Algérie en phase
avec le mouvement du monde
Un Monde sans scrupules: Le règne des
"médiocres"
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Mardi 11 octobre 2016
«La plus grande
partie de notre sagesse
ordinaire est conçue
pour l'usage par des
gens médiocres, pour les
décourager de tentatives
ambitieuses, et
généralement les
conforter dans leur
médiocrité.»
Robert Louis
Stevenson
Une publication
récente a attiré mon
attention; elle attribue
la fin du monde aux
«médiocres» au sens de
ceux qui ne se mouillent
pas et qui vibrent à la
fréquence des puissants.
Dans un environnement
aussi chargé
électriquement, on peut
concevoir qu'il y a de
multiples façons
d'arriver à la fin du
monde, notamment celle
de continuer à gaspiller
d'une façon débridée une
ressource sur le déclin
et responsable à des
degrés divers du chaos
climatique actuel et
dont nous avons un
brillant exemple à
travers l'ouragan
Mathiew qui a dévasté
Haïti et être
responsable de la mort
de 1000 Haïtiens? Le
même Mathiew arrivant
sur la côte de la
Floride certes, avec une
intensité moindre n'a
pratiquement occasionné
aucun dégât important.
Etat du Monde
Justement, pour
comprendre ce qui se
passe il est utile de
faire l'archéologie du
mouvement du monde et
remonter dans le temps
«Le XXe siècle, disait
Jean-François Liotard, a
vu la disparation des
grands récits de
légitimité à l'instar du
communisme, du
socialisme, voire du
«socialisme de la
mamelle spécifique» à l'
algerian way of life.
Le XXe siècle est, par
excellence, celui de la
jouissance, l'homme
prométhéen entend tirer
profit de tout. Dany
Robert Dufour a
justement touché du
doigt cette perversion
du capitalisme à la fois
perverse et puritaine.
Nous l' écoutons:
«L'objectif du
philosophe est assez
simple. Il entend
démontrer comment la
libération des
passions-autrement dit
le triomphe absolu de
l'égoïsme, l'impératif
de jouissance, le besoin
de domination-a
transformé toutes les
économies où
interagissent les
hommes: l'économie
marchande, l'économie
politique, l'économie
esthétique, voire
symbolique. Le
libéralisme selon
Dufour, possèderait donc
au moins deux faces: une
face puritaine,
représentée par Adam
Smith, et une face
perverse, représentée
par le divin Sade. Il
serait l'accoucheur d'un
monde où les individus
obéissent avant tout à
ce commandement suprême
jouis!» (1)
«Ce monde de 'la
guerre de tous contre
tous'', poursuit le
philosophe, a pour
fondement, l'égoïsme:
«(...) Le principe
d'égoïsme absolu qui est
révélé par Sade écrit le
philosophe Dany Robert
Dufour, c'est celui qui
est en jeu dans la
crise. Et c'est le
principe, cette fois, de
la défense à tous crins
de l'intérêt personnel à
tel point que cela s'est
nommé la cupidité. Donc,
c'est une forme de
l'égoïsme absolu que
cette cupidité et ce
n'est pas moi qui le dit
au fond, quand on
réfléchit un instant,
c'est l'économiste en
chef de tout le tournant
libéral, celui qui a été
interrogé par la
Commission fédérale, que
l'on appelle le Maestro,
qui a été le président
de la Réserve fédérale,
quand on lui demandait
ce qu'il pensait de la
crise, il disait: «Je
pensais que la cupidité
- c'est Alain Greenspan,
bien, vous l'avez deviné
- des banquiers était la
meilleure garantie qui
soit pour chacun et je
m'aperçois que je me
suis trompé.» C'est ce
principe de la cupidité,
d'égoïsme absolu, de la
défense à tous crins de
l'intérêt personnel, de
la jouissance absolue
dans tous les domaines
où cela peut se
manifester, dans les
trois libidos que j'ai
repris dans la
philosophie
classique...» (1)
Au XXIe siècle, pour
pouvoir mener à bien
cette «jouissance
multiforme» il faut
faire disparaître les
autres. Après la
disparation du
communisme, l'Islam est
(re)devenu le nouveau
Satan de rechange. De ce
fait, sa diabolisation a
précipité dans la
tourmente les pays
musulmans principalement
arabes. Pourquoi? Est-ce
que les peuples arabes
ne sont pas dignes?
Est-ce que ce sont des
sous-hommes. Nous allons
montrer a contrario que
ce n'est pas l'Islam qui
est en cause, mais ce
qu'en ont fait les
dirigeants dont la
légitimé est tout sauf
être légitime du fait
qu'ils ont jailli du
néant. (2)
L'Empire de la
médiocrité et la fin du
Monde
Dans une tribune
percutante Phil Butler
dénonçant la médiocrité
explique que la Russie,
le deuxième satan de
rechange après l'islam,
n'est pour rien dans
l'errance de l'Occident
américain et de ses
vassaux: «Vladimir
Poutine n'a causé de
préjudice à aucun
Américain. La Russie ne
s'est jamais mise en
travers du Rêve
américain. Pour les
milliardaires, les
Russes constituent un
obstacle insurmontable à
leurs
investissements(...)Malheureusement,
pour l'espèce humaine,
la médiocrité ne peut
pas non plus être
gérée.Dénonçant
l'ignorance crasse des
Américains formés,
nourris et enchaînés à
une manière de penser
préjudiciable au monde
entier. «Même lorsque
les Américains sont pris
en flagrant délit de
stupidité sur des
questions importantes,
l'insanité est martelée
chez eux par des mêmes
et des tendances Twitter
transformant notre
société pitoyable en
comédie. (...) Le
sénateur incendiaire de
la guerre civile en
Ukraine, John McCain est
allé à la TV nationale
pour proclamer que
l'Irak borde le
Pakistan. (...) La
médiocrité fabriquée est
la paresse naturelle
d'une société qui
réussit, croisée avec un
procès à l'intelligence.
(...) Ne vous méprenez
pas, il y a des
montagnes de preuves que
l'Amérique est devenue
le pays d'incurables
stupides malheureux,
mais les écrits
étonnants de Umair Haque
nous giflent en plein
visage.» «L'Amérique
excelle dans la
médiocrité», c'est la
vérité indéniable avec
laquelle nous devons
nous colleter.» (3)
Justement Phil Butler
impute cet entretien de
la médiocrité à une
presse aux ordres
incapables de penser par
elle-même.: «Pour citer,
dit-il, l'auteur John
Hawkins: Le New York
Times, le Washington
Post, ABC, NBC, CBS,
CNN, MSNBC, etc., etc.,
etc. agissent comme des
attachés de presse pour
le Parti démocrate.
Quelle que soit
l'histoire que les
Démocrates veulent faire
croire, ils la
propagent. Les histoires
qui sont mauvaises pour
la gauche sont soit
totalement ignorées,
soit traitées comme
insignifiantes (...)
Vladimir Lénine a dit
une fois: «Les
capitalistes nous
vendront la corde avec
laquelle nous les
pendrons», et
aujourd'hui, les
conservateurs financent
les gens mêmes qui
pendent notre pays par
le cou jusqu'à ce que
mort s'ensuive.(...) Les
années à venir se
révéleront de plus en
plus cyniques et
cruelles. Les gens ne
devront certainement pas
se pardonner en
s'embrassant les uns les
autres. Le stade final
de la vie de l'humanité
sera marqué par la
guerre monstrueuse de
tous contre tous.
Poutine n'a attaqué
personne. Les musulmans
ne sont pas le problème.
(3)
En politique
comme dans les
entreprises, «les
médiocres ont pris le
pouvoir»
Sommes-nous dirigés
de fait, par des
médiocres dans le sens
de ceux qui ne se
remettent constamment
pas en cause, mais
fondent dans le
consensus ambiant à
l'instar du peuple
américain gavé de
«certitudes» martelées
en boucle par des médias
conciliants. Le
philosophe Michel
Abescat a bien raison
d'écrire que les
médiocres ont pris le
pouvoir quel que soit
leur domaine (celui de
la politique comme celui
de l'entreprise). Il
définit cette emprise
par la médiocratie
quelque part un
continuum entre la
supériorité et
l'infériorité: la
médiocratie: «Il y a
pourtant une distinction
sémantique entre la
moyenne et la
médiocrité, car la
moyenne relève le plus
souvent d'une
abstraction: revenu
moyen, compétence
moyenne, c'est-à-dire
une place au milieu
d'une échelle de
valeurs. La médiocrité,
en revanche, est la
moyenne en acte. La
médiocratie désigne
ainsi un régime où la
moyenne devient une
norme impérieuse qu'il
s'agit d'incarner. C'est
l'ordre médiocre érigé
en modèle. Il ne s'agit
donc pas pour moi de
stigmatiser qui que ce
soit, mais plutôt de
comprendre la nature de
cette injonction à être
médiocre qui pèse
aujourd'hui sur des gens
qui ne sont pas
forcément enclins à
l'être.»(4)
«Sous le règne de la
médiocratie, la moyenne
devient une norme, le
compromis domine: idées
et hommes deviennent
interchangeables. Il
faut résister à la
révolution
anesthésiante, alerte le
philosophe Alain
Deneault. C'est d'une
«révolution
anesthésiante» qu'il
s'agit. Celle qui nous
invite à nous situer
toujours au centre, à
penser mou, à mettre nos
convictions dans notre
poche de manière à
devenir des êtres
interchangeables,
faciles à ranger dans
des cases. Surtout ne
rien déranger, surtout
ne rien inventer qui
pourrait remettre en
cause l'ordre économique
et social. «Il n'y a eu
aucune prise de la
Bastille, rien de
comparable à l'incendie
du Reichstag, et
l'Aurore n'a encore tiré
aucun coup de feu, écrit
le philosophe Alain
Deneault qui enseigne la
pensée critique en
science politique à
l'université de
Montréal. Pourtant,
l'assaut a bel et bien
été lancé et couronné de
succès: les médiocres
ont pris le pouvoir.»(4)
«La médiocratie vient
d'abord de la division
et de
l'industrialisation du
travail qui ont
transformé les métiers
en emplois. En réduisant
le travail à une force
puis à un coût, le
capitalisme l'a
dévitalisé. Les métiers
se sont ainsi
progressivement perdus,
le travail est devenu
une prestation moyenne
désincarnée. L'objectif
est de rendre les gens
interchangeables au sein
de grands ensembles de
production qui échappent
à la conscience d'à peu
près tout le monde, à
l'exception de ceux qui
en sont les architectes
et les bénéficiaires. Le
philosophe va plus loin
pour dire que de
nouveaux concepts ont
été introduits, mais la
finalité est toujours la
même: «D'apparence
inoffensive, le terme de
gouvernance a été
introduit par Margaret
Thatcher dans les années
1980. Sous couvert de
saine gestion des
institutions publiques
(...) La gouvernance,
est une forme de gestion
néolibérale de l'Etat
caractérisée par la
privatisation des
services publics et leur
adaptation aux besoins
des entreprises.»(4)
Les fondements
de la corruption
Ce ronronnement de
gens qui disent aux
puissants ce qu'ils
veulent entendre a un
prix, écrit le
philosophe. «Le système
encourage l'ascension
des acteurs moyennement
compétents au détriment
des supercompétents ou
des parfaits
incompétents. Ces
derniers parce qu'ils ne
font pas l'affaire et
les premiers parce
qu'ils risquent de
remettre en cause le
système et ses
conventions. Le médiocre
doit avoir une
connaissance utile qui
n'enseigne toutefois pas
à remettre en cause ses
fondements idéologiques.
Le médiocre doit «jouer
le jeu». «Jouer le jeu»
est une expression
souriante, d'apparence
banale et même ludique.
Jouer le jeu veut
pourtant dire accepter
des pratiques
officieuses qui servent
des intérêts à courte
vue, se soumettre à des
règles en détournant les
yeux du non-dit, de
l'impensé qui les
sous-tendent. Jouer le
jeu, c'est accepter de
ne pas citer tel nom
dans tel rapport, faire
abstraction de ceci, ne
pas mentionner cela,
permettre à l'arbitraire
de prendre le dessus. Au
bout du compte, jouer le
jeu consiste, à force de
tricher, à générer des
institutions corrompues.
La corruption arrive
ainsi à son terme
lorsque les acteurs ne
savent même plus qu'ils
sont corrompus. (...)
l'université forme des
étudiants pour en faire
non pas des esprits
autonomes, mais des
experts prêts à être
instrumentalisés. Le
recteur de l'université
de Montréal l'a affirmé
sur le ton de l'évidence
en 2011: «Les cerveaux
doivent correspondre aux
besoins des
entreprises.» (4)
«L'expert est souvent
médiocre, (...) Il n'est
pas incompétent, mais il
formate sa pensée en
fonction des intérêts de
ceux qui l'emploient. Il
fournit les données
pratiques ou théoriques
dont ont besoin ceux qui
le rétribuent pour se
légitimer. Pour le
pouvoir, il est l'être
moyen par lequel imposer
son ordre. L'expert
s'enferme ainsi dans les
paramètres souhaités par
tel intérêt privé.(...)
Il affirmera que les
variations climatiques
ne sont pas liées à
l'activité industrielle
parce que Exxon Mobil
subventionne ses
recherches. (..) Sans
surprise, c'est le
milieu, le centre, le
moyen qui dominent la
pensée politique. Les
différences entre les
discours des uns et des
autres sont minimes. Les
«mesures équilibrées»,
«juste milieu», ou
«compromis» sont érigées
en notions fétiches.
(...) Dans ce contexte
médiocre, règne la
combine. Les gouvernants
se font élire sur une
ligne politique et en
appliquent une autre une
fois élus. Aucune vision
d'avenir, tout le jeu
politique est dans le
bricolage permanent.»(4)
La trahison des
clercs
On dit que
l'intellectuel n'a pas
les pieds sur terre, il
«plane», il n'est pas en
phase avec la réalité du
monde. Ce que lui
reprochera Antonio
Gramsci qui parle de
praxis c'est-à-dire son
refus de se jeter dans
la mêlée de la réalité
du terrain. A l'autre
bout du curseur, dans
son ouvrage culte, La
Trahison des clercs,
Julien Benda reproche
aux intellectuels de
perdre leurs âmes en
s'acoquinant avec le
pouvoir. À une époque où
de nombreux
intellectuels et
artistes se tournaient
vers la politique au nom
du réalisme, Julien
Benda dénonça dès 1927,
dans son ouvrage, «La
Trahison des clercs», la
capitulation des
intellectuels, traîtres
à leur mission de
défenseurs du
rationalisme
démocratique. Les hommes
dont la fonction est de
défendre les valeurs
éternelles et
désintéressées, comme la
justice et la raison,
que j'appelle les
clercs, ont trahi cette
fonction au profit
d'intérêts pratiques.»
(...)ils ont introduit à
l'intérieur de la vision
des événements, comme un
ver qui le ronge, leurs
propres passions et
préjugés: ils adoptent
une posture politique
leur permettant
d'asseoir leur image
d'opposant ou de faire
fructifier leurs
notoriété et intérêts
personnels.» (5)
Comment résister
à la médiocratie?
Le philosophe Michel
Abescat complète son
analyse en nous invitant
à être lucides:
«Résister d'abord au
buffet auquel on vous
invite, aux petites
tentations par
lesquelles vous allez
entrer dans le jeu. Dire
non. Non, je n'occuperai
pas cette fonction, non,
je n'accepterai pas
cette promotion, je
renonce à cet avantage
ou à cette
reconnaissance, parce
qu'elle est empoisonnée.
Résister, en ce sens,
est une ascèse, ce n'est
pas facile. Revenir à la
culture et aux
références
intellectuelles est
également une nécessité.
Si on se remet à lire, à
penser, à affirmer la
valeur de concepts
aujourd'hui balayés
comme s'ils étaient
insignifiants, si on
réinjecte du sens là où
il n'y en a plus, quitte
à être marginal, on
avance politiquement. Ce
n'est pas un hasard si
le langage lui-même est
aujourd'hui attaqué.
Rétablissons-le.» (4)
On le voit, les
intellectuels ou réputés
tels qui se
compromettent mettent le
doigt dans l'engrenage
de la compromission. Il
est curieux de constater
que sur les grands
problèmes qui
interpellent le pays,
les intellectuels ou
réputés tels font preuve
d'un silence
assourdissant. Au-delà
de ceux qui, de
l'étranger, font des
fetwas contre le pouvoir
embusqués derrière leur
confort et qui font dans
le «Ya qu'à», il y a
ceux qui, en Algérie
mesurent d'où vient le
vent. L'intellectuel
doit-il passer son temps
à s'indigner en rentrant
dans la mêlée du débat
quitte à recevoir des
coups ou devenir un
intellectuel à la façon
d'Antonio Gramsci. Le
médiocre tel que défini
dans cette contribution
est plus proche de
l'arriviste dénoncé par
Jules Benda.
1.
http://www.fabriquedesens.net/La-fabrique-de-l-humain-Naissance
2.
http://www.mondialisation.ca/les-pays-musulmans-asiatiques-differents-chemins-vers-le-progres/5334717
3.MichelAbescat.
http://www.telerama.fr/idees/en-politique-comme-dans-les-entreprises-les-mediocres-ont-pris-le-pouvoir,135205.php
13 12 2015
4.
http://journal-neo.org/2016/09/12/the-empire-of-mediocrity-and-the-end-of-the-world/
5.
https://www.monde-diplomatique.fr/1996/01/A/5153
6.
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_chitour...
Article de référence
:
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_
chitour/251630-le-regne-des-mediocres.html
Professeur Chems
eddine Chitour
Ecole Polytechnique
enp-edu.dz
Publié le 13 octobre
2016 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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