Comment je
vois le monde
Sharon s'en va :
Le calvaire palestinien continue
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Lundi 13 janvier 2014
«Quand
naquit l'Etat (d'Israël) personne ne lui
reprocha l'épuration ethnique sur
laquelle il s'était fondé, un crime
contre l'humanité commis par ceux qui la
planifièrent et la réalisèrent. Dès ce
moment-là, l'épuration ethnique devient
une idéologie. Discours toujours valide
aujourd'hui, parce que le premier
objectif reste démographique: obtenir la
plus grande quantité de terre avec le
plus petit nombre d'Arabes.»
Ilian
Pappe (Il Manifesto)
Ariel Sharon est mort 3000 jours après
être rentré dans un coma dont il ne
s'est pas réveillé. S'il faut saluer une
prouesse technologique, on peut
s'interroger quelle est la finalité de
cet acharnement thérapeutique couteux
qui veut le maintenir en vie. De fait,
Ariel Sharon était absent de la scène
politique mais ce n'est que maintenant
que l'on peut évoquer ce que fut
l'homme, quel fut son credo. Pourquoi
son nom est associé au malheur des
Palestiniens. Parmi les réactions, nous
rapportons celle des dirigeants
palestiniens qui ont qualifié
l'ex-Premier ministre de «criminel»,
déplorant qu'il n'ait pas été traduit
devant la justice internationale.
Jusqu'à la mort, en novembre 2004, de
Yasser Arafat, qu'il avait fait assiéger
par les chars israéliens depuis décembre
2001, Sharon avait multiplié les menaces
à son encontre, nourrissant les soupçons
d'un empoisonnement, qu'Israël a
toujours nié.
Bill Clinton au nom de son couple
déclare: «Ce fut un honneur de
travailler avec lui, et de le voir
toujours en train de chercher la bonne
voie pour son pays adoré.» François
Hollande a déclaré «qu'Ariel Sharon a
été un acteur majeur dans l'histoire de
son pays. Après une longue carrière
militaire et politique, il a fait le
choix de se tourner vers le dialogue
avec les Palestiniens». Nous verrons
qu'Ariel Sharon a toujours méprisé les
Palestiniens. Il disait qu'Israël avait
son Bin Laden en la personne de Yasser
Arafat. Pour Denis Roos ancien
négociateur américain, ce qui distingue
Arafat de Sharon est que le premier
promet n'importe quoi et ne tient pas
parole alors que Sharon ne promet rien
et les rares fois qu'il promet, il tient
parole...
Qui est Ariel Sharon?
Né dans le Yichouv (implantation juive
dans la Palestine d'avant 1947), à Kfar
Malal, le 26 février 1928. Sa mère et
son père Dvora et Shmuel Scheinerman
sont venus de Biélorussie et de Pologne
en 1920 dans la Palestine mandataire.
Ariel Sharon avait été marqué pendant
son enfance par la montée des tensions
entre les autochtones arabes et les
migrants juifs des aliyas («émigration
en Israël») successives. Pendant la
guerre d'indépendance, en 1948, il se
fait remarquer par sa combativité et
c'est donc à lui qu'est confiée en 1953
l'unité 101 chargée de conduire des
représailles après les coups de main
palestiniens à partir de la Jordanie, de
l'Egypte ou de Ghaza. Controversée,
notamment après le massacre de civils à
Qibya, en Jordanie.
Le massacre de Qibya
Il n'est pas possible dans le cadre de
cette étude de faire un bilan exhaustif
de toutes les guerres engagées et
perdues par les Arabes, exception
peut-être de celle du Hezbollah libanais
dans un autre contexte mais qui, pour la
première fois depuis 60 ans a mis à mal
la doxa occidentale sur l'invincibilité
d'Israël. En fait, jusqu'en mai 1948,
déclenchement de la première guerre
israélo-arabe, la tension monte, les
expulsions commencent. Le 15 mai,
environ 23.000 soldats arabes attaquent
Israël, qui dispose alors de 19.000
soldats. Libanais et Syriens rentrent
dans le Nord, les Egyptiens isolent des
kibboutz du Néguev, prennent Beer Sheva
et remontent vers Tel-Aviv. Mais les
forces juives reprennent rapidement le
dessus et poursuivent leur politique
d'expulsion. (1)
L'étude de Benny Morris, l'un de ceux
que l'on nomme les «nouveaux historiens»
israéliens, est révélatrice. Il rappelle
que les Palestiniens n'ont pas choisi
l'exil pour la plupart d'entre eux, mais
qu'ils furent chassés par les troupes
juives. Pour les 369 villes et villages
arabes de l'Etat israélien et des zones
qui passeront sous contrôle israélien
avant la fin du conflit, il établit les
causes du départ des habitants. 228
villes et villages ont été désertés sous
les attaques juives, 41 donnant lieu à
une expulsion manu militari. 90 villages
se sont vidés de leur population,
affolée par les témoignages de
massacres, notamment celui de Deir
Yassine. Pour 45 cas, Benny Morris avoue
ignorer les causes du départ. Dans
seulement 6 cas, le départ s'est fait à
l'appel des autorités locales arabes. En
fait, entre 800 000 et 900 000
Palestiniens sont devenus réfugiés par
la politique d'expulsion israélienne.
Cette tragédie humanitaire, la Nakba,
est toujours ignorée par Israël. Au
total, cinq vagues successives marquent
l'exode. Les raids de l'Irgoun et du
Lehi vident, par de violentes
expulsions, des quartiers arabes de
Jaffa, Jérusalem-Ouest, ainsi que de
quelques villages ruraux. Le plan Dalet
mis en action lors de la
contre-offensive juive crée une deuxième
vague de l'exode qui s'étale d'avril à
juin 1948, marqué en avril 1948 par le
massacre de 250 habitants du village de
Deir Yassine par les miliciens de
l'Irgoun et du Lehi.»(2)
« Quand Haïfa est attaquée par la Hagana,
les troupes ont ordre de «tuer tout
arabe rencontré». Maisons incendiées ou
dynamités, expulsions lorsque les Arabes
n'ont pas fui, se produisent dans tout
le pays. Un rapport rédigé par les
services de renseignements de l'armée
israélienne daté du 30 juin 1948 estime
à près de 400.000 les habitants
palestiniens qui ont quitté le
territoire à ce jour et affirme que près
des trois quart des départs ont été
directement provoqués par les
Israéliens. «Les nouveaux historiens»
affirment, aujourd'hui, que toute cette
politique d'expulsion a été voulue et
organisée par Ben Gourion, souhaitant
notamment une Galilée «propre et vide»
d'Arabes « (2)
Ariel Sharon, jeune militaire, s'est
illustré sur le terrain, il aurait
réitéré ses souhaits, critiquant
l'état-major, qui faisait preuve selon
lui de trop de «retenue face aux
Arabes». David Ben Gourion lui demande
finalement de prendre la tête d'une
unité qui agira au-delà de la ligne
d'armistice Le 14 octobre 1953, l'Unité
101 commandée par Ariel Sharon rase le
village de Qibya situé en territoire
jordanien. Durant cette opération
baptisée Shoshana par Tsahal,
soixante-neuf civils (ou soixante-dix
selon les sources) sont tués dans le
dynamitage de leurs maisons,
principalement des femmes et des
enfants. De nombreux pays condamneront
ce massacre, dont les États-Unis qui
demanderont qu'en soient jugés les
auteurs. (...) Sharon déclarera avoir
cru les maisons vidées de leurs
habitants, son unité ayant mené, d'après
lui, les vérifications nécessaires avant
d'actionner les détonateurs. Cette
version israélienne a été immédiatement
remise en cause par le contre-amiral
Vagn Bennike, observateur de l'ONU, qui
dénonça le mode opératoire de l'Unité
101 consistant systématiquement à faire
feu sur les maisons, empêchant ainsi les
occupants d'en sortir, et les livrant de
fait à une mort certaine.. Le 24
novembre, le Conseil de sécurité des
Nations unies adopte une résolution
condamnant Israël »(3.
Ce sera l'une des rares résolutions qui
demeurera sans effet sur Israël sûr de
son impunité. Lors de la guerre de
Ramadhan de 1973, à la suite notamment
de plusieurs manoeuvres grâce auxquelles
sa division aidée par les informations
américaines, franchit le canal de Suez
et qui permettent à Tsahal d'encercler
et d'isoler la IIIe armée égyptienne et
donne la victoire aux Israéliens. Ce qui
amena la «reddition» de l'Egypte sommée
de signer les accords de camp David
Sabra et Chatila
A l'été 1982, Ariel Sharon pèse de tout
son poids auprès de Menahem Begin en
faveur d'une opération massive
israélienne dans un Liban gangrené par
la guerre civile. Il s'agit pour lui
d'extirper de Beyrouth l'Organisation de
libération de la Palestine de Yasser
Arafat, mais les velléités d'Israël de
façonner un Liban selon ses intérêts se
heurtent ensuite à une insaisissable
réalité. En septembre, les massacres de
Sabra et de Chatila, représailles
phalangistes à l'assassinat du président
Béchir Gemayel, achèvent de retourner
l'opinion israélienne contre l'opération
«Paix en Galilée» et contre Ariel
Sharon. Une commission d'enquête
officielle confiée au juge Yitzhak
Kahane conclura à sa responsabilité pour
n'avoir ni prévu ni empêché les
massacres des camps de réfugiés
palestiniens de Sabra et Chatila,
perpétrés par une milice chrétienne,
alliée d'Israël. Une Commission
indépendante menée par le prix Nobel de
la paix Sean Mc Bride considère Israël
comme «directement responsable du
massacre du fait de sa position
d'occupant». Il n'y eut là aussi pas de
résolution du Conseil de sécurité contre
Israël. Les Etats-Unis veillent...
La suite du parcours d'Ariel
Sharon en politique
Ariel Sharon revient sur le devant de la
scène en tant que ministre de la
Construction et du Logement en 1992. Une
fonction qui lui va comme un gant. À ce
poste, il devient le héraut de la
colonisation israélienne des Territoires
palestiniens, lance de vastes projets
pour de nouvelles constructions avec
comme slogan: «Allez coloniser nos
collines.» Ariel Sharon se lance en
politique avec sa méthode brutale Il
sera le responsable de la deuxième
intifada par la provocation de visite de
l'esplanade des Mosquées en octobre
2000. En 2001, Ariel Sharon est élu au
poste de Premier ministre de l'État
d'Israël sur un programme portant
principalement sur la sécurité contre le
terrorisme palestinien. Il est réélu en
mars 2003, à la suite d'élections
anticipées intervenues après la fin du
gouvernement d'union nationale, à la
suite de la démission des travaillistes,
le 30 octobre 2002. Il stoppe toute
négociation avec Yasser Arafat qu'il
considère responsable de la situation et
lance une campagne de répression très
dure contre les activistes palestiniens.
Il entame également la construction
d'une barrière de séparation à
l'intérieur de la Cisjordanie et autour
de Jérusalem. En février 2004, il prend
tout le monde de court en décidant de
retirer unilatéralement l'armée et les
colons israéliens de Gaza.Ses
détracteurs l'accusent alors de vouloir
faire diversion pour escamoter des
affaires embarrassantes de financement
politique qui livrent ses fils Omri et
Gilad aux affres de procédures
judiciaires.» (4)
Comprenant la place du religieux, il
s'assure le soutien indéfectible de la
droite nationaliste et des organisations
de colons. Pourtant, il se met à dos une
partie d'entre eux en décidant, en août
2005, le retrait militaire israélien
unilatérale de la bande de Gaza et le
démantèlement des colonies installées
dans cette région. Pour lui, quitter G
aza lui permet de mieux occuper la
Cisjordanie. C'est ce qu'explique Dov
Weisglass, son conseiller, dans une
interview au quotidien Haaretz. «Ariel
Sharon a décidé de rendre Gaza, qu'il
n'a jamais considéré comme d'«intérêt
national», afin de sauver les colonies
de Cisjordanie, et, plus important
encore, d'empêcher tout accord.
Entre-temps, le 29 mars 2002, il lance
l'«opération Rempart» et réoccupe la
plupart des villes de Cisjordanie. Son
objectif est aussi de neutraliser Yasser
Arafat.Il s'y applique en lançant ses
chars à Ramallah contre la Moukataâ dans
laquelle vit le président Arafat.
Celui-ci est encerclé, jusqu'à ce que le
vieux leader, malade, soit autorisé à
partir pour la France où, hospitalisé,
il mourra le 11 novembre 2004.» (5)
Un bilan?
Si on devait parler d'apartheid, c'est
Sharon. C'est lui qui a fait démarrer la
construction du mur pour séparer Israël
de la Palestine; action condamnée par la
Cour de justice internationale. Depuis
la conquête de juin 1967, Ariel Sharon
n'a cessé d'encourager les militants
ultranationalistes à s'y installer et de
drainer l'argent public vers les
colonies qui se sont multipliées,
violant la loi internationale. Il a
notamment soutenu les nationalistes
religieux pour qui la mainmise du peuple
juif sur cette terre obéit à un plan
divin. Il a été l'un des artisans de la
destruction du processus créé en 1993
par les accords d'Oslo, par lesquels
Israël et l'Organisation de libération
de la Palestine se reconnaissaient
mutuellement et s'engageaient dans la
recherche d'un accord définitif. Ariel
Sharon était un adepte de la force et du
fait accompli. C'est notamment avec des
hommes de cette trempe qu'Israël a
imposé son existence au Monde arabe.
Pour Didier Billion, directeur adjoint
de l'Iris, l'ancien Premier ministre
israélien était surtout un homme d'une
«extrême intransigeance». C'est un
faucon. Tant dans sa carrière militaire
que politique, c'est un type qui a
trempé dans plusieurs histoires de
massacre de Palestiniens. Sharon n'était
vraiment pas un tendre. En 2005, il
effectue tout de même un retrait
unilatéral des colonies israéliennes de
la bande de Ghaza... Il n'y a pas eu la
moindre expression de négociation avec
les Palestiniens. Mais c'était surtout
une politique de la terre brûlée, il a
décidé, par exemple, de détruire par
bulldozer les infrastructures des
colons. Sharon, c'est une logique
politique de non-compromis avec les
Palestiniens. Il n'a eu de cesse de
défaire les espoirs qui sont nés des
accords d'Oslo de 1993.» (6)
Qu'en est-il alors de la cause
palestinienne?
Edward Said L’intellectuel
américano-palestinien nous donne une clé
de compréhension par sa déconstruction
du sionisme responsable du malheur des
Palestiniens. Il analyse les origines du
sionisme, et interroge la légitimité,
unanime en Occident, d'une idéologie
coloniale ayant causé tant de ravages.
Il écrit: «Nous étions sur le territoire
appelé Palestine; la spoliation et
l'effacement dont nous avons été
victimes et d'où ont résulté que presque
un million des nôtres ont dû quitter la
Palestine et que notre société est
devenue non existante étaient-ils
justifiés, fût-ce même pour sauver ce
qu'il restait des juifs d'Europe ayant
survécu au nazisme? Quelle est la règle
morale ou politique qui exige que nous
abandonnions nos revendications pour
notre existence nationale, notre terre,
nos droits humains? Dans quel monde ne
souffre-t-on aucune discussion quand on
dit à un peuple entier qu'il est
juridiquement absent, même si des armées
sont levées contre lui, des campagnes
menées contre son nom lui-même,
l'histoire modifiée pour «prouver» sa
non-existence?» «Il faut répéter que ce
qui dans le sionisme visait les
objectifs sans doute justifiés de la
tradition juive - préserver le peuple de
l'exclusion et de l'antisémitisme et
rétablir son identité nationale -
correspondait aussi à ces aspects de la
culture dominante qui rendaient possible
pour les Européens le fait de juger
inférieurs, négligeables et sans
importance les non-Européens.» (7)
On le voit, l'impasse est totale, les
suivants de Sharon ont en face d'eux des
ectoplasmes qui n'ont ni la légitimité
ni la conviction pour arriver à redonner
aux Palestiniens leur dignité. Ces mêmes
Palestiniens harassés par tant de
malheur et qui ne demandent qu’à vivre
sur leur terre en qui serait à peine de
20 % de la Palestine originelle
1. C.E. Chitour Le calvaire palestinien
Editions Casbah 2013
2. Benny Morris, The Birth of The
Palestinian Refugee Problem, 1947-1949,
p 218.
3. Ariel Sharon: Encyclopédie Wikipédia
4.http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/01/11/ariel-sharon-le-warrior-est-mort_4341895_3218.html
5.
http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Mort-de-Ariel-Sharon-le-heros-des-colons-2014-01-11-1087917
6.
http://www.lexpress.fr/actualite/politique/sharon-n-etait-vraiment-pas-untendre_1313258.html#
sKUoOdPymt11HgzF.997 Edward W. Saïd, «La
Question de Palestine» (The Question of
Palestine, 1979 Vintage Books éditions,
New York). Réédité en 2010 chez Actes
Sud
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
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