Algérie en phase
avec le mouvement du monde
Pour un modèle de croissance
Une transition vers un développement
humain durable
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Mardi 17 mai 2016
«Il y a
crise quand l'ancien monde ne veut pas
mourir et que le nouveau monde ne veut
pas naître.»
Antonio Gramsci
Il y a quelques jours une dépêche de
l'APS a inquiété plus d'un. Elle
annonçait que les dépenses budgétaires
ont augmenté à près de 2 040 milliards
de dinars sur les deux premiers mois
2016, contre 1 222,6 milliards de dinars
sur la même période 2015, soit une
hausse de 66,85%. En dehors de
l'explosion du niveau des dépenses de
l'État (+34% sur les deux premiers mois
de 2016, rien que pour le budget de
fonctionnement), l'information
inquiétante a trait au solde du Fonds de
régulation des recettes (FRR).
Au rythme actuel des dépenses
publiques, le FRR sera épuisé en juin
2016. Pour le ministre des Finances,
l'aggravation du déficit du Trésor fait
que «le pays a atteint le seuil d'insoutenabilité
en matière de dépense publique». Ce qui
veut dire que l'État n'a plus les
ressources pour financer ses dépenses.
Le ministre propose «de trouver des
sources de substitution aux pertes
causées par la chute des prix du
pétrole». Pour cela, «il faut mobiliser
toutes les ressources internes, en
particulier les recettes ordinaires et
les fonds informels, lesquels seront
exploités pour financer des projets
pouvant apporter une plus-value et un
retour sur investissement».
On le voit, le modèle de
développement de l'Algérie repose
fortement sur la dépense publique. Voici
venu le temps des réformes. Même un pays
rentier comme l'Arabie saoudite a fini
par le comprendre et a mis en place un
plan ambitieux de réformes avec
notamment une augmentation importante du
prix des carburants. Il y a nécessité
d'engager très rapidement une réforme
budgétaire, graduelle, mais soutenue. Il
faut agir surtout sur les dépenses de
fonctionnement, les transferts sociaux
et les subventions et maintenir les
dépenses d'investissement. Le
gouvernement doit prendre des décisions
difficiles, à commencer par la refonte
de la politique de subventions.
S'il est important de parer au plus
pressé pour restituer les grands
équilibres économiques, il est
nécessaire dans une vision de moyen
terme de poser les vrais jalons d'une
vision de l'Algérie de 2030 adossée à la
réalité du monde, notamment le passage
inexorable vers les énergies non
carbonées pour répondre aux défis
climatiques. De ce fait, il nous incombe
de proposer des pistes de
rationalisation de la dépense, de
création de richesses, tout ceci dans
une perspective qui est la nécessité
d'aller vers une transition prônant
l'épanouissement des Algériennes et des
Algériens dans un contexte de
développement humain durable où personne
n'est laissé sur le bord de la route,
qui exclut tout assistanat, mais la
contribution de chacun.
Les
contraintes
Il ne faut pas s'attendre à ce que
les prix crèvent le plafond. Ce serait
une bonne chose si le pétrole termine à
45 dollars en 2016 même si actuellement
le pays tend vers 50$. L'EIA prévoit 51
dollars en 2017 et l'Opep prévoit un
gain de 5 dollars par an jusqu'en 2020.
Autre nouvelle, les Etats-Unis
commencent à exporter du gaz de schiste
liquéfié en Europe; les premières
cargaisons sont arrivées à un prix de 3
dollars le million de BTU. Cela posera
un problème au gaz algérien cette
concurrence américaine avec un gaz bradé
(3 fois plus que le gaz algérien dont la
fin de contrat se fera prochainement! il
faut y ajouter en dehors de Gazprom et
le gaz qatari l'arrivée du gaz égyptien
et israélien (palestinien). Pour toutes
ces raisons, il nous faut augmenter la
rentabilité des puits sans les épuiser
et, de la prospection. Mais les plus
grands gains se feront avec le gaz
naturel non gaspillé et les carburants
non gaspillés.
Le modèle
économique algérien: nécessité d'une
transition
Il serait sage de ne pas compter
outre mesure sur cette manne mais de
mettre sans tarder les ajustements
nécessaires. Cependant s'il est
impératif de revoir le modèle de
croissance et le mode de financement
pour tenir les grands équilibres dans
l'immédiat, il est néanmoins important
de mon point de vue d'aller en
profondeur. Une feuille de route pour
une transition économique vers le
«Développement humain durable» pour
notre pays pour les prochaines années
s'avère urgente et indispensable. Cette
nouvelle vision: le premier, et
certainement le plus urgent, est de
rétablir des équilibres financiers et
budgétaires qui étaient déjà fragiles
avant la chute du baril et que la crise
des marchés pétroliers a plongé dans des
déficits abyssaux. Car à ce rythme il ne
faut pas être grand clerc concernant des
déficits budgétaires supérieurs à 15% du
PIB jusqu'en 2017, des déficits de la
balance des paiements supérieurs à 30
milliards de dollars au moins pour les
deux prochaines années, des réserves de
change en chute libre et réduites à un
peu plus de 90 milliards de dollars fin
2017...
La réforme
des subventions.
Le diagnostic sur le système de
subventions est aujourd'hui généralement
partagé. Chacun sait que l'essentiel des
subventions ce sont les classes
relativement aisées qui en profitent le
plus! Un exemple: un 4x4 qui consomme 20
litres aux 100 km à 30 DA le litre,
c'est 600 DA. S'il devait payer au prix
réel d'au moins 60 DA, c'est 1200 DA.
Celui qui possède une voiture à 5 litres
aux 100 km paiera 150 DA, il a eu une
subvention de 150 DA contre 600 DA pour
celui qui a un 4x4. Les mêmes exemples
sont à prendre pour l'eau,
l'électricité,...
Les ressources de la collectivité (près
de 30% du PIB) favorisent la
surconsommation et le gaspillage et
aussi l'hémorragie aux frontières qui
fait que l'Algérie a importé pour 3
milliards de dollars en 2014 de
carburant à 1 dollar le litre revendu 6
fois moins. Il nous faut passer d'un
système de subventions tous azimuts à
des subventions ciblées par la mise en
place de carte de rationalisation de la
consommation d'énergie et même de pain
comme cela a été le cas en Egypte où ce
fut une réussite.
La
rationalisation de la dépense
Comment fixer, au-delà du cap de la
rationalisation de la dépense, une
feuille de route qui fait la chasse au
gaspillage pour agir comme justement il
a été dit «faire mieux avec moins de
ressources». Dans ce qui suit, sans être
exhaustif, nous allons citer quelques
domaines où il est possible, sans
diminuer la qualité des prestations
faire mieux avec moins de dépenses.
Ainsi, dans le système éducatif (1200
milliards de DA) il est tout à fait
possible d'arriver à 10% d'économie.
Pourquoi systématiquement chaque année,
construire des centaines de classes
d'écoles, des dizaines de lycées et
d'universités? Le bâti actuel en
infrastructures devrait s'il est
optimisé permettre au pays d'avoir un
sursis qui lui permet de construire bien
et beau. Comment? «En théorie, nous
n'avons plus besoin de construire
d'infrastructures pour le système
éducatif pendant au moins trois ans.» Du
fait que l'on peut optimiser le
fonctionnement au moins par la double
vacation à l'école, au lycée et à
l'université qui ne fonctionne que 8
heures/jour. Le gain de temps sera mis à
profit par l'Etat pour améliorer la
qualité et aussi donner un sursis
financier au pays. L'exemple du système
éducatif peut être étendu à tous les
départements ministériels qui devraient
faire des propositions en ce sens.
Un
développement humain durable
mobilisateur
Parmi les chantiers possibles qui
montrent une vision nouvelle déjà
existante de par le monde, celle de
mettre en place le «Développement humain
durable». C'est en fait la
rationalisation de l'utilisation de la
ressource couplée à la protection de
l'environnement et à la création de
richesse. La rationalisation de la
ressource consiste à consommer moins en
consommant mieux. Préserver
l'environnement. «Economiser les
énergies fossiles pour laisser un
viatique aux générations futures.»
Toujours dans le cadre du développement
durable et de l'optimisation de la
ressource gérée au plus juste, il pourra
s'avérer nécessaire d'étendre d'une
façon résolue la e-administration qui
permet de gagner du temps et de
l'argent. Dans certains pays la
délivrance d'une pièce officielle est
payante. Pourquoi ne pas instituer ces
redevances qui sont des sources de
financements participatifs?
L'aménagement de l'espace, le
développement économique,
l'environnement (l'eau, les ordures
ménagères, la biodiversité,
l'assainissement), la voirie
intercommunale, l'habitat, le cadre de
vie, les services de proximité à la
population. Le développement durable
interroge l'ensemble des acteurs de
terrain. Le développement humain durable
oblige à relever plusieurs défis qui
participent de l'élévation de la qualité
de la vie Les défis environnementaux: la
disponibilité et la qualité de la
ressource en eau, la préservation de la
biodiversité, la consommation de
foncier, l'anticipation face à la
diminution des énergies fossiles, la
lutte contre l'effet de serre, la lutte
contre les nuisances, la gestion des
déchets... et des décharges qui sont des
mines d'or qui se chiffrent en centaines
de millions de dinars. Les défis
économiques: le passage d'une économie
du «plus» à une économie du «mieux», le
lien croissant entre agriculture et
alimentation des habitants. Le but en se
fixant un objectif d'économie est
d'amorcer un mouvement d'entraînement de
la machine sociale. Même si on n'arrive
pas par exemple à l'objectif de 10%
d'économie globale sur le budget,
l'essentiel est de commencer. Les défis
sociaux: l'augmentation des situations
de précarité, la demande sociale en
logement, l'organisation de la mobilité,
la prévention des risques naturels et
technologiques...
Chaque wilaya devrait créer son
poumon vert. Bannir le béton. Dans ce
cadre, la plantation d'arbres. Rien que
l'engagement du système éducatif
permettrait la plantation annuelle de 10
millions d'arbres à croissance rapide
qui réhabiliteront la forêt et qui
participeront de l'écocitoyenneté. Cela
est valable aussi pour les grandes
entreprises qui se doivent d'adopter
cette tradition (Sonatrach, Sonelgaz,
Naftal, Sntf...) L'écocitoyenneté se
décline d'abord à l'école où des
matières incitant à la préservation de
la nature doivent être enseignées pour
arriver au niveau secondaire à
un baccalauréat du développement durable
et plus loin encore aux diplômes
d'enseignement supérieur débouchant sur
les métiers du développement durable.
Donner une seconde vie aux choses: en
recyclant sans acheter, en organisant
des opérations de foire semestrielle,
pour les échanges en favorisant des
projets porteurs en consommant moins, en
consommant mieux et en étant solidaire
d'une commune à une autre en mutualisant
des moyens lourds. Ceci est valable
aussi pour les équipements des écoles,
des lycées, des universités. Cela
donnera une rentabilisation des moyens
et un meilleur entretien. Chacun devrait
faire l'inventaire de ce qu'il a pour
éviter les doubles emplois et les
doubles acquisitions au niveau des
wilayas et des daïras. Il reste à mettre
en oeuvre à marche forcée les
technologies de l'Internet. A titre
d'exemple, de rationalisation et de
l'économie on peut penser à éviter les
réunions en mettant en oeuvre les
télé-conférences et faire profiter à
distance les intervenants Cela sera un
gain de temps et d'argent très
important, de santé, une diminution des
risques d'accident et une préservation
de l'environnement par la diminution de
la consommation de carburants qui se
chiffrent en dizaines de millions de DA.
Seule une vision d'ensemble où la
compétence sera à l'honneur et -en
mettant tout à plat avec nos forces et
nos faiblesses- permettra de gagner des
challenges
Le développement humain durable est
aussi un levier pour aussi créer de la
richesse. Il n'est que de voir comment
le tri sélectif permet de récupérer les
métaux, le plastique, le verre, le
papier à qui il est possible de donner
une seconde vie en réduisant les
importations.
Stratégie de
mise en œuvre de la transition
énergétique
Une transition énergétique vers un
«Développement humain durable» présente
une série de stratégies à long terme
dans des domaines comme le transport,
l'énergie et le changement climatique.
Pour cela il est nécessaire de faire un
Etat des lieux sans complaisance du mode
de consommation guidé par la demande. Il
nous faut aussi nous concentrer sur des
solutions innovantes pour mobiliser les
investissements dans les domaines de
l'énergie, des transports. Sur la base
de données fiables et d'une analyse
exhaustive de la situation actuelle par
modélisation et par étude de scénarios.
Cette projection nous permettra de
dimensionner le parc électrique à mettre
en place pour satisfaire 100tWh soit
l'équivalent de 40.000 MW (actuellement
environ 17.000MW) à mettre en place avec
d'abord des économies d'énergie,
notamment par la diminution aussi de
l'intensité énergétique. L'apport
conséquent des énergies renouvelables
(plan Marshall) pluridimensionnel où il
nous faudra faire preuve d'imagination
en commençant à réhabiliter la biomasse
potentiel sous-utilisée est évaluée à 3
millions de tep. Il s'agira de mettre en
place un Plan solaire, un Plan éolien,
un Plan géothermie avec 280 sources
recensées qui attendent d'être
exploitées, un Plan hydraulique...
Le
développement du Sud avec de nouvelles
villes
Les atouts de l'Algérie sont connus.
On ne met en avant que les hydrocarbures
alors que l'Algérie est un grand pays
disposant au Sud d'une nappe phréatique
de 45.000 milliards de m3 qui peut
permettre l'émergence d'une seconde
Californie. La création de villes
nouvelles disposant des centrales
solaires éoliennes et même géothermiques
c'est autant de lieux de vie de création
de richesse qui permettront de dégorger
le Nord et donner une utopie aux jeunes
pour les mobiliser
Le vivre
ensemble meilleur ciment de la nation
Enfin, nous ne pouvons conclure sans
parler du vivre ensemble. Dans un
environnement de plus en plus chaotique,
il nous faut plus que jamais insister
sur l'unité dans la diversité. Il y a
des situations où un jeune naît, étudie
au primaire, au lycée, va à
l'université, travaille dans la même
ville. Chaque région devra
inlassablement permettre et prôner le
vivre ensemble qui est de mon point de
vue le premier chantier. Tout doit être
fait pour aboutir à cette harmonie qui
fait que la République a une immense
volonté d'intégration.
Le Service national devrait continuer
à être le creuset du vivre ensemble.
Ainsi, les universités devraient se
spécialiser avec pour certaines
disciplines des recrutements nationaux.
Il en est de même de certains lycées qui
devraient se spécialiser au moins à
l'échelle de la wilaya. C'est aussi le
rôle du tourisme dont l'activité
pourrait être un immense melting-pot des
Algériens entre eux.
C'est ce type de mesures qui nous
prémuniront des dérives contre,
notamment le régionalisme et la
tentation totalitaire. Faisons place à
l'imagination. On sait que les hôtels
cinq étoiles ne sont pas fréquentés par
les Algériens. Pourquoi alors à titre
d'exemple, ne pas mettre en place des
formules diverses comme ailleurs?
Construire sur la base de modèles
spécifiques à l'architecture de chaque
région, des petits ensembles modestes,
mais contenant toutes les commodités à
des prix abordables.
On peut même dans ce cadre,
construire des centaines de petits
ensembles qui feront que les Algériens
iront à la connaissance de leur pays en
misant sur le tourisme interne qui
ferait gagner 1 milliard de dollars
minimum que les Algériens dépensent à
l'étranger. Le même effort est à faire
pour le tourisme des jeunes dans des
endroits touristiques judicieux pour
quadriller l'Algérie. Même le sport et
la culture sont concernés par le vivre
ensemble. Tout ce qui peut permettre de
stimuler l'intelligence doit être
constamment encouragé.
Indépendamment du fait que le sport
au lycée et à l'université devrait faire
l'objet d'un projet d'ensemble pour
mettre en place des lieux de vie
communs. Le monde bouge, l'Algérie
devrait sans tarder prendre le train du
progrès. Ce n'est pas une question de
moyens, c'est une question de bon sens,
de dévouement, du respect du bien
public. Une démarche d'ensemble
permettrait de sauver l'Algérie. Après
avoir été pessimiste dans l'analyse,
nous devons peut-être imiter Antonio
Gramsci qui propose d'agir d'une façon
optimiste.
Article de référence :
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_
chitour/241423-une-transition-vers-un-developpement-humain-durable.html
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique
enp-edu.dz
Publié le 17 mai
2016 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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