Syrie
Syrie : des armes pour les terroristes
et des bombes pour les civils
Bruno Guigue
© AFP 2016
AMER ALMOHIBANY
Jeudi 28 juillet 2016
A la suite des attentats qui ont frappé
la France, nos dirigeants ont-ils mis en
question la politique consistant à
intervenir militairement au Moyen-Orient
et notamment en Syrie au nom de la
démocratie et des droits de l'homme ?
Ont-ils émis quelque doute sur
l'opportunité d'engager notre pays dans
cette confrontation en y épousant, dès
2011, la cause délétère d'une opposition
armée dont le fer de lance est la
branche syrienne d'Al-Qaida ?
Se sont-ils demandé
s'il était dans l'intérêt de la France
de diaboliser l'Etat syrien, de
soumettre ce pays à un embargo inique et
stupide, allant jusqu'à interdire la
fourniture de médicaments à une
population martyrisée par les
terroristes ? Vont-ils désormais se
demander, dans un éclair de lucidité,
s'il était opportun de violer le droit
international en intervenant dans un
conflit qui ne nous regardait pas et en
se livrant à une scandaleuse ingérence
dans les affaires d'un Etat souverain ?
Croient-ils
toujours qu'il était judicieux de
financer une clique d'opposants
corrompus, et de livrer des armes qui
ont fini entre les mains des assassins
qui décapitent un enfant à Alep ou
égorgent un prêtre en Normandie ?
Vont-ils, avec le recul, se demander
s'il était bénéfique à la France, sans
parler du déshonneur, de s'allier
ouvertement avec des pétromonarchies
obscurantistes dont chacun sait, sauf
François Burgat, qu'elles sponsorisent
la terreur ?
Inutile, sans
doute, d'attendre de nos dirigeants le
moindre regret pour ces décisions
ineptes. Leur "perseverare diabolicum"
n'a pas fini de nous sidérer, hélas,
presque autant que les attentats qui
tombent sur nos têtes. Pour que nos
dirigeants soient capables d'un peu de
lucidité rétrospective, il faudrait en
effet qu'ils rompent avec ces
allégeances volontaires qui ont fait de
notre pays le pitoyable supplétif,
mi-brouillon mi-cynique, d'un
impérialisme occidental dont les USA
assurent la direction, au Moyen-Orient
comme ailleurs.
Dès le lendemain de
l'attentat de Nice, comme pour valider
cette soumission à l'agenda US, le
président français annonce avec entrain
de nouveaux bombardements en Syrie. Cinq
jours plus tard, le massacre de dizaines
de civils (125 selon le gouvernement
syrien) sous les bombes de la
"coalition" fournit une illustration
sanglante de cette politique. Mais même
après ce carnage aucun doute n'effleure
nos dirigeants sur la pertinence de ces
représailles, manifestement élevées au
rang de réflexe pavlovien par des
dirigeants aussi dépassés par les
événements que désireux de le faire
oublier par un mouvement de menton
mussolinien.
Militairement
inefficaces, ces frappes aériennes ?
Oui, absolument, on le sait, mais peu
importe, puisque les puissances
occidentales n'ont jamais visé
l'élimination par les armes du prétendu
"Etat islamique". Elles ne songent, au
contraire, qu'à exténuer l'Etat syrien,
faute d'avoir pu l'anéantir, et
préfèrent nettement "Daech" ou "Al-Nosra"
à "Bachar", selon la terminologie de
propagandistes comme Jean-Pierre Filiu
et François Burgat qui habillent de leur
prose servile cet alignement de la
France sur la stratégie US du "chaos
constructif".
Politiquement
absurdes, ces bombardements qui en tuant
des civils au nom de la démocratie
offrent un semblant de légitimité à
Daech et font le lit du djihadisme ?
Mais cet argument est de peu de poids,
puisqu'il s'agit surtout de détruire la
Syrie baassiste, cette insupportable
anomalie par temps d'hégémonie
occidentale, et de ruiner de fond en
comble la société syrienne, de la
pulvériser en factions hostiles, dans le
seul but de "protéger Israël contre
l'Iran", selon la formule
merveilleusement limpide d'Hillary
Clinton.
Au fond, le
massacre d'innocents en Syrie en
représailles à des attentats en France,
c'est la métaphore de notre politique en
Syrie : des armes pour les terroristes
et des bombes pour les civils. Ceux qui
fournissent des armes aux mercenaires
wahhabites, à l'évidence, ne voient
aucun inconvénient à vitrifier des
populations qui en sont les premières
victimes. Car leurs véritables ennemis
ne sont pas Daech et Al-Nosra, ce ne
sont pas les mangeurs de foie démocrates
et les coupeurs de tête humanistes. Leur
ennemi, c'est cette nation syrienne,
jalouse de son indépendance et rétive à
l'ordre impérial, qui refuse obstinément
de se plier à leurs injonctions.
Bruno Guigue
(28/07/2016).
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