Comment je vois le
monde
Moi, Président de la deuxième République
:
Je fais le serment
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Samedi 1er février 2014
«Quand
tu lances la flèche de la vérité, prends
soin avant de tremper la pointe dans du
miel.»
Proverbe
algérien
La situation actuelle du pays est
délicate, elle demande à chacun de nous
de faire son introspection et de prendre
position pour le plus grand bien de ce
pays. Un état des lieux sans
complaisance est nécessaire.
Etat des lieux
L'Algérie de 2014, c'est 39 millions
d'habitants dont 90% n'ont pas connu le
colonialisme. Et pourtant, le pouvoir
continue à régner sur la légitimité
révolutionnaire alliée avec les nouveaux
riches. Cela ne veut pas dire que la
Glorieuse Révolution, les martyrs et les
moudjahidine sont à oublier, non!
Simplement, nous sommes au XXIe siècle,
de nouvelles légitimités basées sur le
savoir, la compétence et l'amour du pays
doivent prendre la relève graduellement
mettant un terme à toute la satrapie de
la famille révolutionnaire dont on peut
se demander à juste titre quelle est sa
valeur ajoutée si ce n'est en termes de
jouissance sans mérite. Si on devait
faire honnêtement le bilan des cinquante
ans passés, nous avons dilapidé une
rente de près de 800 milliards de
dollars dont 600 milliards depuis
l'année 2000.
Qu'avons-nous fait de perenne? Il est
vrai que l'Algérie de 2014 est un grand
pays riche, mais désespérément
sous-développé avec toujours les mêmes
interrogations. Après un cinquantenaire
d'actions plus ou moins glorieuses,
l'Algérie se retrouve à la croisée des
chemins avec une société gérée encore
par la «aççabya». Elle n'a pas permis
l'émergence de la nation au sens du
désir de vivre ensemble.
Nous sommes, en tant qu'intellectuels,
en faute, nous avons une faillite morale
pour n'avoir pas su dire «non!»,
«basta!» aux multiples dérives d'un
système qui fait dans la «aççabya» un
mode de gouvernance qui perpétue et fait
de la Glorieuse Révolution de Novembre
et dont nous fêtons le soixantième
anniversaire, un fonds de commerce
lucratif. Quelle est la priorité pour
celui qui s'immole ou brave la mer? Un
travail, une vie décente? Un avenir ou
la liberté. Beckett disait qu'«un
bulletin de vote ne se mange pas». Nous
ne voyons dans le comportement des
jeunes que la dimension «destruction»,
essayons de voir en eux des bâtisseurs.
Quelle tragédie que des jeunes gens en
arrivent à jouer leur vie à pile ou face
dans des embarcations de fortune ou,
pire, à offrir leur corps aux flammes;
chaque harraga qui disparaît, chaque
immolation sont des actes de désespoir
et aussi des actes d'accusation contre
notre indifférence.
Qui se souvient pour la période récente
du 5 octobre 1988, qui a vu la fine
fleur du pays être fauchée? Il fut, de
mon point de vue, le déclencheur du vent
de liberté des peuples arabes. Cet
événement donnait l'illusion que tout
était permis, que l'Algérien, ce
frondeur, avait le droit au chapitre, il
pouvait critiquer. Il était, en un mot,
acteur de son destin. La démocratie
semblait à portée de main. La vie
politique s'alluma, les langues se
délièrent et une formidable ouverture se
dessina. tout était devenu possible.
Mais le fol espoir allait vite retomber.
Les Algériens perdirent pied et
s'accrochèrent par réflexe atavique ou
eschatologique aux discours les plus
radicaux, les plus sectaires, les plus
dangereux qui nous amenèrent à la
décennie noire.
Un quart de siècle plus tard ou en
sommes-nous? Force est de constater que
nous sommes au point mort, que la
régression n'a pas été féconde, que la «aççabya,
le régionalisme, les passe-droits, la
corruption sont devenus un sport
national aussi pernicieux que celui qui
a permis à des individus qui n'ont rien
prouvé toute leur vie de se voir offrir
des milliards de DA pour avoir tapé dans
le ballon et avoir donné un peu de
soporifique trompeur à une jeunesse en
mal d'espoir. Donner en une fois à un
joueur le gain d'un salaire d'un
professeur besogneux pendant toute une
vie est le plus mauvais message que l'on
puisse donner contre l'école qui ne joue
plus son rôle d'ascenseur social.
La gestion par la paresse intellectuelle
est encore possible tant que nous
pompons d'une façon frénétique une
ressource qui appartient aux générations
futures. Notre errance actuelle c´est
aussi le gaspillage frénétique de nos
ressources en hydrocarbures du fait de
l´absence, là aussi, d´une stratégie et
c´est enfin, la corruption, qui est là
pour nous rappeler notre
sous-développement. De plus, il nous
paraît tragique d'annoncer urbi et orbi
que l'Algérie a pour cinquante ans de
réserve, notamment avec le canular du
gaz de schiste. C'est un mauvais signal
que les Algériens perçoivent ainsi:
dormons, la rente veille sur notre
gabegie avec le fameux adage «Ragda oua
tmangi dima felcoungi» «Sommeil,
boustifaille, et toujours en congé»
voilà l'Homo algerianius du 20e siècle
qui roule sur quelques neurones.
C'est enfin un système éducatif en
miette, et une sous-culture folklorisée
dans le sens du chant et de la danse, du
farniente des Mille et Une Nuits pendant
que le monde développé en est au Web
3.0, que la Chine a rattrapé les
Etats-Unis. En 1963, nous avions le même
niveau que la Corée du Sud, 50 ans plus
tard, la Corée du Sud est 10e et nous
110e.
Dans l'Algérie actuelle tout est à
prendre, les Algériens qui font leur
travail, qui méritent durement leur
salaire sont de plus en plus scandalisés
par le m'as-tu-vu et les fortunes qui
ont jailli du néant, de toute une faune
dont l'unité de mesure est le milliard.
J'en veux à cette culture qui a réussi à
abrutir la jeunesse en lui proposant de
«se divertir» pour oublier dans la plus
pure tradition de «panem et circenses»
«du pain et des jeux de cirque» de
l'Empire romain sur le déclin, alors
qu'il faut lui proposer de s'instruire,
de connaître l'histoire de son pays, de
la lecture, du théâtre, l'éducation, du
travail, bref, de la sueur au lieu de
soporifiques coûteux et sans lendemain..
Il n'y a jamais de place dans les
journaux pour la science, la recherche,
la prouesse des Algériens. Sait-on par
exemple en dépit de ce que disent les
nihilistes que la Recherche - malgré ses
insuffisances réelles a permis à des
chercheurs de participer à la
construction d'un télescope spatial. Le
salaire mensuel des vingt chercheurs
retenus par la Nasa est équivalent à
celui d'un footballeur du «mercato»,
encore un autre mot pour désigner un
marché juteux. On croit aussi à tort que
le football, des Messi, des Maradona,
payés d'une façon ou d'une autre avec le
pétrole des générations futures, les
Aliens de l'Equipe nationale pour la
plupart vivent dans d'autres cieux, ils
viennent le temps d'un match recevoir la
dîme et retourner chez eux, ils sont des
exemples à suivre.
De fait, l´Algérie est devenue un tube
digestif immense, l´Algérien veut tout
et tout de suite et par un mimétisme
ravageur, il n´emprunte à l´Occident que
ce qu´il ne produit pas, mais qu´il peut
pour le moment encore acheter. Avoir 40
millions de portables ou rouler en 4x4
et consommer d´une façon débridée
l´énergie n´est pas un signe de
développement. Le pouvoir, dos au mur,
est confronté à toutes les révoltes, au
lieu du parler vrai, tente de maintenir
une stabilité apparente alors que les
problèmes de fond attendent d'être
abordés résolument
La course à la présidentielle
Cette présidentielle est marquée par
l'avènement de personnes frappées par le
Principe de Peter. Elles pensent que
leur compétence réelle ou supposée dans
un domaine donné, leur permet toutes les
outrances, à telle enseigne qu'une
caricature les a croquées en montrant
une foule de clowns criant: «Moi aussi,
moi aussi je veux me présenter.» Il y a
de ce fait -comble d'ironie- des
candidats à la présidentielle qui
viennent nous dire comment il faut
faire. Que connaissent ces donneurs de
leçons à distance, qui se permettent de
s'immiscer dans une Algérie qu'ils ont
abandonnée au plus fort de sa détresse
pour des cieux plus cléments. A ces
intellectuels autoproclamés, il manque
une vertu fondamentale: l'humilité et la
retenue vis-à-vis de cette Algérie
profonde, celle qui galère au quotidien.
Je les invite à venir vivre et vibrer à
la fréquence de la mal-vie des Algériens
d'en bas et non pas à celle du Quartier
latin derrière un verre ou celle encore
dénuée d'humilité à partir de Montréal
ou d'ailleurs.
A tous les spécialistes du «Armons-nous
et partez», qui donnent des conseils,
qui savent au fond d'eux-mêmes que leur
cinéma de la présidentielle a pour
finalité d'avoir une visibilité aussi
fugace que celle d'un météore soit-elle.
«Etre un homme, disait Malraux, c'est
réduire la part de la comédie.» Non
messieurs, il s'agit du destin de
l'Algérie, je vous invite à rentrer au
pays vivre ses espoirs et ses
déceptions, écouter ce que ces jeunes
ont à dire, payer de leur personne,
rattraper leur dette pour avoir fui ce
pays quand il était à feu et à sang. Je
les invite ´´ici et maintenant´´ à venir
participer à une longue marche celle qui
consiste à suer, à baver, à créer in
situ en faisant fleurir cette jeunesse
non pas à distance avec le «Y a
qu'à...».
Un projet de société viable
Au-delà des libertés de la démocratie,
de l'alternance à graver dans le marbre
lors d'une nouvelle Constituante pour
une deuxième République, il faut
réconcilier l'Algérie avec son histoire
et enseigner que 18 siècles avant
l'avènement de l'Islam au Maghreb, il y
avait un peuple, une identité, une
civilisation. Massinissa battait monnaie
quand l'Europe n'avait pas émergé aux
temps historiques. Revendiquons nos
racines amazighes sans en faire un fonds
de commerce. Nous avons trop souffert du
slogan «Nous sommes arabes, arabes,
arabes» de Ben Bella. Une fois
l'identité plurielle assumée, enseignée
et traduite d'une façon apaisée dans les
attributs de souveraineté, telle que la
langue, les médias, il faut se mettre au
travail et propulser l'Algérie dans ce
XXIe siècle de tous les dangers.
Nous devons être en mesure de permettre
à chacun de donner la pleine mesure de
son talent, d'être utile, de gagner
dignement son pain, non pas par des
perfusions faisant des citoyens des
assistés à vie ou des oubliés à vie.
Tout travail mérite salaire. Distribuer
la rente fera que rien de pérenne ne
sera construit et tout retombera d'un
coup une fois que la rente ne sera plus
là pour couvrir les atermoiements et les
errances.
L'exemple récent de Ghardaïa est à
méditer. Il est nécessaire de
réconcilier ce peuple avec son histoire.
Si on ne doit pas invoquer la théorie du
complot extérieur à tout bout de champ,
force est de constater que le potentiel
de l'Algérie ne laisse pas indifférent
les grands de ce monde. A Dieu ne
plaise, si on ne fait rien pour asseoir
définitivement un Etat Nation, nous
allons être soudanisés, voire irakisés,
ou pire, somalisés. Nous ne sommes pas
invulnérables !
Le moment est venu, le croyons-nous
encore une fois, de réconcilier les
Algériennes et les Algériens avec leur
Histoire de telle façon à en faire un
invariant qui ne sera pas récupéré d´une
façon ou d´une autre. Le moment est venu
aussi, une fois encore, de faire émerger
à côté encore des légitimités
historiques, les nouvelles légitimités
du XXIe siècle. Chacun devra être jugé à
l'aune de sa valeur ajoutée, non pas en
tant que remueur de foule, voire comme
professionnel de la politique.
Dans une génération, l´Algérie importera
son pétrole, avec quoi, puisque
présentement, il représente 98% de ses
recettes. La société civile que nous
devons contribuer à faire émerger devra
être partie prenante du destin de
l´Algérie. S´agissant de la stratégie
énergétique, il est important de tout
mettre à plat et tracer un cap qui nous
permette d´aller vers la sobriété
énergétique et miser sur les énergies
renouvelables en n´extrayant du pétrole
et du gaz que ce qui est strictement
nécessaire au développement. Qu´on se le
dise! Notre meilleure banque est notre
sous-sol, c´est cela le développement
durable.
Moi, président de la République
Sans être exhaustif, je propose cette
anaphore qui sans être exhaustive donne
une idée des mesures nécessaires si l'on
veut conquérir le coeur des Algériens et
s'imposer autrement que par les méthodes
que la morale réprouve.
Moi, président, je mettrais tous mes
efforts pour faire aboutir un projet de
société consensuel en combattant le
régionalisme, le népotisme et les
déviations basées sur l'ethnie ou la
religion.
Moi, président, je choisis de parler
vrai et d'assumer une impopularité si
j'ai la conviction que c'est la bonne
voie pour mon pays, quitte à
démissionner.
Moi, président de la République, je
ferais de mon mieux pour consacrer les
libertés individuelles
Moi, président, je rendrais l'espoir à
cette jeunesse en lui donnant une
utopie, un cap qui est la construction
d'un Etat fort où seul le mérite sera
pris en considération
Moi, président, je ferais du système
éducatif et de la recherche le coeur de
la stratégie pour une transition
multidimensionnelle
Moi, président, je n'irais inaugurer que
des réalisations de création de
richesse, et pas de salles de classe ou
d'amphis ou de logement
Moi, président, j'irais m'enquérir
régulièrement de l'acte pédagogique dans
les écoles, les lycées, les universités
de la plus modeste recherche, dans le
plus humble des laboratoires
Moi, président, je réhabiliterais le
service national matrice du
vivre-ensemble, j'irai encourager les
bâtisseurs du développement national qui
feront du Sahara une seconde Californie,
qui construirons de nouvelles villes au
Sud,
Moi, président de la République, je
donnerais un sens au développement
durable
Moi, président de la République, je
protégerais les ressources fossiles en
n'extrayant du sous-sol que ce qui est
nécessaire, convaincu que notre
meilleure banque est notre sous-sol. Le
peu d'énergie qui reste, notamment le
gaz de schiste ne sera exploitée que
quand la technologie sera respectueuse
de l'environnement
Moi, président de la République, je
ferais la chasse au gaspillage sous
toutes ses formes, je recommanderais aux
imams de faire des prêches incitant les
fidèles à l'économie, je mettrais en
oeuvre l'apprentissage de l'éco-citoyenneté
au lieu de l'égo-citoyenneté actuelle
Moi, président de la République, je
réhabiliterais l'effort, le devoir bien
fait en mobilisant les médias lourds
pour mettre en valeur les efforts de ces
méritants de la Nation
Moi, président de la République, je
réhabiliterais le sport national, la
performance pour l'idéal national et non
pour l'argent
Moi, président, j'exigerais de tous les
responsables de déclarer sur l'honneur
leur patrimoine.
L'immense majorité de la jeunesse est en
attente d'un Messie qui vibre à leur
fréquence qui au lieu du «quararna»,
convainc et ne contraint pas.
En définitive, il nous faut retrouver
cette âme de pionnier que l'on avait à
l'Indépendance en mobilisant, quand il y
a un cap. Imaginons que le pays avec une
nouvelle Constitution qui ancre la
démocratie, décide de mobiliser dans le
cadre du Service national, véritable
matrice du nationalisme et de
l'identité, des jeunes capables de faire
reverdir le Sahara, de s'attaquer aux
changements climatiques, d'être les
chevilles ouvrières à des degrés divers
d'une stratégie énergétique qui tourne
le dos au tout-hydrocarbures et qui
s'engage à marche forcée dans les
énergies renouvelables.
L'immense majorité de la jeunesse est en
attente d'un Messie qui vibre à leur
fréquence qui au lieu du «quararna»,
convainc et ne contraint pas. Le bonheur
transparaîtra en chacun de nous par la
satisfaction d'avoir été unis utiles, et
en contribuant par un travail bien fait,
par l'intelligence et la sueur, à
l'avènement de l'Algérie de nos rêves.
Il ne tient qu'à notre volonté de faire
de nos rêves une réalité. Nous le
devons, nous le pouvons. Faisons-le. Nos
élites politiques sont comptables devant
l'histoire.
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
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