Palestine
Les Palestiniens, dindons de la farce
turque ?
Bruno Guigue
Mercredi 29 juin 2016
Annoncée à Rome le
27 juin, la réconciliation entre Israël
et la Turquie semble combler d'aise de
nombreux commentateurs. Manifestement
ravis, ils ne cachent pas leur joie de
voir cette puissance régionale rompre
son isolement et se tailler un rôle sur
mesure au bénéfice, disent-ils, d'un
règlement du conflit
israélo-palestinien. Mais que cette lune
de miel entre Tel Aviv et Ankara couve
de sérieuses désillusions semble leur
échapper.
A l'évidence, les
Etats-Unis sont les principaux
bénéficiaires de ce réalignement
d'Ankara sur un agenda qui est le leur.
En mettant un terme à la querelle entre
ses deux alliés, l'accord renoue les
fils de la toile méticuleusement jetée
par Washington sur la région. Il met fin
à cette anomalie qui voyait, depuis six
ans, la principale forteresse de l'OTAN
et l'appendice colonial de l'Occident
savourer les délices d'une surenchère
qui, pour demeurer verbale, n'en était
pas moins nuisible aux intérêts de la
puissance dominante.
Conformément à la
doctrine du "leading from behind", les
USA consentent à sous-traiter à leurs
relais régionaux le maintien d'une
hégémonie devenue économe de ses moyens
militaires. Mais ils exigent aussi de
leurs affidés un minimum de cohésion
face aux forces du mal. C'est désormais
chose faite. Pour prix de son
ralliement, Erdogan n'a obtenu qu'une
indemnisation financière des familles
des dix victimes du "Mavi Marmara".
Quand on pense aux diatribes proférées
par Ankara contre la "barbarie
israélienne" depuis 2010, on peut dire
qu'Israël s'en tire à bon compte.
Pour Tel Aviv,
l'opération est triplement bénéfique. En
gommant ce contentieux, la Turquie ne
réintègre pas seulement la normalité
atlantiste de la "pax americana". Elle
offre aussi à l'occupant israélien une
occasion de se refaire une virginité
islamique. Soudain frappée d'inanité, la
rhétorique vengeresse d'Ankara contre
l'occupant s'est miraculeusement
transformée en son contraire. Finis les
anathèmes où Erdogan s'étranglait
d'indignation devant les crimes
sionistes ! On les remplace désormais
par des discours lénifiants sur la paix
et la coopération.
Mais surtout, place
au business ! A Rome, on n'a pas manqué
de faire miroiter les perspectives
radieuses offertes par les gisements de
gaz situés en Méditerranée orientale,
dans les eaux territoriales de la
Palestine occupée, et dont Israël entend
bien s'approprier l'énorme potentiel.
Afin d'assurer à cette production
gazière des débouchés européens
générateurs de profits vertigineux, la
Turquie constitue alors une porte
d'entrée incontournable, d'autant que sa
rupture avec la Russie l'a elle-même
privée de sa source d'approvisionnement
habituelle.
De ce réalignement
turc, qui n'est somme toute qu'un retour
à la situation qui prévalait jusqu'en
2010, Israël touche des dividendes
considérables sur le plan symbolique,
puisqu'un grand pays musulman lui tend
la main quasiment pour rien, et sur le
plan économique, puisque ce pays lui
offre sur un plateau le marché européen
des hydrocarbures. Mais il pourrait
aussi toucher les dividendes politiques
d'une domestication de la résistance
palestinienne dont Ankara pourrait lui
fournir le moyen.
Car lors des
négociations, la Turquie a effectivement
demandé en guise de contrepartie la
levée du blocus israélien de Gaza.
Accréditant cette fable destinée à faire
avaler aux Palestiniens la pilule de la
normalisation avec l'occupant, elle a
centré sa communication sur cette
dimension du futur accord. Mais lorsque
le partenaire israélien l'a pulvérisée
en plein vol dans la phase finale des
négociations, la Turquie s'est pliée au
diktat.
C'est dans cette
séquence qu'est intervenue la direction
du Hamas. Elle n'a sans doute jamais cru
à cette chimère. Mais il lui fallait
donner le change pour ne pas froisser un
protecteur turc vers lequel l'affinité
idéologique et la crainte de son
isolement l'ont poussée depuis la
rupture avec Damas. Au sein de
l'organisation palestinienne, la
tendance au compromis a pris le dessus
sur la tendance d'inspiration iranienne,
rétive à des intrigues dont le bénéfice
pour la résistance est
inexistant.Tranchant dans le vif depuis
Doha, Khaled Mechaal a finalement fait
part de sa compréhension pour la
politique turque et le Hamas a fait son
deuil d'une levée du blocus.
Faute d'avoir pu
obtenir l'essentiel, Ankara a cependant
promis la mise en place d'un dispositif
qui constitue la seule nouveauté de
l'accord israélo-turc. La Turquie
financerait à Gaza la construction d'un
port, d'un hôpital et d'une centrale
électrique, et elle acheminerait une
aide humanitaire massive via le port
israélien d'Ashdod. Impuissante à faire
lever le blocus sioniste, elle offrirait
ainsi, sous le contrôle de l'occupant,
des compensations matérielles aux
Palestiniens de Gaza. Evidemment, cette
initiative en faveur de la population
civile se paierait d'une injonction
faite à la résistance armée de suspendre
ses opérations. Dans un processus qui
ressemble à des accords d'Oslo en
miniature, la Turquie se
proposerait-elle d'amadouer le Hamas,
comme les puissances occidentales ont
fini par domestiquer l'OLP ?
Bruno Guigue
(29/06/2016)
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