Monde
Avec le décret migratoire, Trump défie
Téhéran
Bruno Guigue
Lundi 30 janvier 2017
Le décret migratoire de Donald Trump
visant sept pays du Moyen-Orient, à
l'évidence, est une opération
démagogique. Mais elle n'est pas non
plus, comme on le verra, exempte
d'arrière-pensées géopolitiques.
Chercher les raisons de cette décision
dans les impératifs de la lutte contre
le terrorisme, en tout cas, relève de
l'exploit intellectuel. Car aucun de ces
pays n'a fourni de terroriste ayant
frappé le territoire américain, et aucun
ne sponsorise les organisations
djihadistes.
Six
d'entre eux, en revanche, partagent le
triste privilège d'avoir été dévastés
par des guerres menées ou fomentées par
les Etats-Unis d'Amérique. La Somalie et
le Soudan ont été minutieusement dépecés
avec la complicité occidentale. L'Irak a
été pulvérisé en 2003, puis livré à la
guerre civile et aux attentats à
répétition. La Libye a subi le même sort
par voie aérienne en 2011, Paris et
Londres ayant fait le sale boulot pour
le compte de Washington.
La
Syrie est également frappée, depuis
2011, par une tentative de
déstabilisation qui lui inflige un
véritable martyre, les services secrets
américains ayant joué un rôle décisif
dans le financement des organisations
terroristes conformément à un agenda
avoué par Hillary Clinton elle-même. Le
Yémen, enfin, subit à son tour depuis
mars 2015 une agression militaire
saoudienne parrainée par Washington.
En
interdisant l'entrée sur le territoire
américain aux ressortissants de ces six
pays, Donald Trump leur inflige donc la
double peine. Ses prédécesseurs les ont
ruinés, et voilà qu'il les ostracise.
L'absurdité de cette politique saute aux
yeux quand on constate que l'Arabie
saoudite et le Qatar, fourriers notoires
du terrorisme, ne font l'objet d'aucune
sanction. Donald Trump punit les
victimes des crimes commis par George W.
Bush, Barack Obama et Hillary Clinton.
Et comme si cela ne suffisait pas, il
absout leurs complices du Golfe.
Des
considérations électoralistes peuvent
expliquer cette politique de gribouille.
Elle envoie un signal au fan club du
nouveau président, elle accrédite l'idée
qu'il ne se contente pas de paroles.
Mais ces mesures ne servent à rien.
Prises pour 90 jours, elles pénalisent
évidemment de nombreuses familles, mais
les binationaux et les titulaires d'une
carte verte ne sont pas concernés. Et on
se doute qu'il y avait peu de Yéménites
ou de Soudanais pressés de se rendre aux
USA ces derniers temps.
L'intérêt de l'opération n'est pas
seulement interne. Car l'objectif de la
nouvelle administration, en réalité, est
de stigmatiser l'Iran. Faisant fi de sa
participation à la lutte contre la
terreur, Trump entend piquer Téhéran au
vif, ce qui permettra le cas échéant de
mettre en cause l'accord sur le
nucléaire dénoncé par le candidat
républicain. Répondant à ses critiques,
le président s'est aussitôt défendu de
viser les musulmans. Il est vrai que le
décret ne distingue pas les
ressortissants concernés selon leur
confession, disposition odieuse et
impraticable. Mais cette provocation
annoncée, sans nul doute, vise bien
Téhéran.
Washington sait que les sanctions, en
freinant le développement du pays,
affaiblissent l'Etat iranien. Cette
puissance régionale montante jette un
défi à l'hégémonie des USA, elle prive
de sommeil leurs protégés du Golfe. En
plantant cette banderille sur le flanc
de Téhéran, Donald Trump caresse son
électorat dans le sens du poil et
satisfait une aile néoconservatrice du
parti républicain qu'il a sérieusement
malmenée durant la campagne. Mais en
privant les Iraniens de tout échange
humain avec les USA, il va plus loin. Il
démonétise l'accord sur le nucléaire, il
le vide de sa substance, il invalide
symboliquement toute perspective de
normalisation. Sans le dire, il prépare
un bras-de-fer avec ce pays qui défie
les USA depuis 1979.
Bruno
Guigue (31/01/2017)
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