Actualité
La Syrie, Astana et le basculement du
Monde
Bruno Guigue
Vendredi 30 décembre 2016
Depuis la
libération d'Alep, les événements se
précipitent. Des négociations
inter-syriennes ont été menées sous
l'égide de la Russie, de l'Iran et de la
Turquie. Elles ont abouti le 29 décembre
à un triple accord entre le gouvernement
syrien et sept groupes de l'opposition
armée. « Trois documents ont été signés
», a déclaré le président russe. Le
premier instaure « un cessez-le-feu sur
l'ensemble du territoire syrien ». Le
deuxième définit « les mesures visant à
contrôler le respect de la trêve ». Le
troisième est une « déclaration sur la
volonté des parties en conflit de lancer
des négociations de paix ».
Certes, on
objectera à juste titre que cet accord
n'instaure dans l'immédiat qu'un fragile
cessez-le-feu. Il peut être remis en
cause à tout moment, les terroristes d'Al-Qaida
et de Daech en sont exclus, et il ne
règle pas, au fond, la crise syrienne
ouverte au printemps 2011. Il n'empêche
que cette signature, fruit de
tractations entre des parties qui ne se
parlaient plus, marque une nouvelle
avancée en vue d'un règlement politique
du conflit, une semaine à peine après la
victoire de l'armée arabe syrienne dans
la deuxième ville du pays.
L'avenir dira si
cette étape était décisive, mais on peut
déjà en tirer trois enseignements.
Le premier, c'est
que rien ne vaut une victoire militaire
pour remettre les pendules à l'heure. La
débandade des « rebelles » d'Alep-Est
après un mois de combats valide la
stratégie syrienne de reconquête
territoriale. Les cinq premières villes
du pays sont désormais sous le contrôle
du gouvernement : Damas, Alep, Homs,
Lattaquié et Hama. Toutes les
combinaisons échafaudées en Occident et
dans les pays du Golfe pour imposer le
départ de Bachar Al-Assad, que ce soit
comme « préalable » ou comme « résultat
» d'une transition politique, se brisent
sur cette réalité comme une coque
vermoulue sur des récifs côtiers.
La victoire
militaire de l'armée syrienne et de ses
alliés, en réalité, conforte
l'initiative russe en faveur d'une
solution politique. En position de
faiblesse, les groupes armés non
affiliés à Daech ou Al-Qaida vont devoir
choisir entre une fuite en avant qui
liera leur sort à ces jusqu'au-boutistes
ou une négociation avec un Etat syrien
qui les chasse, peu à peu, des
principales agglomérations du pays.
L'attitude de ces groupes est l'une des
inconnues qui pèseront sur la suite des
événements, mais il est significatif
qu'ils aient choisi, sans doute à
contre-cœur, la solution négociée.
Le deuxième
enseignement, c'est l'éviction
spectaculaire des Etats-Unis, éjectés
comme des malpropres d'une scène
syrienne où ils ont additionné les
mensonges, les coups bas et les échecs à
répétition. Pour la première fois dans
l'histoire contemporaine, la négociation
sur un conflit majeur est engagée sans
Washington, qui doit se résoudre à faire
tapisserie pendant que Moscou mène la
danse. Discrédités par une politique
erratique, les USA sont condamnés à
approuver un processus qu'ils n'ont
jamais cherché à promouvoir tout en
prétendant le contraire. En attendant,
ils se voient contraints de mettre une
sourdine à leurs jérémiades sur les «
crimes de guerre » et la « barbarie
russe ».
Cette mise en
orbite de la Maison-Blanche est d'autant
plus cruelle que son principal allié
dans la région, la Turquie, y a
participé activement. Pour Ankara, mieux
vaut un adversaire avec qui on peut
négocier (Moscou) qu'un allié félon qui
vous fait des enfants dans le dos
(Washington). Les USA paient leur
ambiguïté lors de la tentative de coup
d'Etat en Turquie, mais aussi le soutien
opportuniste accordé aux Kurdes de
Syrie. M. Poutine, dont la retenue lors
de l'affaire du Soukhoï abattu a porté
ses fruits, n'eut qu'à tendre la main à
son homologue turc pour que la
géographie et l'économie, facteurs
objectifs de convergence turco-russe,
prennent le dessus.
L'admission de la
Turquie dans le club des parrains de la
paix en Syrie est un coup de maître.
Mais Moscou a aussi contracté une police
d'assurance du côté de Doha. En lui
concédant une participation au capital
de la compagnie pétrolière nationale
Rosneft, Moscou achète la neutralité du
Qatar. Ce pacte de circonstance devrait
contribuer à la tiédeur de l'Arabie
saoudite, à son tour, pour une rébellion
en déroute. Revirement turc, défection
qatarie, isolement saoudien, le
dispositif clintonien du « regime change
» en Syrie s'effondre comme un château
de cartes. Donald Trump a proclamé son
intention d'en finir avec ces lubies
néo-conservatrices. A croire qu'il avait
anticipé la suite des événements !
Le dernier
enseignement, enfin, est lié au lieu
même des futures négociations de paix.
Capitale futuriste du Kazakhstan
construite en 1997, Astana est au cœur
de cet arc de puissance géopolitique
dont Moscou est l'artisan inlassable
face aux prétentions occidentales à
régenter la planète. C'est à travers le
territoire kazakh que passent les
oléoducs qui acheminent, vers la Chine,
le gaz en provenance des gisements de la
Caspienne. Premier producteur mondial
d'uranium, le Kazakhstan est un allié
stratégique de la Russie et son
partenaire essentiel dans les
domaines-clé de la modernité économique
(nucléaire, spatial, hydrocarbures).
Ce pays asiatique
majoritairement musulman est membre de
l'Union eurasienne et de l'Organisation
de coopération de Shanghaï. En plein
développement, proche de la Russie, il
est le symbole des nouveaux équilibres
du monde. C'est à Astana que les
négociations de paix commenceront en
janvier, précédant celles de Genève en
février. Les deux processus ne sont pas
contradictoires, affirme la diplomatie
russe. Staffan de Mistura, délégué
spécial de l'ONU pour la Syrie, sourit
pour la forme. Mais quel symbole !
Détrônée par la capitale kazakhe, la
cité helvétique n'est plus le centre de
l'activité diplomatique. Les Russes
l'ont déplacé à l'Est, au cœur d'une
Eurasie qui est le siège des puissances
de demain.
Bruno Guigue
(30/12/2016)
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