Opinion
Et si la Route de la soie passait par
l’Algérie ?
Nos chances dépendent de notre ambition
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Dimanche 1er mai 2016
«Le voyage
de mille lieues a commencé par un pas.»
Lao
Tseu
La Chine veut
recréer une «route de la Soie» entre
l'Asie et l'Europe. «Elle va, écrit
Fréderic Martel, construire des milliers
de ponts, de routes, de chemins de fer
et de ports à travers l'Asie centrale et
le Moyen-Orient. 40 milliards de dollars
d'investissements, Est-ce une arme
économique ou diplomatique? Un
expansionnisme commercial?» (1)
Histoire de la route
de la Soie
«La route de la
Soie désigne un réseau ancien de routes
commerciales entre l'Asie et l'Europe,
reliant la ville de Chang'an (actuelle
Xi'an) en Chine à la ville d'Antioche,
en Syrie médiévale (aujourd'hui en
Turquie). Elle tire son nom de la plus
précieuse marchandise qui y transitait:
la soie. La route de la soie était un
faisceau de pistes par lesquelles
transitaient de nombreuses marchandises,
et qui monopolisa les échanges Est-Ouest
pendant des siècles. Elle se développe
surtout sous la dynastie Han(221 av.
J.-C. - 220 ap. J.-C.), en particulier
Han Wudi. Puis sous la dynastie Tang
(618-907). À partir du XVe siècle, la
route de la soie est progressivement
abandonnée, du fait de la période des
«Grandes découvertes» durant laquelle
les techniques de transport maritime
deviennent de plus en plus performantes.
Par une culture internationale, elle a
permis des échanges matériels,
culturels, religieux et scientifiques
entre peuples aussi divers et
mutuellement lointains que les Turcs,
les Tokhariens, les Sogdiens, les
Perses, les Byzantins et les Chinois...
» (2)
« Elle a suscité le
rassemblement d'États militaires fondés
par des nomades de Chine du Nord, amené
le nestorianisme, le manichéisme, le
bouddhisme puis l'islam en Asie centrale
et en Chine, provoqué le puissant empire
des Turcs Khazars. (...) La nouvelle
route de la soie pourrait redistribuer
les cartes, à l'heure où la
mondialisation de l'économie fait
pencher la balance vers l'Est. Plusieurs
tronçons ont déjà été transformés en
autoroute. Cette route pourrait alors
rejoindre l'Europe en passant par le
Kirghizistan, l'Ouzbékistan, le
Tadjikistan, le Turkménistan, l'Iran et
la Turquie. Côté chinois, on achève le
Xinsilu, une quatre-voies de 5000 km qui
relie la mer Jaune aux monts Tian. Un
axe qui a pour but de délester la route
maritime, par laquelle transitent des
millions de conteneurs par an. Deux
autres routes sont envisagées pour
rejoindre l'Europe: une passant par le
Kazakhstan et la Russie, et l'autre
traversant le Kazakhstan via la mer
Caspienne.» (2)
Les conséquences de
cette vision du soft power chinois
A en croire les
analystes occidentaux, la Chine veut
dominer le monde. Naturellement, on ne
parle pas des pressions occidentales
pour mettre en place dans les faits à la
fois sur le plan militaire et économique
l'encerclement des deux empêcheurs de
dominer en rond que sont la Chine et la
Russie. «Pour Washington, le partenariat
stratégique entre la Chine, la Russie et
l'Iran, qui se développe au sein du Club
de Shanghai, est un cauchemar
géopolitique. Le 30 mars, Ali Khamenei a
ajouté que les ennemis de la révolution
islamique iranienne 'usent du dialogue,
des échanges économiques, des sanctions,
des menaces militaires ou tout autre
moyen pour faire avancer leurs
objectifs.''» 'Ils renforcent en
permanence'' leur capacité militaire et
balistique; comment donc pourrait-on
dire dans un tel contexte, que l'ère des
missiles est révolue?» (3)
Frederic Martel
parle d'une sorte de soft power:
«Comment booster l'économie tout en
confortant une influence politique?
Comment aider l'Asie du Sud-Est et, du
même coup, freiner l'influence
américaine et indienne? Comment faire du
nouveau avec du vieux? Pékin a trouvé la
solution: la nouvelle route de la Soie.
Le projet a été imaginé depuis plusieurs
années. Le président chinois Xi Jinping
l'a officiellement lancé en septembre
2013 lors d'une visite au Kazakhstan.Et
début mars 2015, le Premier ministre
chinois Li Keqiang a annoncé la création
de la «Silk Road Company Ltd (...) Plus
encore que la démesure des
investissements et du rêve chinois, ce
qui frappe, c'est le nom du projet. Un
plan de communication efficace. Un logo.
Une marque. Une nouvelle route de la
soie!». (1)
«Pour la Chine, il
s'agit d'un plan stratégique qui vise à
réorienter sa géopolitique vers
l'intérieur du continent, notamment vers
l'Asie centrale et l'Europe, plutôt que
vers l'Est et sa côte Pacifique. C'est
aussi un projet pour contrecarrer les
influences russe et américaine dans la
région. C'est en quelque sorte une
nouvelle diplomatie chinoise, qu'on peut
qualifier de ´´réalisme
institutionnel´´, et qui consiste à
bâtir de nouvelles infrastructures à
l'étranger pour influencer les
politiques mondiales», explique Simon
Shen, directeur du Global Studies
Program, interrogé à l'université
chinoise de Hong Kong.» (1)
«Le nom officiel du
projet est: « One belt, one road
» (une ceinture, une route). Mais tout
le monde a retenu le nom de code: «
New Silk Road »ou la 'Nouvelle route
de la soie''. Rien de moins. Avec près
de 6500 kilomètres, la route part de
l'est de la Chine (pays qu'elle traverse
sur près de 4000 kilomètres), avant de
bifurquer vers des pays qui s'appellent
aujourd'hui l'Inde, ou le Pakistan,
l'Afghanistan, l'Iran, l'Irak, la Syrie,
pour rejoindre la Méditerranée. Les
tracés varient selon les empires. (...)
Pékin a choisi de redonner vie
aujourd'hui à deux routes de la Soie. La
première sera terrestre. Son tracé reste
en débat, mais il devrait partir de la
province chinoise du Xinjiang (qui
connaît de nombreuses tensions
ethniques), rejoindre le Kazakhstan,
l'Asie centrale, le Nord de l'Iran,
l'Irak, la Syrie, la Turquie et, à
partir de là, atteindre l'Europe. Le
tracé continuerait en Bulgarie,
Roumanie, République tchèque et en
Allemagne, avant de rejoindre -on ne
sait trop comment- Venise. Tout un
symbole. Cette nouvelle route de la Soie
sera constituée de milliers de ponts, de
voies de chemin de fer, de gares et de
pipelines pour relier l'Est à l'Ouest.»
(1)
«Plus ou moins
avoué, l'un des objectifs de ce tracé
est de réintégrer l'Afghanistan, le
Pakistan, l'Irak, l'Asie centrale -et à
terme l'Iran- dans l'économie marchande
globale en y reconstruisant
d'innombrables infrastructures,
défectueuses depuis des années de
tensions. En clair, réussir avec
l'économie là où les Américains ont
échoué avec le militaire.
Officiellement, Washington approuve
pourtant une initiative qui passerait
par l'Afghanistan et le Pakistan (...)
Mais, officieusement, les Américains ont
bien compris que cette 'nouvelle route
de la soie'' visait à contrecarrer leur
propre traité multilatéral de
libre-échange économique, dit de
partenariat transpacifique (Trans-Pacific
Partnership ou TTP).» (1)
«La seconde route
de la Soie, baptisée « 21st Century
Maritime Silk Road » empruntera
quant à elle les mers (...) le tracé
partirait des grands ports de la mer de
Chine (en particulier Guangzhou/Canton),
suivrait la Thaïlande et le Viêt-Nam, la
Malaisie, croiserait Singapour et
longerait l'Indonésie, avant de
rejoindre, via l'océan Indien, le Sri
Lanka, puis la mer Rouge, le Golfe, et,
enfin, le Canal de Suez et la
Méditerranée. Un autre tracé pourrait
faire un détour par l'Afrique, notamment
le Kenya. Les deux routes, celle des
mers et celle des terres, se
rejoindraient à Venise. La nouvelle
route de la soie est un projet plus
complexe qu'il n'y paraît. Par la route
comme par la «ceinture» maritime, il
contourne l'Inde, le grand rival
honni(...) L'Inde est bien décidée à ne
pas abandonner l'océan Indien aux
Chinois. Elle envisage de redonner vie à
sa propre 'Route des épices''. 'C'est le
projet de Modi, mais pour l'instant il
n'est que culturel et touristique'',
commente Faizal Khan, un journaliste à
New Delhi. Pour la Chine, dont la
production lourde d'infrastructures est
saturée à domicile, c'est un moyen de
déployer un savoir-faire à grande
échelle dans toute l'Eurasie et
d'utiliser de larges capacités
d'investissements.» (1)
Une banque pour
accompagner le projet
«La nouvelle route
de la Soie s'adossera à la nouvelle
banque d'investissement asiatique que
Pékin vient de lancer avec une vingtaine
d'autres pays (Banque asiatique
d'investissement pour les
infrastructures, ou AIIB). Presque toute
l'Europe occidentale, sauf la Belgique
et l'Irlande, a officiellement adhéré à
l'AIIB. Les États-Unis, le Canada et le
Mexique ont tous refusé d'adhérer.
Quatorze pays européens dont la
Grande-Bretagne, la France et
l'Allemagne ont rejoint le projet en
ordre dispersé. Le dernier jour avant la
date limite pour devenir membre
fondateur (31 mars 2015), le secrétaire
américain au Trésor, Jacob Lew, annonce
la volonté US de coopérer avec
l'organisation. À la fin du mois de mars
2015, les dirigeants du FMI, de la
Banque mondiale ont exprimé leur désir
de coopération avec cette nouvelle
institution. L'Inde a choisi de
rejoindre cette banque. Pour coller à
l'époque, le projet de nouvelle route de
la soie se veut aussi écologique (...)
De leur côté, les Américains sont prêts
à financer plus de 1000 réseaux
électriques régionaux, pour 1,6 milliard
de dollars d'investissements, et des
centrales hydro-électriques modernes et
écolos, dans le cadre de cette nouvelle
route de la soie. Enfin, la nouvelle
route de la soie se veut un projet
d'influence culturelle et d'Internet:
une arme du soft power.» (1).
La Chine intégrera
l'Iran dans la nouvelle route de la Soie
«La levée des
sanctions écrit Karel Vereycken, contre
l'Iran, ouvre bien des perspectives, et
pas seulement pour les Occidentaux.
Saisissant cette 'fenêtre
d'opportunité'', la société d'État
chinoise China Railway Corporation (CRC)
a proposé le mois dernier la
construction d'une ligne de trains
rapides reliant la Chine occidentale à
l'Iran, un de ses partenaires majeurs au
Moyen-Orient. C'est ce qu'annonce le
quotidien gouvernemental China Daily.
Long de 3200 km, ce tronçon permettrait
de relier Urumqi, la capitale de la
province chinoise du Xinjiang, à la
capitale iranienne Téhéran. Pour la
Chine, intégrer l'Iran dans son projet
de nouvelle route de la Soie relève
avant tout d'une importance économique.
'La Chine a maintenu ses relations
commerciales avec l'Iran en dépit des
sanctions et les sociétés chinoises y
ont massivement investi dans
l'industrie, des biens de consommations
à l'énergie en passant par
l'automobile''.» (4)
Comme première
concrétisation, l'Iran a accueilli le
premier train de fret qui a quitté la
Chine il y a près d'une quinzaine de
jours, lundi dans la capitale iranienne,
Téhéran. Les médias iraniens ont
rapporté dimanche que le train est déjà
entré dans le pays par le point de
frontière du nord Sarakhs. Son voyage
planifie de couvrir une distance
d'environ 10 000 kilomètres dans les 14
jours. Téhéran a déjà promis de soutenir
l'initiative Nouvelle route de la Soie
avec un investissement de 6 milliards de
dollars pour les six prochaines années,
ont rapporté les médias chinois. Avec la
disparition des sanctions économiques
états-uniennes et européennes, il
devient manifeste que l'Iran veut
aujourd'hui construire, pas détruire
comme l'Occident semble le vouloir à
tout prix. La toute dernière annonce est
que Téhéran a décidé de se lancer dans
un grand projet d'infrastructure qui
demandera peut-être une dizaine d'années
pour être achevé: un canal navigable,
reliant pour la première fois la mer
Caspienne au golfe Persique en
traversant l'Iran.» (5)
De même, un train
de marchandises reliant la ville
chinoise de Wuhan, à la ville de Lyon
est entré en service le 7 avril 2016. Ce
train, transportant des produits, mettra
16 jours pour achever un trajet long de
11300 km, contre 50 à 60 jours par voie
maritime.
L'Algérie sur le
trajet de la route de la Soie: pourquoi
pas?
L'Algérie n'a pas
encore déprogrammé son tropisme vers
l'Europe. Pourquoi toujours coller à
l'Europe et ne pas créer une nouvelle
dynamique avec l'Asie qui s'affirme de
plus en plus comme le barycentre du
monde. Mise à part l'Allemagne, les
autres pays ont d'énormes problèmes
financiers. L'Algérie a raté son
adhésion à la banque fondée par la Chine
en mars 2015. Il n'est pas trop tard, si
nous avons un cap pour le développement
du Sahara, la Chine pourrait nous
accompagner. Au vue des défis du futur,
il est de mon point de vue nécessaire
pour les deux pays de mettre en place
une université ou on enseigne la
technologie en chinois et en anglais,
l'Algérie serait la porte de l'Afrique.
Faire partie de la route de la Soie
relève a priori de l'utopie tant il est
vrai que nous ne sommes pas sur le
tracé!
Pourtant, s'il y a
une coopération chinoise en Algérie, il
y a une diaspora algérienne en Chine qui
peut servir de trait d'union. Saïd
Belguidoum enseignant à l'université de
Sétif nous parle d'un retour de la soie
en décrivant un séjour qu'il a effectué
en Chine. Nous l'écoutons: «(...) Les
enquêtes que nous menons en Algérie
depuis plus de trois ans montraient que
le rôle et le poids de Yiwu
s'amplifiaient au point de devenir la
principale destination des entrepreneurs
marchands algériens, supplantant
d'autres places telles que Marseille
(dont le rôle est devenu marginal), et
surtout celles du Moyen-Orient et Dubaï.
Acteurs essentiels de ce nouveau
dynamisme commercial urbain, les
entrepreneurs marchands ont remonté la
route des produits et mis en place
d'efficaces et discrets réseaux
d'approvisionnement. Remonter à notre
tour ces 'nouvelles routes de la Soie''
devrait permettre de mieux comprendre
comment, à partir de ces routes, ont pu
se constituer en Algérie des places
marchandes au rayonnement national et
aux connections internationales. El
Eulma et Aïn Fakroun, deux localités de
l'Est algérien, illustrent la montée en
puissance de ce nouveau type de
ville.»(6)
«Les commerçants
poursuit-il, de passage sont très
nombreux. Leur présence est continue
toute l'année, même si c'est au moment
des grandes foires que l'affluence bat
son plein. Les «traders» algériens, dont
il est difficile d'évaluer le nombre
précis, sont de plus en plus nombreux à
s'installer. (...) Une vingtaine de
«gros bureaux», les pionniers venus au
début des années 2000, ont pignon sur
rue. Ils traitent les grandes affaires
d'exportation vers l'Algérie et sont en
relation avec une importante clientèle.
Depuis deux ou trois ans, se développe
une nouvelle génération de petits
traders et qui tout en entrant en
concurrence avec les gros bureaux,
profitent de l'importance des flux
commerciaux avec l'Algérie pour tenter
de se faire leur place. Dix ans après
les premières installations, on assiste
à un processus indéniable de
constitution d'un comptoir algérien
durable, alimenté par une population
jeune (22 à 35 ans), entreprenante et
prête à se fixer comme le montrent
certains signes. (...) Ces premiers
mariages avec des Chinoises facilitent
une intégration(...)»(6)
Il n'est pas
interdit de penser à une route de la
Soie avec un prolongement africain par
voie maritime. La route maritime qui va
vers Venise peut très bien faire un
crochet vers l'Algérie. Au vu de la
densité des rapports algéro-chinois
forgés pendant la lutte de libération,
il est possible de penser à une route de
la Soie qui emprunterait à partir
d'Alger le trajet de la transaharienne
et qui irait irriguer toute l'Afrique
centrale, de l'est et de l'ouest du fait
qu'un partenariat Chine-Afrique existe.
Qui ne tente rien n'a rien. Faisons-le!
C'est le premier pas qui compte comme
nous y invite Lao Tseu.
1.Frédéric Martel
http://www.slate.fr/story/99575/
chine-route-de-la-soie 29.03.2015
2.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Route_de_la_soie
- cite_note-peopledaily-9
3.
http://iranfr.com/liran-route-soie-cauchemar-us/
4.
http://iranfr.com/chine-integrera-liran-nouvelle-route-soie/22
décembre, 2015
5.William Engdahl
journal-neo.org/2016/04/07/ iran-links-to-eurasia-with-persian-canal/
6/ Saïd Belguidoum
https://fr.hypotheses.org/21591
Article de
référence
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur
chitour/240524-nos-chances-dependent-de-notre-ambition.html
Professeur Chems
Eddine Chitour
Ecole Polytechnique
enp-edu.dz
Publié le 2 mai
2016 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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