Algérie en phase
avec le mouvement du monde
La France et la reconnaissance de la
torture :
Un grand pas pour l'humanité
Chems Eddine Chitour
© Chems
Eddine Chitour
Lundi 1er octobre 2018
« Sardou parle-moi,
du temps béni des colonies, je te
parlerai de Thiaroye, de la torture en
Algérie. »
Médine (rappeur) Don't panik
tape (2008)
Jeudi 13 septembre
le président Macron annonce urbi et orbi
que la France reconnaît la torture et
assume au nom de la France la
responsabilité de son pays dans le
«système» qui a amené l'armée à ces
dérives. Il rappelle ce faisant le
discours de Chirac du Vel d'Hiv, où la
France reconnaissait sa responsabilité
dans la déportation de 15.000 juifs sauf
que dans le cas de l'Algérie la guerre
d'épouvante faite au peuple algérien
s'est soldée par un million de morts,
des centaines de milliers de blessés,
des milliers de disparus, des
traumatismes à vie pour les descendants,
des milliers de villages brûlés...
Ce que le président Macron a dit
Nous donnons dans ce qui suit le
verbatim du discours du président
Macron: «Depuis soixante et un ans, la
disparition'' de Maurice Audin, jeune
mathématicien qui travaillait à
l'université d'Alger et militait pour
l'indépendance algérienne, reste une
zone d'ombre de l'histoire de la guerre
d'Algérie. Le président de la
République, Emmanuel Macron, a par
conséquent décidé qu'il était temps que
la Nation accomplisse un travail de
vérité sur ce sujet. Il reconnaît, au
nom de la République française, que
Maurice Audin a été torturé puis exécuté
ou torturé à mort par des militaires qui
l'avaient arrêté à son domicile Au soir
du 11 juin 1957, Maurice Audin,
assistant de mathématiques à la Faculté
d'Alger, militant du Parti communiste
algérien (PCA), est arrêté à son
domicile par des militaires. Après le
déclenchement de la guerre par le Front
de Libération nationale (FLN), le PCA,
qui soutient la lutte indépendantiste,
est dissous et ses dirigeants sont
activement recherchés. Maurice Audin
fait partie de ceux qui les aident dans
la clandestinité.» (1)
Bigeard et Bollardière: deux visages
de la guerre
René Naba,
le journaliste bien connu, nous rappelle
les atermoiements de la France et pense
que la France ne va pas loin. «Plus de
61 ans après sa forfaiture, écrit René
Naba, la France a reconnu sa culpabilité
dans l'assassinat de Maurice Audin, ce
jeune mathématicien communiste
anticolonialiste, enlevé et mort sous la
torture, une des pages les plus sombres
de la colonisation. 61 ans et 3 mois.
Contrairement à l'Allemagne qui a
assumé, d'un trait, sans concession, la
totalité du passif hitlérien, la France
joue à cache-cache avec sa propre
mémoire, pensant s'exonérer de ses
propres turpitudes. Elle louvoie
s'imaginant être plus intelligente que
la mémoire des peuples et la vérité
historique. Un déni de réalité en guise
de politique mémorielle. De la
repentance à minima en guise de solde de
tout compte en somme. Soixante treize
ans après la fin de la IIème Guerre
Mondiale (1939-1945), la France continue
de patauger dans le cambouis de ses
turpitudes. Cinquante ans pour
reconnaître la responsabilité de l'Etat
français dans l'extermination des Juifs
sous Vichy. Cinquante ans pour
reconnaître aux Harkis le plein exercice
de leur citoyenneté française. Cinquante
ans pour la carbonisation de Sétif, le 8
mai 1945, le jour de la victoire alliée
de la II me Guerre mondiale à laquelle
les Algériens et les peuples coloniaux
ont grandement contribué.» (2)
Edwy Plenel
fondateur du site Médiapart donne
son avis en faisant l'historique de la
bataille pour la vérité, nous
l'écoutons: «Deux présidents peu ou prou
de droite auront donc réussi à dire ce
que leurs prédécesseurs élus à gauche
n'avaient pas su énoncer. Après Jacques
Chirac, qui en 1995 avait déverrouillé
la mémoire française sur l'Occupation et
la collaboration avec le nazisme,
Emmanuel Macron vient enfin d'ouvrir
grand le placard à blessures et à
secrets de la guerre d'Algérie. Nous la
connaissions bien sûr cette vérité,
comme le rappelait Michèle Audin,
écrivaine tout comme elle est
mathématicienne à l'instar de son père,
dans le beau livre qu'elle lui a
consacré, Une vie brève (L'Arbalète
Gallimard, 2013)» (3).
Edwy Plenel parle
des conséquences de la torture:
«Gangrénant la République, la
systématisation de la torture, mais
aussi des disparitions, des arrestations
arbitraires, des camps d'internement et
des violences contre les populations
civiles, a conduit la France et
l'Algérie à une séparation qui les a
blessées toutes deux, entraînant des
déchirures et des radicalisations qui,
n'eût été l'entêtement aveugle des
gouvernants français, auraient peut-être
pu être évitées. Nous sommes des
millions, chevauchant au moins trois
générations, à être partie prenante de
cette histoire commune: les
descendant.e.s de travailleurs algériens
en France dont, à l'époque, bon nombre
épousèrent la cause nationaliste; les
«pieds-noirs», ces Européens d'Algérie
qui n'étaient pas tous, loin de là, des
colons oppresseurs - Maurice Audin était
l'un d'eux; les familles juives
sépharades dont l'Algérie était la
patrie ancestrale; les communautés de
harkis, doublement victimes de
l'histoire car rejetées et méprisées
dans les deux camps; sans compter toutes
les lignées où rôdent, tels des
fantômes, les silences de parents,
soldats du contingent ou militaires de
carrière, ayant dû mener cette guerre où
la France fut moralement vaincue De
Chirac à Macron, deux verrous ont donc
sauté que Mitterrand tenait fermés.
(...) » (3)
« Il faudra,
par exemple, attendre sa mort pour que
les archives confirment combien, garde
des Sceaux du gouvernement Guy Mollet il
fut intraitable, assumant quarante-cinq
exécutions capitales de nationalistes
algériens auxquels il refusa presque
systématiquement la grâce» (...) Si la
France est debout, en ce jeudi 13
septembre 2018, c'est grâce à toutes
celles et tous ceux qui ont mené ce long
et patient combat anticolonialiste dont
Maurice Audin fut à la fois l'emblème et
le martyr.» (3)
Chacun sait que la
torture qui est consubstantielle, il
faut le souligner, de l'entreprise
coloniale. La torture pendant la guerre
d'Algérie a été pratiquée sur les
populations algérienne et française par
les forces coloniales dans des
proportions qui, selon l'historien
Pierre Vidal-Naquet, concerneraient des
centaines de milliers d'Algériens. Elle
a aussi été employée à une moindre
échelle et de manière non systématique
sur des harkis et des Européens par le
FLN et l'ALN comme le montre l'ouvrage
«La guerre d'Algérie, (...) La torture
policière existait déjà largement en
Afrique du Nord avant l'insurrection de
1954, comme en témoigne la mise en garde
lancée, dès cette date, par l'écrivain
François Mauriac. Elle avait été
systématiquement utilisée lors de la
colonisation du pays, notamment lors de
la campagne du général Bugeaud. Mais
elle fut consacrée et institutionnalisée
comme arme de guerre par l'armée, à
laquelle on donne tous les pouvoirs,
lors de la «bataille d'Alger», qui fut,
en 1957, un «point de non-retour» à cet
égard. (2).
En fait, depuis,
la conquête coloniale, la torture est un
procédé courant des forces de l'ordre en
Algérie qui l'utilisent pour terroriser
les populations autochtones et obtenir
des informations sur les emplacements de
silos à grains lors de la conquête
coloniale, meurtrir des suspects, et
terroriser les indigènes, s'inscrivant
avant tout dans une démarche de haine et
de déshumanisation. (...) Marc Ferro,
dans Le livre noir du colonialisme,
écrit: «Ceux qui travaillent sur les
régimes totalitaires n'ont lu Hannah
Arendt que d'un seul oeil, semble-t-il.
Ils ont omis de s'apercevoir qu'au
nazisme et au communisme, elle avait
associé l'impérialisme colonial. Entre
ces régimes, en effet, il existe une
parenté qu'avait bien repérée le poète
antillais, Aimé Césaire, au moins en ce
qui concerne nazisme et colonialisme.»
(4)
La torture et les positions des
croisés
Chacun
connaît la prise de position admirable
du cardinal Duval lors de la révolution
de Novembre, il en sera de même d'hommes
d'Eglise et de tant d'autres comme
l'abbé Berenguer qui sera même
ambassadeur du GPRA en Amérique latine,
Cependant, à côté de ces «Justes» il y
eut d'autres hommes d'Eglise comme le
cardinal Feltin qui encourageait les
soldats à aller casser du fell au nom
des valeurs chrétiennes. (...) Il y a de
ce fait, un lien direct entre la torture
et la religion, Même Bigeard en parle
dans une interview à L'Express du 15 mai
1958. Il déclare à ce propos, pendant la
guerre d'Algérie: «Il y a vingt ans que
nous nous faisons corriger, il faut que
cela change. On ira jusqu'au bout. Le
stage, dynamique et pratique, doit
sortir des gens qui auront la foi des
Croisés, qui seront reformés au physique
comme au moral... Il faut donner
l'exemple de l'effort et de l'esprit
offensif. Je veux vous voir quitter le
centre gonflés à bloc et décidés à
casser du fellagha...(...)
Majoritairement constitué d'anciens SS
et de fascistes hongrois, recrutés au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale,
le 1er REP, avec Hélie Denoit de Saint
Marc (et qui comptait en ses rangs
Jean-Marie Le Pen),lancera le coup
d'envoi du putsch du 21 avril 1961.» (4)
Tel ne fut pas le
cas du général de Bollardière- compagnon
de la Libération qui déclarait justement
que ses convictions chrétiennes et la
haute idée qu'il se faisait de l'armée
lui interdisaient en conscience de
cautionner la torture. En démissionnant,
il fit 60 jours d'arrêt de forteresse!
En définitive, tout ce beau monde fut
amnistié, même Aussaresses qui déclare
avoir tué de ses mains une vingtaine
d'Algériens, ne répondra pas à la
justice des hommes. Seul le général de
Bollardière, ne fut pas réhabilité pour
avoir été contre la torture.
La torture selon
le professeur Francis Jeanson
La torture a de
tout temps existé en Algérie. Francis
Jeanson, avec sa lucidité coutumière,
explique pourquoi et au nom de quel
intérêt la France a été amenée à
torturer. Interviewé par Le Monde il
déclare: «Avant de s´indigner des
atrocités commises en Algérie, il faut
se demander pourquoi nous avons fait la
guerre au peuple algérien et pourquoi
nous avons laissé faire des choses qui
n´avaient pas de raison d´être. (...)
mais je ne comprends pas qu´on pose
aujourd´hui la question de la torture
sans poser la question de la guerre
coloniale. Ce sont deux questions
indissociables. La torture ne pouvait
être qu´un des aspects déchirants de
cette situation.(...) Il y avait aussi
les viols, les camps de concentration,
qui faisaient partie de la guerre au
même titre que la torture» (5)
. Ce qui compte, à
mes yeux, poursuit l'honorable "porteurs
de valises" c´est que nous avons
mené une politique de colonisation
insoutenable. Depuis mai 1945, et les
massacres de Sétif, on aurait dû le
savoir. La torture n´est pas née de la
Guerre d´Algérie en 1954. (...)Nous
avons démissionné, laissant les
véritables intérêts de la nation
disparaître face aux exigences du grand
colonat algérois.» «(...) Oui, je
persiste à le penser, l´Algérie va s´en
sortir. Cette population composite, et
si riche de sa diversité, a toujours
fait preuve d´exceptionnelles ressources
dans les pires moments de son histoire.
Le courage et l´humour ne lui ont jamais
fait défaut...Ce qui se passait en
Algérie au nom de la France était
inadmissible. Il fallait être contre. La
seule façon d´être contre, c´était
d´être aux côtés de ceux qui se battent.
On m´a souvent dit que c´était de la
trahison. Mais, pour moi, il y avait
déjà trahison: celle des valeurs de la
France.» (5)
L'Algérie devra
d'abord faire son aggiornamento
En France,
les fossoyeurs du vivre ensemble: ces
intellectuels faussaires des
nostalgiques du temps béni de la
colonisation que sont aussi les
négationnistes à l'instar de Pascal
Bruckner, Alain Finkielkraut et le pire
d'entre eux Eric Zemmour qui se veut
plus royaliste que le roi l'amnésique
ingrat qui oublie ses origines
nord-africaines. Il déclarait en allant
plus loin dans le négationnisme
colonial: «On n'a rien fait de mal,
c'était légal» «Maurice Audin est un
traitre qui mérite douze balles dans la
peau» tenteront de freiner la marche
inéluctable vers la vérité. Malgré tous
ces oiseaux de mauvaise augure qui
entretiennent la mésentente.
Pour parler d'une
façon responsable et crédible avec la
France, l'Algérie se doit de se
réconcilier avec son histoire.
L'invasion et la colonisation inhumaine
de l'Algérie pendant 132 ans bien que
celle-ci soit récente n'est qu'un
maillon d'une histoire avec ses heurs et
ses malheurs Pour l'écriture sereine de
notre histoire, pourquoi on ne parle pas
des 30 siècles d'histoire de l'épopée de
ces «Algériens» qui viennent de la nuit
des temps.
Connaître son
histoire, toute son histoire sans
pointillé est impératif. Les jeunes
doivent savoir qu'il y avait il y a 23
siècles une civilisation. Massinissa
battait monnaie il y a 21 siècles de
cela, pendant que l'Europe émergeait des
ténèbres vers les temps historiques...
Quel écolier peut parler des aguellids
Vermina, Siphax, Massinissa, Jugurtha,
Juba II, Ptolémée? Quel écolier peut
parler de Yaghmorassen, de Kheir Eddine,
de l'Emir Abdelkader, de Ahmed Bey, de
Lalla Fatma N'soumer et de tous les
héros qui ont fait l'Algérie? Nous
devons assumer le meilleur et le pire.
Etant forts nous n'irons pas en ordre
dispersé revendiquer un dû, une
restitution de mémoire au nom d'une
dette et au nom de la dignité humaine.
La reconnaissance
par la France de la torture bien
que tardive- plus de cinquante ans- est
à saluer c'est d'une certaine façon un
pas dans la bonne direction qui
honore l'humanité De ce fait et au vue
de ces dispositions, il nous semble que
le moment est venu pour une mise à
plat de tout ce qui peut être résolu
graduellement . L'Algérie a montré sa
résilience et d'une certaine façon ses
prises de positions entières et non
diplomatiques. Nous connaissons notre
ancien adversaire intime et il nous
connait. La France et l'Algérie
gagneraient à s'entendre dans l'égale
dignité des deux peuples. La restitution
des pieux restes des patriotes algériens
est attendue La libération des archives
serait un premier pas. Il est à espérer
qu'elle soient suivis d'actes concrets.
L'investissement dans le savoir
universel par la construction d'une
bibliothèque numérique en est l'un
d'eux. Rappelons que 600.000 volumes
sont partis en fumée un matin de juin
1962
1.Déclaration du président de la
République française à propos de
l'affaire Maurice Audin
2.René
Naba:https://www.madaniya.info/
2018/09/15/france-maurice-audin-du-deni-de-realite-en-guise-de-politique-memorielle/
3.https://www.mediapart.fr/journal/france/130918/la-torture-l-algerie-et-la-republique-la-verite-enfin?page_article=2
4.Torture pendant
la Guerre d'Algérie Wikipédia,
l'encyclopédie libre.
5.http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_chitour/68000-L%E2%80%99autre-face-et-l%E2%80%99honneur-de-la-France.html
Article de
référence
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_
chitour/300879-un-grand-pas-pour-l-humanite.html
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique
Alger
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