoi ne parle-t-on que de l'Iran? Et
à quand les sanctions contre Israël? ce
pays qui a refusé de signer le traité de
non-prolifération nucléaire et qui teste
des armes effrayantes sur les
Palestiniens, constitue le plus grand
danger nucléaire de la planète.» (3)
Même le chef de la Ligue arabe a
qualifié l'accord sur le nucléaire
iranien de «premier pas» vers
l'éradication des armes de destruction
massive au Moyen-Orient, appelant
néanmoins la communauté internationale à
faire pression sur Israël considéré
comme la seule puissance nucléaire du
Moyen-Orient. «Le temps est venu pour la
communauté internationale d'arrêter la
politique des deux poids, deux mesures
et de prendre ses responsabilités en
faisant pression sur Israël pour qu'il
adhère au traité sur la
non-prolifération des armes nucléaires»
et «pour que ses installations
nucléaires soient soumises au système de
garanties de l'Agence internationale de
l'énergie atomique».(4)
L'accord est «inacceptable», a lâché
le président de la Chambre des
représentants, John Boehner: «Si
l'accord est aussi mauvais que je le
pense à cet instant, nous ferons tout
pour l'arrêter. Le Congrès, a le pouvoir
d'en bloquer un élément central: la
suspension des sanctions américaines,
contrepartie des engagements iraniens...
«. La candidate à l'investiture
démocrate Hillary Clinton a affirmé que
l'Iran n'aurait «jamais» l'arme
nucléaire si elle était élue présidente
des Etats-Unis.
La
recomposition du Moyen-Orient
Il semble que les Américains soient
lassés par l'Arabie saoudite du fait de
son exportation de la terreur salafiste.
Ils se tournent alors vers l'Iran
héritier de Darius, Une relation plus
amicale entre l'Iran et l'Occident peut
ouvrir des avenues à d'éventuelles
opérations sur
d'autres questions, comme la résolution
de la crise en Syrie.
Pour les Etats-Unis et leurs alliés,
l'accord est un pari: celui que
l'ouverture de conversations avec
Téhéran va permettre de pacifier la
région et de donner davantage la parole
aux modérés du régime. Une position
partagée par le ministre russe des
Affaires étrangères Sergei Lavrov, selon
qui l'accord rend possible une coalition
«élargie» pour combattre ce groupe
extrémiste sunnite, qui est hostile à
l'Iran chiite autant qu'à l'Occident.
«Le président américain voulait à tout
prix cet accord historique. Il est
conforté par l'opinion publique
américaine puisque dans une enquête
menée pour le Washington Post et ABC,
59% des personnes interrogées
soutiennent l'idée de lever la
quasi-totalité des sanctions à l'égard
de l'Iran en échange d'un accord qui
limiterait le programme nucléaire de
façon à empêcher la production d'armes
nucléaires.» (5)
Pour Gilles Munier: «C'est une
indubitable victoire pour l'imam Ali
Khamenei. Le mélange de fermeté, de
souplesse et de pragmatisme a payé face
à l'arrogance occidentale et aux menées
occultes israéliennes. Laurent Fabius
qui jouait le jusqu'au-boutiste a dû
ravaler sa morgue. C'est aussi une
victoire diplomatique pour Barack Obama,
à 18 mois de la fin de son mandat.(...)
L'accord signé à Vienne entrera en
vigueur 30 jours après son adoption par
le Conseil de sécurité de l'ONU,
c'est-à-dire vers la fin de cette année.
Certes, l'Iran n'a pas obtenu tout ce
qu'il demandait, mais les Etats-Unis non
plus, et tout le monde devra faire avec,
y compris les ennemis de Téhéran. (...)
On peut compter sur la prochaine
administration américaine pour traîner
des pieds quand il s'agira de lever
certaines sanctions, pour mettre en
doute les rapports de l'Aiea qui se
rendront en Iran, pour menacer à nouveau
le pays.» (6)
Même l'Arabie saoudite par le biais
de son agence de presse SPA s'est fendu
d'un communiqué rassurant: «Etant donné
que l'Iran est un pays voisin, l'Arabie
saoudite espère bâtir avec lui de
meilleures relations dans tous les
domaines sur la base du bon voisinage et
de la non-ingérence dans les affaires
internes. Les tensions ont été vives
récemment entre l'Arabie saoudite et son
principal rival régional, notamment sur
le conflit au Yémen où Ryad mène une
campagne de frappes aériennes contre des
rebelles chiites soutenus par l'Iran. En
Syrie, l'Arabie saoudite soutient les
rebelles qui tentent de renverser le
régime alors que Téhéran demeure le
principal allié régional de Bachar al-Assad.
Le marché pétrolier et le
futur chaos des rentiers
L'Iran est un grand pays
technologiquement avancé. Il détient la
quatrième réserve pétrolière mondiale
avec plus de 160 milliards de barils
(13/14% des réserves) 34.000 milliards
de mètres cubes gazeux 16% des réserves
mondiales. La population est d'environ
80 millions. Le taux d'alphabétisation
est de 93% pour les Iraniens de 19 à 40
ans, l'Indice de développement humain
est 0,707 ayant été classé au 88e rang
mondial. Le PIB par habitant 2013/2014)
est de 4 748 dollars avec un produit
intérieur brut (PIB (2013/2014 de 366,1
milliards $. Le PIB est ventilé comme
suit: agriculture: 11,3% -industrie:
37,6%- services: 51%.
L'Iran est donc un pays industrialisé
contrairement à l'Algérie ou le taux
d'industrialisation représente 5%.
L'économie est dépendante cependant des
revenus pétroliers 75% environ des
recettes de l'Etat. Pour éviter le
gaspillage le gouvernement a mis en
place des aides ciblées pour les couches
à faible pouvoir d'achat et à commencé à
arrêter progressivement les subventions
sur l'énergie.
Les prochains mois et années seront
pénibles pour les rentiers. Les
exportations de brut iranien étant
plafonnées à 1 million de b/j environ
selon les termes de l'accord intérimaire
de Genève. L'Iran produisait plus de 2,5
millions de barils/jour. Ces facteurs
ajoutés à une production hors Opep (67%)
importante l'entêtement de l'Arabie
saoudite pour ses parts de marché et le
combat perdu contre les pétrole/gaz de
schiste américain, et pour couronner le
tout la non-reprise de la croissance de
l'économie mondiale, peuvent aboutir à
une dégringolade encore pire du prix du
baril. L'entrée en force de l'Iran sur
le marché pétrolier et gazier mondial
aura un impact sur l'économie
algérienne. Pourtant, selon les calculs
du FMI, la baisse des cours du pétrole
devrait entraîner un manque à gagner de
300 milliards de dollars cette année
pour les pays du Conseil de coopération
du Golfe (CCG). La question est de
savoir pendant combien de temps ces pays
pourront financer leur déficit sans
envisager de baisser leurs dépenses.
D'autant que le pétrole ne semble pas
décidé à remonter.
La manne
pour les pays industrialisés
On dit que le malheur des uns fait le
bonheur des autres. «Une manne tombée du
ciel.». C'est ainsi que les analystes
qualifient la chute vertigineuse des
prix du pétrole sous le seuil symbolique
des 50 dollars le baril. A titre
d’exemple, la facture énergétique de la
France qui s'est élevée en 2013 à
environ 66 milliards d'euros, pourrait
considérablement s'alléger, on peut
envisager une économie de l'ordre de 20
milliards d'euros sur les importations.
De plus, l'encre de l'accord n'a pas
encore séché que les investisseurs se
préparent à revenir en Iran et c'est la
course aux offres de service; de belles
opportunités s'ouvrent aujourd'hui,
particulièrement en matière
d'infrastructures (eau, routes, énergie)
mais aussi pour remettre en état
l'appareil de production de pétrole et
de gaz. Ces 20 milliards sont une manne
inespérée pour la France qui peut ainsi
boucler un budget avec un déficit à 4 %
proche de celui nécessaire pour répondre
aux critères de Maastricht imposée par
Bruxelles
Qu’en est il
de l'Algérie ?
On le voit, si les pays du Golfe
peuvent tenir du fait de leur matelas
évalué à plus de 1000 milliards de
dollars. ce n'est pas le cas de
l'Algérie pour qui le retour de l'Iran
avec seulement 1 million de barils
risque de faire chuter le prix du baril
à 40 dollars. Dans ces conditions, on
sait que l'Arabie saoudite qui arme et
finance le terrorisme international a
placé l'Algérie sur la liste noire des
pays qui supportent le terrorisme.
Pour Eric Draitsen, l'État algérien
subit l'assaut d'Al Qaîda et d'autres
groupes terroristes depuis longtemps. La
guerre contre le terrorisme en Algérie
remonte à plus de vingt ans. À ce titre,
le gouvernement de l'Algérie doit
comprendre clairement la menace sérieuse
que l'Arabie saoudite représente, car
les Saoudiens sont les principaux
bailleurs de fonds et les patrons des
groupes terroristes, y compris Aqmi et
beaucoup d'autres. La nature robuste des
structures militaires et policières
algériennes ont permis au pays de rester
ferme face à la guerre permanente du
terrorisme. L'Algérie demeure résolue à
lutter contre le terrorisme quels qu'en
soient les coûts, c'est précisément la
raison pour laquelle elle est diabolisée
par les Saoudiens. (7)
Il est regrettable de le dire, la
transition énergétique vers le
développement durable n'est pas encore
opérationnelle. Une stratégie qui permet
de freiner le gaspillage actuel, qui
rationalise la consommation et qui
investit dans les énergies
renouvelables. Un exemple? le Danemark a
réussi à produire 140% de ses besoins en
électricité... rien qu'avec du vent.
Qu'attendons-nous pour mettre en place
cette transition? Nous n'allons pas
passer notre temps à guetter les
mouvements erratiques d'un prix du
baril. Le changement c'est maintenant.
Un espoir? Il est possible au vu des
changements que l'Arabie saoudite par
réalisme du fait que l'Iran redevient le
pivot de la nouvelle alliance des
Etats-Unis, du fait aussi de son
enlisement dans le dossier yéménite, du
fait de son déficit abyssal en vienne à
faire raviver l'Opep avec une entente
des grands, c'est-à-dire avec l'Iran
pour raffermir les prix du pétrole.
1.
http://french.xinhuanet.com/monde/2015-07/14/c_134412252.htm
2.Joshua Keating
http://www.slate.fr/story/
104407/accord-iranien-proche-orient#xtor=RSS-2
Traduit par Antoine Bourguilleau
17.07.2015
3.
http://www.europalestine.com/spip.php?article10803
4. Nucléaire iranien: un «premier
pas» vers le désarmement dans la région
(Ligue arabe)
5.
http://www.algerie1.com/affaires/impacts-geostrategiques-et-energetiques-apres-laccord-historique-entre-le-groupe-51-et-liran/
6.
http://www.france-irak-actualite.com/2015/07/accord-de-vienne-sur-le-nucleaire-une-indubitable-victoire-pour-l-iran.html
7.
https://www.oximity.com/article/Eric-Draitser-L-Alg%C3%A9rie-demeure-r-1?utm_campaign=
it&utm_source=it-5-folDig&utm_medium=email
Article de reference:
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_
chitour/220885-le-desarroi-des-rentiers-du-petrole.html
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique
enp-edu.dz
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