Opinion
Comment conjurer la crise en Algérie ?:
L'avis pertinent des experts
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Mardi 22 septembre 2015
Le Premier ministre, Abdelmalek
Sellal, a estimé que la crise actuelle
constitue une opportunité pour l'Algérie
afin d'opérer un cap vers une économie
portée par le travail et la création des
richesses.
Dimanche 20 septembre a eu lieu une
réunion importante. Il s'agissait de se
pencher sur la situation économique
actuelle à la lumière des
bouleversements que connaît la scène
économique énergétique et politique
internationale. Nous vivons en effet,
une ère où l'énergie est devenue une
variable d'ajustement des stratégies
géopolitiques. La majorité des conflits
a un soubassement qui a pour enjeu la
disponibilité ou non de l'énergie. Les
nations du monde doivent faire le choix
d'une nouvelle ère énergétique.
Comme noté dans la note conceptuelle
du Conseil National Economique et Social
(CNES) : «Le retournement spectaculaire
du marché international des
hydrocarbures, a fortement impacté les
indicateurs fondamentaux de l'économie
nationale (déficit budgétaire en hausse
constante, réserves de changes en
baisse, trend inflationniste avéré,
etc.), soulignant ainsi la forte
vulnérabilité de notre économie aux
chocs exogènes, notamment ceux résultant
des fluctuations des cours
internationaux des hydrocarbures et des
denrées alimentaires. La croissance
économique a été, jusqu'à présent,
essentiellement tirée par la dépense
publique, financée par les revenus des
hydrocarbures.
Toujours d'après le Cnes, «les
stratégies propres à renforcer la
résilience de l'économie nationale, par
une atténuation de son excessive
dépendance nécessitent d'allumer de
nouveaux moteurs de croissance,
diversifier l'économie et la rendre
compétitive en même temps que veiller à
une répartition équitable des fruits de
cette croissance, notamment par une
politique pertinente des transferts
sociaux, Face à l'amenuisement de ses
ressources et aux multiples défis qui
lui sont imposés par les bouleversements
du marché pétrolier mondial, l'Algérie
n'a d'autre alternative que celle
d'adapter ses moyens aux besoins
socio-économiques, mais aussi
d'optimiser les instruments de sa
croissance, en tenant compte de
l'évolution des paramètres
macroéconomiques, la crise du pétrole
risquant de perdurer».
Le discours du Premier
ministre
Le Premier ministre, Abdelmalek
Sellal, a estimé que la crise actuelle
constitue aussi une opportunité pour
l'Algérie afin d'opérer un cap vers une
économie portée par le travail et la
création des richesses. «Ce n'est pas
une question d'argent, mais de
mentalités. Il faut faire une révolution
dans les mentalités. Il faut travailler
plus, il faut que les gens apprennent à
dire je vais travailler, et non je vais
au travail», a-t-il déclaré. Le Premier
ministre a aussi esquissé les contours
de cette révolution mentale. «Nous
devons rationaliser l'utilisation des
ressources et aux citoyens de ne plus
gaspiller l'eau, ni le pain ni
l'énergie. Que le fonctionnaire se mette
en tête qu'il est au service du citoyen
et qu'il n'est pas son tuteur. Que les
banques comprennent que leur rôle est
d'aller chercher des clients pour
pouvoir mobiliser leurs épargnes.»
«Nous n'avons pas de positions
dogmatiques ou figées mais nous
maintenons le cap pour construire un
État fort qui organise une société libre
et solidaire avec les démunis. La
justice sociale est partie intégrante du
combat des Algériens, nous ne pouvons
pas les heurter, il faut y aller
doucement Nous avons réalisé une
croissance de 6% hors hydrocarbures en
2014 et l'objectif de 7% est à notre
portée.» Pour faire face à la chute des
recettes budgétaires, le Premier
ministre a évoqué la bancarisation de
l'argent qui circule dans la sphère
informelle de l'économie qui pourrait
être mobilisé, selon lui, pour financer
et le budget de l'État et les secteurs
de l'économie formelle.(1)
L'Algérie a les moyens de surpasser
la crise et d'opérer sa transition
économique. La chute des prix du pétrole
accentuée au second semestre 2014, pour
poursuivre sur la même cadence à la
baisse en 2015, sur la base d'un
pessimisme prédisant le maintien de la
tendance à la baisse des cours de l'or
noir à moyen terme, a fait que l'État
ait entrepris une série de mesures
anticipatives destinées à amortir le
choc. Rationalisation des dépenses,
révision budgétaire et contrôle de la
facture des importations sont parmi les
mesures décidées pour juguler les effets
de cette crise.
Le professeur Sid Ali Boukrami,
ancien ministre, qui a piloté le premier
panel a d'emblée situé les enjeux en
décrivant la situation internationale et
en affirmant que l'essentiel de la
croissance en Europe est dû au transfert
de rente des pays exportateurs vers les
pays consommateurs.
Mourad Preure spécialiste de
l'énergie, directeur du cabinet Emergy,
a fait une projection des prix du
pétrole à moyen terme. Pour lui, la
chute des prix par le ralentissement de
la croissance économique mondiale (+3%
en 2014) et le fléchissement de la
demande, l'abondance de l'offre et la
forte progression du dollar américain.
S'agissant des pétroles et gaz de
schiste, il rejoint notre analyse que
les ressources non conventionnelles sont
portées par une bulle. La production des
schistes américains atteindra son
plafond l'année prochaine et leurs puits
déclineront à la fin de la décennie. Il
est vrai que le déclin des gisements
conventionnels est un fait. Les super
géants comme Gawahr en Arabie saoudite,
Hassi Messaoud, sont sur le déclin.
Pour un baril découvert, on en
consomme trois. Sur 2700 milliards de
barils (le potentiel total de la Terre)
1700 milliards ont été consommés. Nous
sommes réellement sur la pente
déclinante, même si ça et là il y a des
petits rebondissements (plateau ondulé).
Comme je l'ai observé en intervenant,
aucun des panélistes, mis à part Pr Omar
Aktouf, n'a parlé indirectement des
changements climatiques. Il faut savoir
en effet, que si on veut régler le
problème des 2°C d'élévation de
température, comme certains spécialistes
le recommandent il ne faut plus
consommer d'énergie fossile.
La COP 21 va nous présenter des scenarii
où on continuera toujours à brûler du
gaz, du charbon et du pétrole. Ce
dernier pouvant donner lieu en aval à
des milliers de produits pétrochimiques
est considéré comme un combustible.
D'ailleurs, l'investissement dans l'aval
a été proposé par une professeure
d'économie de Annaba.
Abdelmadjid Attar ancien ministre, a
mis en garde contre la hausse de la
consommation énergétique en Algérie qui
augmente selon ses termes, à un taux
insupportable. Il a également souligné
que l'Algérie n'est plus en mesure de
produire les mêmes volumes qu'avant vu
la dégradation des plus importants
gisements pétroliers à cause leur
surexploitation.
Sur un autre plan, le spécialiste en
économie El-Mouhoub Mouhoud a estimé
qu'il faudrait plutôt diversifier
l'économie en s'intégrant dans la chaîne
de valeur internationale. Pour ce faire,
il a recommandé de surfer sur la vague
de relocalisation à proximité des
marchés, des usines ayant migré en Asie
au début du mouvement de la
mondialisation. Une relocalisation
favorisée par la hausse des coûts de
transport et de main-d'oeuvre.
Pour Areski Rabah, économiste au FMI,
tout porte que nous sommes dans un
scénario baissier le baril peut même
descendre jusqu'à 20 dollars le baril.
Pour lui des transitions sont en train
de se faire; le fait de ne pas
développer les énergies fossiles à temps
peut se traduire, si la voiture
électrique se développe, par l'inutilité
de ces énergies. L'économiste du FMI
parle enfin du choc de simplification de
gouvernance et de formation à mettre en
place.
Le Pr Khelif appelle à ne pas être
obnubilé par la crise actuelle. C'est
une crise comme par le passé. Lui aussi
appelle à la diversification et au
décloisonnement intersectoriel tant il
est vrai que le problème de l'énergie
est transversal. Ce que nous avons
toujours proclamé.
Trois interventions ont
retenu mon attention
Tout d'abord celle de Monsieur Morte
Zabouri, de la division d'innovation et
d'intégration de Ottawa Canada. Ce
dernier a placé son intervention en
décrivant une rupture avec l'ordre
ancien. Il prend pour exemple la Chine
qui a développé le concept de
civilisation écologique versus
Civilisation noire. Le scoop est que le
monde passe graduellement à une économie
post- carbone. Il cite le cas du Brésil
qui investit des milliards de dollars
dans la recherche. Il cite le cas de
l'Allemagne qui arrive à produire 30% de
son énergie à partir des énergies
renouvelables. Pour lui 2020 est le
moment de la rupture d'avec l'ordre
ancien. Ce n'est plus la croissance qui
est recherchée mais le développement qui
peut augmenter même si la croissance est
faible. S'agissant de l'Algérie, son
avenir passe par le développement résolu
de l'agriculture. Il est à remarquer que
très peu ont parlé de l'agriculture
parmi les panélistes.
Le professeur Taieb Hasni de HEC
Montréal a fait parvenir sa contribution
et nous a gratifiés à partir de Montréal
de conseils pertinents et judicieux,
notamment concernant la formation des
hommes qui est le pivot de tout
développement
Pour le Pr Omar Aktouf professeur à
HEC Montréal, il faut repenser
l'évolution de ce monde. La conception
néoclassique libérale est dépassée. Il
cite Einstein qui dit qu'on ne peut pas
résoudre un problème avec le même mode
de pensée que celui qui l'a créé. En
clair, il faut changer de paradigme. Le
pétrole n'est pas un combustible ni même
un carburant, c'est la matière de base
de plusieurs milliers de produits
pétrochimiques. Par ailleurs, il cite le
rapport de l'Ocde qui parle du mythe de
la création du profit.
Pour lui, il faut penser l'économie
autrement et tordre le coup au mythe du
rattrapage. C'est le seul qui parle de
la capacité de la Terre en parlant de
l'overshoot day qui a été
dépassé le 13 août de cette année.
Depuis, nous vivons à crédit. A juste
titre, si on continue comme cela il nous
faudrait trois planètes en 2050.
S'agissant de l'Algérie il note des
causes structurelles. Il propose un
emprunt national avec la condition de
confiance du peuple. Il demande enfin à
prendre exemple sur la Malaisie et sur
la politique du Premier ministre Mahatir
sur le développement auto centré tout en
s'appuyant sur la formation et
l'éducation
Développement durable et
économie de la connaissance
Dans mon exposé, j'ai surtout insisté
sur la nécessité d'une transition
énergétique vers le développement
durable sur les économies d'énergie qui
sont à notre portée et qui peuvent nous
permettre de faire des économies en
millions de dollars, notamment le
traitement des déchets, l'introduction
du sirghaz et du CNC et la nécessité
d'une politique graduelle mais résolue
de vérité des prix. J'ai ensuite parlé
de la formation.
Comment prendre appui en prenant
résolument appui sur la connaissance? Le
savoir et l'innovation demeurent
assurément les garants ultimes d'une
émergence légitimement revendiquée par
l'Algérie. En 1977 le président Jimmy
Carter évoque la crise énergétique et
déclare: Si nous indexons le dollar sur
les matières premières, son potentiel
est grand, mais limité; si nous indexons
le dollar sur la connaissance, alors son
potentiel est infini.»
Il m'est agréable de signaler le cas
d'un jeune Français, Idriss, Aberkane,
brillant ingénieur mathématicien dont la
devise est: «L'imagination vous emmène
partout.» «Imaginez écrit-il, une
économie dont la ressource est infinie.
Imaginez une économie où, si vous donnez
quelque chose, il vous appartient
encore. Imaginez une économie où deux et
deux font cinq. Imaginez une économie où
le chômeur possède plus de pouvoir
d'achat que le salarié. Si les matières
premières sont finies, la connaissance
est infinie. l'économie de la
connaissance recouvre la totalité du
développement durable. Car une économie
croissante indexée sur les ressources,
même renouvelables, n'est pas durable.
Une économie croissante, indexée sur la
connaissance, est durable. (...) En 1984
Steve Jobs rencontre François Mitterrand
et affirme «le logiciel, c'est le
nouveau baril de pétrole». Trente ans
plus tard Apple possède une trésorerie
de la taille du PIB du Vietnam ou plus
de deux fois et demie la totalité du
fonds souverain algérien. L'homme le
plus riche du monde n'est pas un pétromonarque mais un magnat du
logiciel. La Corée du Sud, dont
l'économie croit
exponentiellement depuis
les années 1950 sans
quasiment aucune réserve
de matière première, a
expérimenté un ministère
de l'Economie de la
Connaissance, où quand
Barack Obama courtise
les meilleurs geeks de
son pays comme Elon Musk
et Taylor Wilson, et
qu'il en nomme même -
comme Steven Chu et
Ernest Moniz - ministre
de l'Energie, un poste
autrefois dévolu aux
vieux briscards des
hydrocarbures.» (1)
On doit à Mohamed Seghir
Babès, président du Cnes,
d'avoir pu et su ménager
les avis qui étaient au
départ, divergents et
les amener graduellement
à un consensus admis
partout et qui peut et
qui devrait servir de
feuille de route. Tant
il est vrai qu'il est
l'émanation d'avis
d'experts, dont la seule
ambition est de servir
leur pays en dehors de
toutes rodomontade ou de
stratégies du ya qu'à...
Toutes les
recommandations faites
sont bonnes, mais
nécessitent du temps
pour les mettre en
oeuvre. C'est notre plus
grand adversaire. Nous
devons inculquer un
niveau paradigme basé
sur la sobriété. Et le
développement durable.
Il nous faut nous
engager sans
atermoiements dans une
transition énergétique
qui nous permettra de
mettre en place la
vérité des prix de
l'énergie de l'eau, tout
en nous lançant d'une
façon résolue dans les
énergies renouvelables
et le développement
durable.
Nous devons revoir
les programmes
pédagogiques,
particulièrement dans
l'éducation et penser
notamment au
baccalauréat du
développement durable
dont les prolongements
seront pris en charge
dans les métiers aussi
bien à la Formation
professionnelle que dans
l'enseignement
supérieur. Retenons la
nécessité de réhabiliter
les mathématiques au
même titre d'ailleurs
que la formation
d'ingénieurs qui a été
laminée par le LMD pour
pouvoir s'attaquer à la
nouvelle économie qui
n'est plus celle de
l'industrie lourde mais
celle de la Robotique,
de l'intelligence
artificielle, des
nanotechnologies, des
énergies du futur?
Toutes contribuant à un
développement durable
lié à une sobriété qui
laisserait un viatique
aux générations futures.
La situation du pays
impose un consensus
politique sur les grands
défis. La transition
énergétique, le
sauvetage du système
éducatif ne doivent
souffrir de mon point de
vue aucun calcul, il y
va de l'avenir de ce
pays. En allant vers la
science et en parlant
vrai on incitera les
jeunes à l'effort, à
l'endurance et à la
performance à partir du
moment où ils adhèrent à
la démarche. C'est par
une adhésion de tout un
chacun que nous
surmonterons la crise
qui peut, si elle est
bien pensée, une réelle
opportunité pour
rebondir en tournant le
dos à la mentalité du
beylik et à l'illusion
de la rente.
1.
http://www.liberte-algerie.com/
actualite/le-gouvernement-a-lecoute-des-experts-233185
2
http://www.huffingtonpost.fr/idriss-j-aberkane/economie-de-la-connaissance_
b_5443212.html
Article de référence
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_
chitour/225799-l-avis-pertinent-des-experts.html
Professeur Chems
Eddine Chitour
Ecole Polytechnique
enp-edu.dz
Publié le 23 septembre 2015 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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