Comment je vois le
monde
La vieille Europe : Un déclin
multidimensionnel
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Samedi 22 mars 2014
«L'Empire n'a pas d'alliés, il n'a
que des vassaux»
Parole attribuée à Ignacio Ramonet
ancien directeur général du « Monde
Diplomatique »
Il est connu que les civilisations sont
mortelles comme l’écrit Paul Valéry. Il
en est de la civilisation européenne
qui, apparemment, donne des signes du
déclin. Avec l’Empire américain c’est
autour de l’Europe de vivre un drame
existentiel . Nous allons tenter dans
cette contribution d'apporter quelques
lumières sur l'anomie européenne due à
une cacophonie de 28 voix toutes plus
dissidentes les unes que les autres sur
des sujets aussi bien politiques
économiques que culturels voire éthiques
avec en plus les conséquences d'un
alignement aveugle sur les Etats-Unis.
L'Europe actuelle est exsangue,
revancharde, hargneuse, elle donne en
pâture à ses extrêmes, les allogènes que
sont les émigrés scories du guerroyage
colonial des Empires anglais, français
et à un degré moindre, belge,
néerlandais et allemand. Dans tout ce
marasme, seule l'Allemagne avec sa
puissance politique et surtout
économique tente de garder sa tête hors
de l'eau. La France de Hollande qui joue
les va-t-en-guerre en Syrie et qui a eu
à rétropédaler la France de Sarkozy et
de BHL qui a détruit la Libye et
participé au lynchage abject d'El
Gueddafi. Où en est - à titre d'exemple
- la France de De Gaulle qui a su et pu
se dresser contre l'Empire et l'hyperpuissance,
selon le bon mot d'Hubert Védrine ancien
ministre des Affaires étrangères.
L'Europe qui s'était fabriquée une
réputation de sanctuaire des droits de
l'homme et de la liberté avec les
«Lumières»- qui furent un siècle des
ténèbres, pour les nations colonisés- l'Habéas
Corpus, la déclaration de 1789, est en
train de perdre son âme. Nous le voyons
avec la législation drastique pour
traquer les sans-papiers mais pas sans
dignité véritable pour les damnés de la
terre à qui frappe au mirage du
supermarché européen. Ce fut le
chauvinisme de la prospérité comme
l’avait noter un philosophe. Et même
cela,-à savori la prospérité- appartient
au passé. Résultat des courses l’Europe
se « droitise de plus en plus » et pour
les élites dirigeantes tout est bon pour
capter l’électorat fut-il celui de
droite. L’essentiel est de durer.
L'apogée du hold up de l'Europe
en direction des nations faibles
Si on remonte loin dans l'histoire en ne
nous intéressant qu'à ces deux derniers
siècles, les Etats européens se sont
toujours livrés des guerres (souvenons
nous de la guerre de 100 ans entre la
France et la perfide Albion). Après la
débâcle napoléonienne et sûrement après
les Congrès de Vienne, les nations
européennes se sont mis d'accord pour
augmenter leur espace vital en dehors de
l'Europe.
Ceci s'est fait d'une façon
concomitttante avec ce que l'on appelle
la première révolution industrielle qui
a vu le développement spectaculaire de
l'industrie du charbon avec en parallèle
le développement de la sidérurgie et
donc l'industrie lourde qui a permis à
la fois le développement d'une
industrie, notamment des transports (les
premiers bateaux à vapeur) et de
l'armement. Pendant que le sultan de la
sublime porte en était encore au glaive
et à la lance, les Européens en étaient
aux canons. Résultat des courses:
l'homme malade de l'Europe ayant perdu
la bataille commença à être attaqué sur
la périphérie, l'indépendance de la
Grèce est le prélude à la curée qui se
termina près d'un siècle plus tard avec
les accords anglais de Sykes-Picot sur
le cadavre encore fumant de l'Empire
ottoman Les deux guerres mondiales ont
achevé d'assujettir l'Europe à la
remorque américaine à travers l'Otan,
exception faite pour la parenthèse de
Gaulle qui avait une certaine idée de la
France qu’il voulait indépendante aux
injonctions de l’Empire, indépendante de
la politique occidentale vis-à-vis des
Arabes…
Le déclin économique inexorable
On sait qu'après une guerre 1939-1945
atroce, l'Europe a été construite grâce
au plan Marshall américain qui a permis
aussi le développement spectaculaire de
l'économie américaine qui voyait dans
cette Europe exsangue un marché de près
de 200 millions de personnes. Ce fut
dit-on les Trente Glorieuses qui
permirent le développement de l'Europe
notamment de la France avec ce qu’il est
courant d’appeler les « tirailleurs
bétons » qui après avoir guerroyé pour
la France se sont mis ensuite à la
reconstruire. On sait qu’elle fut la
reconnaissance de la France, vis à vis
des émigrés qui furent l’es scories
d’une histoire coloniale.
Depuis la fin des années soixante dix,
l'Europe et notamment la France ne se
sont pas relevés.
Le passage de six à 28 partenaires a
encore plus problématisé le
fonctionnement d'une Europe qui
continuait à fasciner alors qu'elle
était une coquille vide. Les pays du sud
de l'Europe furent les premiers à subir
de plein fouet les crises qui proche en
proche, gagnèrent les poids lourds
(France, Italie, Royaume-Uni). Faut-il
imputer le déclin actuel de l'Europe à
l'émergence des pays émergents,
notamment les pays du Bric'S? Ou est-ce
ainsi inscrit dans ses gènes à savoir le
déclin comme l'avait montré il y a plus
de six siècles le père de la sociologie
universelle, Ibn Khaldoun dans sa
Muqqadima « les prolégomènes » . Pour
lui, les empires connaissent d'abord une
apogée fulgurante qui paraît durer 1000
ans, puis graduellement on s'aperçoit
d'un affaissement lent et inexorable qui
commence par les périphéries et qui
gagne graduellement le centre, il en fut
ainsi de l'Empire romain, de l'Empire
byzantin, la civilisation islamique et
plus «récemment», l'Empire ottoman.
S'agissant justement du déclin
économique apparemment inexorable ,
Christophe de Margerie, le dirigeant du
groupe pétrolier français Total, n'a pas
l'habitude de mâcher ses mots. Ecoutons:
le «A l'ouverture du Forum économique
mondial de Davos, mercredi 24 janvier,
il a estimé devant la presse que
«l'Europe devrait être reconsidérée
comme un pays émergent» et non «comme
une économie avancée au même titre que
les Etats-Unis ou le Japon». (...) » (1)
« Le patron de Total estime que
l'Europe, dont l'économie se débat dans
une croissance molle, un chômage élevé
et une inflation très faible, doit
«refonder son modèle économique». «Reshaping
the world» est d'ailleurs le thème de
Davos cette année. «Aujourd'hui nous
essayons juste de combattre ceux (les
pays émergents qui exportent beaucoup)
qui parfois fabriquent le même produit
(que nous Européens), moins cher»,
a-t-il dit, appelant à développer de
nouvelles compétences et à rétablir la
compétitivité. «Franchement, nous avons
besoin d'un nouveau départ. Arrêtons de
penser que nous pouvons redémarrer à
partir de choses qui ne peuvent plus
être sources de développement ou de
croissance pour nos pays». «L'Europe est
une région qui ne prend pas soin de son
avenir», a jugé kenneth Rogoff,
professeur d'économie à l'université de
Harvard, jugeant que le Vieux Continent
risquait de perdre toute une
génération.»(1)
La crise avec la Russie :
l’erreur de trop
La crise avec la Russie et les menaces
sur les fournitures de gaz contraignent
les dirigeants européens à un difficile
exercice pour maintenir l'UE unie face à
Moscou et éviter que s'enlise son
ambitieux projet pour le climat.
« Plus que jamais, lit-on sur une
cotnribution d’Euractiv, les Européens
sont divisés sur les nouveaux objectifs
de réduction des émissions de gaz à
effet de serre de l'UE pour 2030
proposés par la Commission européenne.
Bruxelles appelle l'UE à réduire pour
2030 ses émissions de 40% par rapport à
leur niveau de 1990. Elle prône
également de porter à au moins 27% la
part des énergies renouvelables dans le
bouquet énergétique de l'UE et
recommande de réaliser 25% d'économies
d'énergie.». Première conséquence:
plusieurs Etats refusent de prendre un
quelconque engagement pour de nouveaux
objectifs contraignants de limitations
des émissions de gaz à effet de serre.
«La réduction de 40% ne fait pas
consensus», reconnaît une source
française. (...) La Pologne et les pays
d'Europe orientale veulent connaître les
engagements des autres grands pollueurs,
notamment les Etats-Unis, la Chine et la
Russie. L'Italie veut que soient prises
en compte «les capacités de financement
et des capacités de dépense des
Etats».(2)
«Mariano Rajoy, a annoncé son intention
de batailler pour la réalisation de «Midcat»,
le projet de gazoduc via la France dont
la réalisation vient d'être reportée. La
crise avec la Russie lui fournit de
nouveaux arguments. «Si Midcat était
opérationnel, il pourrait acheminer
d'Afrique du Nord l'équivalent de la
moitié du gaz qui vient de Russie via
l'Ukraine», a-t-il soutenu. «J'espère
que nos voisins français vont
comprendre.» L'UE dépend
considérablement du gaz russe. Gazprom a
vendu 133 milliards de m3 aux pays de
l'UE en 2013, soit une hausse de 16,3%
par rapport à 2012. Ces achats couvrent
25% de la consommation de l'UE, avec de
grandes disparités. Les principaux
acheteurs ont été l'Allemagne (40
milliards de m3), l'Italie (25,3
milliards) et le Royaume-Uni (12,4
milliards). Et plusieurs Etats
-Lituanie, Lettonie, Estonie, Finlande,
Pologne, Hongrie, Slovaquie et Bulgarie-
sont totalement dépendants des
fournitures russes. Cette situation se
traduit par une grande frilosité devant
la perspective d'une guerre commerciale
avec Moscou.» (2)
Les Européens peuvent toujours
sanctionner virtuellement, Poutine n'en
n'a cure! Il a tous les atouts en main:
le gaz, le pétrole, l'uranium, les
terres rares, tous les métaux existants
y compris les métaux précieux, le
charbon, la technologie de pointe y
compris militaire, l'agriculture, et ce
qui est le plus rare: le soutien du
peuple russe qui, contrairement à ce
qu'en disent les médias, est totalement
derrière lui dans ce bras de fer engagé
par la «communauté internationale»,
c'est-à-dire huit pays sur 220! Les
sanctions économiques? La Russie, qui ne
manque de rien pour son développement,
peut parfaitement vivre en autarcie
comme l'U.r.s.s. le fit durant des
années, mais je doute que les Européens
puissent le supporter longtemps! Mais
elle dispose d'un énorme marché
d'exportation vers le Sud-Est asiatique
depuis des années, et là, pas question
d'un blocus, sinon c'est la guerre et il
ne faut pas oublier que la Chine et
l'Inde sont alliés de la Russie.
Un petit exemple de la puissance
déstabilisatrice de la Russie qui vient
de décréter il y a un mois un embargo
sur le porc européen. La Commission a
intimé l'ordre aux pays membres de
stopper les contacts bilatéraux avec la
Russie à propos de la filière porcine...
Ces contacts bilatéraux ne sont guère du
goût de la Commission, qui a «intimé
l'ordre aux États membres d'interrompre
les discussions bilatérales.» Bruxelles
a «réclamé que l'UE parle d'une seule
voix d'autant qu'il est dans l'intérêt
de la Russie de diviser les Européens».
(3)
Où va la vieille Europe?
Ce qui se passe depuis quelques mois en
Europe préfigure une accélération de
l'anomie. Ce lent délitement
pluridimensionnel est lié à plusieurs
causes à la fois d'autres économiques et
financières mais aussi d'ordre éthique
avec notamment le débat sur la théorie
du genre…
Avec sa lucidité coutumière Hubert
Védrine nous donne sa vision de
l'Europe. Pierre Haski rapporte ses
propos: «L'occasion était donnée par un
débat à l'Académie diplomatique
internationale -dirigée par Jean-Claude
Cousseran autour d'un recueil de textes
d'Hubert Védrine entre 2003 et 2009, «Le
Temps des chimères» (Fayard). Hubert
Védrine parle de chimères. Les
«chimères»? De belles idées véhiculées
par l'Occident au temps de sa splendeur,
comme son «assurance universaliste», le
«monopole du leadership occidental», une
«vision simpliste du prosélytisme
démocratique», le «droit-de-l'hommisme»
ou le «manichéisme». Sans oublier le
«devoir d'ingérence» cher à Bernard
Kouchner, qu'il rapproche du «logiciel
caché profond» de l'Occident:
«l'évangélisation.» Autant de vaches
sacrées occidentales que pourfend
l'ancien chef de la diplomatie.» (5)
«(...) Il faut écouter Védrine poursuit
Pierre Haski, quand il décrète que ces
idées dominantes en Occident ont
«échoué» ou ont été «brutalement remises
en cause». Et qu'il faut se préparer à
un choc plutôt rude dans la partie qui
s'engage pour la définition du nouveau
monde, comme le laisse présager
l'assurance retrouvée de la Chine.
Védrine prévient dans la préface de son
livre: «Où en sommes-nous en 2009-2010?
Dans le temps long, non pas à
l'avènement d'un «monde multipolaire»
plus juste, plus harmonieux et forcément
stable, mais au début d'une longue
redistribution des cartes qui prendra la
forme d'une bagarre ou, en tout cas,
d'une compétition multipolaire.» (...) »
(5)
« Hubert Védrine prédit que l'Europe
«mourra d'obésité ou de liquéfaction» si
elle ne règle pas ses incertitudes. Il
s'en prend à ceux qui pensent vivre dans
«une grande Suisse». Et il en a autant
pour la France, dont il dénonce la
«marginalisation intellectuelle». Il
s'en prend à «tant d'excès, d'outrances,
de panique, de généralisations» dans les
débats sur la citoyenneté et
l'intégration, ajoutant: «Quelques
burqas et la République serait en
danger? Pourquoi un tel manque de
confiance en soi?» (...)» Cette crise
qui fait que l'Europe s'accroche à des
rêves du passé a déjà été dénoncée
Donald Rumsfeld, parlait lui aussi de la
«vieille Europe» qui, à son corps
défendant, n'a pas voulu cautionner
l'aventure bushienne en Irak. Ce fut son
dernier éclair de lucidité ». (5)
Pour l'ambassadeur singapourien
Maybubani, auteur d'un remarquable
ouvrage sur le «nouveau monde» il est
temps de regarder la réalité en face. Il
reproche à l'Europe sa myopie, son
autosatisfaction et son égocentrisme. Il
relève en particulier que l'Europe a
failli à s'engager vraiment en faveur de
ses voisins: «Ni les Balkans ni
l'Afrique du Nord n'ont bénéficié de
leur proximité avec l'Union européenne.»
Cependant, au XXIe siècle, le déclin de
l'Occident en termes d'abandon de ses
valeurs qui, en définitive, ne sont pas
valables en dehors du sanctuaire
européen, a été accéléré en particulier
par les États-Unis sous le gouvernement
de George W.Bush.
Enfin, dans son essai: «Une brève
histoire de l'avenir» paru en 2006,
Attali avait mis en garde «... ce n'est
pas l'Afrique de demain qui ressemblera
un jour à l'Occident d'aujourd'hui, mais
l'Occident tout entier qui pourrait
demain faire songer à l'Afrique
d'aujourd'hui». (4)
Les choses auraient pu se passer
autrement si la sagesse avait prévalu.
Si après 1989, l'Otan qui comme le Pacte
de Varsovie n'avait plus sa raison
d'être. L'Empire avait décidé de prendre
en otage le monde avec l'aide de ses
lieutenants aux ordres. En 1991 lUnion
soviétique s'effondrait et avec elle la
menace militaire qu'elle représentait.
En effet, immédiatement, la Russie
nouvelle sabordait le Traité de
Varsovie. La réponse des U.S.A est de
placer de plus en plus de bases aux
frontières avec la Russie. Ce furent les
épisodes du démembrement de la
Yougoslavie et de la Serbie, puis des
´´révolutions oranges´´ téléguidées
depuis Washington. Aujourd'hui, Russie
et «Occident» sont à nouveau face à face
à l'occasion de la crise ukrainienne.
Souvenons-nous de ces mains tendues...
Gorbatchev et sa «Maison commune»,
Poutine et sa «Grande Europe»... Autant
de plaidoyers pour un partenariat
euro-russe enterré par les dirigeants
inféodés à Washington tels les Tony
Blair, Cameron, Sarkozy-Hollande, Fabius
avec leur âme damnée Bernard-Henri Lévy.
Concrètement, l'Otan divise, émiette le
continent... Si elle continue ainsi, les
problèmes réels de l'Europe sont devant
elle. Un homme d'Etat américain résume
magistralement la situation
euro-américaine: «Le dollar est notre
monnaie, mais c'est votre problème.»
Tout est dit.
1.
http://www.latribune.fr/blogs/inside-davos/20140122trib000811230/le-declin-de-l-europe-selon-davos-et-le-patron-de-total.html
2.
http://www.goodplanet.info/actualite/2014/03/20/la-crise-avec-la-russie-brouille-les-ambitions-climatiques-de-lue/?utm_source=feedburner&utm_medium=email&utm_campaign=Feed
3A+Goodplanetinfo+%28Les+D%C3%A9p%C3%AAches+GoodPlanet.info+%29#sthash.0d0Y8Y3y.dpuf
3.
http://www.euractiv.fr/specialreport-agriculture/lembargo-russe-sur-le-porc-europ-news-534255
4. C.E. Chitour
http://www.legrandsoir.info/
Declin-du-sens-Ou-va-la-vieille-Europe.html
5. Pierre: «Quelques burqas et la
République serait en danger?» Rue89
26/04/2010
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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