Politique
Avec les compliments du Cac40, de l’OTAN
et de la Françafrique
Bruno Guigue

Mercredi 31 mai 2017
Sauf pour ceux qui
croient encore aux vertus de la
démocratie bourgeoise, la victoire
d’Emmanuel Macron à l'élection
présidentielle ne fut pas une surprise.
Car le dandy de la finance n’a pas
seulement été coopté par l’oligarchie.
Le chantre de l'ubérisation de la
société n’a pas seulement été choyé par
des médias aux mains d'une poignée de
milliardaires. Comme si cela ne
suffisait pas, on a assisté, dans la
dernière ligne droite, à une campagne
marketing impressionnante. Lancé sur le
marché comme une savonnette, le
godelureau du Cac40 a effectué une
véritable OPA sur l'Elysée.
Victime de ses
casseroles, l'ambition présidentielle de
M. Fillon a explosé en plein vol. Cette
éviction du candidat de droite eut deux
conséquences. Elle a ouvert un espace
politique au social-libéralisme de M.
Macron, et elle a offert la deuxième
place à Marine Le Pen. Au deuxième tour,
comme prévu, le repoussoir lepéniste a
joué son rôle à la perfection. Elaborée
par François Mitterrand dans les années
80, la stratégie de l'épouvantail
d'extrême-droite a une vertu
irremplaçable. Face à la bête immonde,
elle transforme n’importe qui en héros
national.
Emmanuel Macron en
a pleinement bénéficié, et le freluquet
qui s'époumonait en meeting sous les
applaudissements télécommandés de
groupies impubères est devenu le sauveur
de la démocratie. L'invocation
anachronique du péril fasciste, la
séquence médiatique Oradour-sur-Glane et
la culpabilisation de l'électorat de
gauche ont fait merveille. En jouant sur
la peur qu'inspire le FN, M. Macron a
obtenu haut la main les deux tiers des
suffrages. Les bonnes consciences de la
gauche boboïsée, au moins, n'auront pas
brandi en vain l'épouvantail lepéniste.
Défiant les lois de
l'arithmétique, ces bonnes âmes
expliquaient que Mme Le Pen risquait
d'être élue, que le spectre de 1933
n'était pas loin et que les
abstentionnistes étaient des
irresponsables. Le seul résultat de ce
bourrage de crânes, ce fut dix millions
de voix d'avance pour le candidat de la
finance. Dotée de moyens colossaux,
l'opération marketing fut couronnée de
succès. D'une élection difficile, elle
fit un plébiscite, et d'un banquier
d'affaires un président de la
République. L'essentiel était sauf. Le
fascisme vaincu, on a enfin pu ranger le
trouillomètre.
La première
allocution du nouveau président fut à
l’image de cette élection-bidon. Du
bla-bla de publicitaire, une ritournelle
insipide aux allures d'auberge
espagnole, un filet d’eau tiède qui
consiste à dire à chacun ce qu’il veut
entendre. Mais avec la nomination du
gouvernement, les choses sérieuses
commencèrent. Choisi parmi les jeunes
loups de la droite néolibérale, le
nouveau premier ministre, à lui seul,
est tout un symbole. Composé de juteux
allers-retours entre le public et le
privé, son Curriculum Vitae scintille
d'un véritable joyau. Après le Don Juan
du Cac40, voici le lobbyiste radio-actif.
De 2007 à 2010,
Edouard Philippe, en effet, exerça les
fonctions de directeur de la
communication et des affaires publiques
d’Areva. En clair, sa mission était de
faire du lobbying, notamment auprès des
parlementaires acquis à la cause
atomique. Selon l'Observatoire du
nucléaire, c’est précisément pendant
cette période, le 13 janvier 2008, qu’un
accord est signé entre Areva et le
gouvernement du Niger pour
l’exploitation de l’uranium. Or cet
accord est contesté par le mouvement
touareg, en rébellion contre le pouvoir
central de Niamey.
Le précieux minerai
est vendu à vil prix par le Niger, et
les maigres revenus qu'il procure ne
bénéficient pas à la population. Les
gisements se trouvant dans les zones de
vie traditionnelles des Touaregs, ces
derniers se sentent floués. Les troubles
qui agitent la région sahélienne sont
donc liés à la politique d'une
multinationale dont M. Philippe fut le
VRP. C'est l'alliance nouée entre
certains Touaregs et les djihadistes qui
servit de prétexte, en 2013, à
l'intervention militaire française. Et
ce n'est pas un hasard si la première
visite africaine de M. Macron fut
destinée à cette région.
A défaut de
susciter l'enthousiasme, la séquence
politique qui vient de se dérouler est
riche d'enseignements. L'élection au
forceps d'un télévangéliste formé chez
Rothschild était déjà un signe des
temps. La nomination à Matignon d'un VRP
de l'industrie nucléaire au patrimoine
douteux en est un autre. La volatilité
des étiquettes politiques et la
prolifération des retournements de
veste, sur fond de bouillabaisse
politicienne à l'approche des
législatives, font aussi partie du
paysage macronien.
En régime
capitaliste, disait Marx, le
gouvernement est le « conseil
d'administration des affaires de la
bourgeoisie ». En faisant main basse sur
l'Elysée, le jeune banquier opère la
synthèse entre différentes fractions de
l'oligarchie. Dès l'été 2017, cette
union sacrée de la classe dominante sera
scellée sur le dos des travailleurs.
Ex-DRH de Dassault, la nouvelle ministre
du Travail vient de recruter comme chef
de cabinet l'ex-directeur adjoint du
MEDEF. Si elle obtient une majorité
parlementaire, cette équipe mettra en
pièces le code du travail.
Les détenteurs de
capitaux, eux, n'auront pas à se
plaindre du nouveau gouvernement. Un
exemple ? Paris vient de demander
l'annulation d'une réunion consacrée à
la Taxe européenne sur les transactions
financières. Selon Oxfam-France, un
accord sur la TTF européenne était à
portée de main, et la France avait une
occasion d'agir dans l'intérêt général.
Mais l'audace de M. Macron s'évanouit
dès qu'il s'agit de mettre un frein à la
spéculation financière et de rogner les
privilèges des riches.
En politique
étrangère, le nouveau président a donné
le ton. En s'invitant au Sahel, il s'est
coulé dans le moule de la Françafrique.
Sous prétexte de lutter contre le
terrorisme, le pillage néo-colonial du
continent africain va continuer de plus
belle. Le godelureau de l'Elysée joue au
dur en serrant la pogne du milliardaire
new-yorkais, mais la réalité de la
politique élyséenne parle d'elle-même.
N’en déplaise aux flagorneurs de la
presse française, l'indépendance qu'il
revendique n'est que poudre aux yeux.
Affrontant une
menace imaginaire, les troupes
françaises participent aux manœuvres de
l'OTAN dans les pays baltes. Lors de sa
rencontre avec le président russe, le
freluquet de l’Elysée a ressassé le “fake”
habituel sur l'arme chimique, puis il a
reçu l'opposition syrienne “off shore”,
faux-nez de ces terroristes modérés dont
raffole l'intelligentsia parisienne. La
présidence de François Hollande a battu
le record des compromissions avec les
marchands d'armes, les monarchies
corrompues, les “rebelles modérés” et
les néocons de Washington. Tel le
Phénix, elle va renaître sous la
présidence Macron.
(Afrique-Asie, juin
2017)
Publié avec l'aimable autorisation de
l'auteur
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