Actualité
Cette GAUCHE qui sert de supplétif à
l'OTAN
Bruno Guigue
Mardi 27 décembre 2016
A de rares exceptions près (Jean-Luc
Mélenchon, le PRCF), le moins qu'on
puisse dire est que la gauche française
pratique le déni de réalité sur la
Syrie. Depuis 2011, c'est
impressionnant. Elle a tout avalé. Avec
gourmandise. Un véritable festin de
couleuvres ! Elle s'est d'abord fiée à
des sources douteuses (OSDH) dont elle a
répété en boucle les chiffres
invérifiables et les affirmations
gratuites. Bonne fille, elle a accrédité
la narration ridicule du
boucher-de-Damas-qui-massacre-son-peuple.
Elle a gobé cul sec le false-flag de
l'attaque chimique comme si elle
ingurgitait une vulgaire fiole onusienne
de M. Powell. Elle est tombée, enfin,
dans le panneau d'une propagande
humanitaire à deux vitesses qui fait le
tri, sans vergogne, entre les bonnes et
les mauvaises victimes.
Cet
aveuglement stupéfiant, la gauche
française le doit d'abord à son
indécrottable posture morale. Une grille
de lecture manichéenne a anesthésié son
esprit critique, elle l'a coupée du
monde réel. Voulant absolument
identifier des bons (rebelles) et des
méchants (Assad), elle s'interdit de
comprendre un processus qui se déroule
ailleurs que dans le ciel des idées.
Quand on désigne les protagonistes d'une
situation historique en utilisant des
catégories comme le bien et le mal, on
donne congé à toute rationalité. « Ni
rire, ni pleurer, mais comprendre »,
disait justement Spinoza. On peut certes
avoir des préférences, mais lorsque ces
préférences inhibent la pensée critique,
ce ne sont plus des préférences, ce sont
des inhibitions mentales.
La
deuxième raison de cet aveuglement tient
à un déficit abyssal d'analyse
politique. La gauche française n'a pas
voulu voir que le rapport de forces, en
Syrie, n'était pas celui qu'elle
espérait. Elle a reconstruit le récit
des événements à sa guise pour donner
corps à son fantasme d'une révolution
arabe universelle qui balaierait le «
régime de Damas » comme elle avait
balayé les autres, en méconnaissant ce
qui faisait précisément la singularité
de la situation syrienne. Ceux qui se
vantent de connaître leurs classiques
auraient dû appliquer la formule par
laquelle Lénine définissait le marxisme
: « l'analyse concrète d'une situation
concrète ». Au lieu de se plier à cet
exercice d'humilité devant le réel,
l'extrême-gauche, notamment, a cru voir
ce qu'elle avait envie de voir.
Abusée
par sa propre rhétorique, elle misait
sur une vague révolutionnaire emportant
tout sur son passage, comme en Tunisie
et en Egypte. Mauvaise pioche ! Privée
de toute base sociale consistante dans
le pays, la glorieuse « révolution
syrienne » n'était pas au rendez-vous.
Véritable farce sanglante, une
contre-révolution menée par des
desperados accourus de 110 pays a pris
sa place. La nature ayant horreur du
vide, cette invasion du berceau de la
civilisation par des hordes de
mercenaires décérébrés a tenu lieu, dans
l'imaginaire gauchiste, de révolution
prolétarienne. Le NPA ne s'est pas
aperçu de l'énormité de cette confusion.
Il n'a pas vu que les rassemblements
populaires les plus imposants, en 2011,
étaient en faveur de Bachar Al-Assad. Il
a écarté d'un revers de la main la
position du parti communiste syrien qui,
tout en critiquant le gouvernement, se
range à ses côtés pour défendre la
nation syrienne contre ses agresseurs.
Poussant le déni de réalité jusqu'aux
frontières de l'absurde, le NPA, au
lendemain de la libération d'Alep, se
déclare encore solidaire de la «
révolution syrienne ». Mais le
secrétaire général du parti communiste
syrien, Ammar Bagdash, lui avait répondu
par anticipation en septembre 2013 : «
En Syrie, à la différence de l’Irak et
de la Libye, il y a toujours eu une
forte alliance nationale. Les
communistes travaillent avec le
gouvernement depuis 1966, sans
interruption. La Syrie n’aurait pas pu
résister en comptant seulement sur
l’armée. Elle a résisté parce qu’elle a
pu compter sur une base populaire. En
outre, elle a pu compter sur l’alliance
avec l’Iran, la Chine, la Russie. Et si
la Syrie reste debout, des trônes vont
tomber parce qu’il deviendra clair qu’il
existe d’autres voies ».
Désolé
pour M. Julien Salingue et ses petits
camarades, mais s'il faut analyser la
situation syrienne, un communiste syrien
qui contribue à la défense de son pays
vaudra toujours mieux qu'un gauchiste
français qui fantasme sur la révolution
en buvant des demis au Quartier Latin.
Incapable de comprendre ce qui se
passait sur place, l'extrême-gauche
française est victime du théâtre
d'ombres qu'elle a elle-même dressé.
Faute d'entendre ce que lui disaient les
marxistes du cru, elle a joué à la
révolution par procuration sans voir que
cette révolution n'existait que dans ses
rêves. Mais il est difficile d'admettre
en 2016 qu'on s'est complètement
fourvoyé depuis 2011.
Une
fois de plus, écoutons Ammar Bagdash : «
Ils ont commencé par des manifestations
populaires dans les régions rurales de
Daraa et d’Idleb. Mais dans les villes,
il y eut immédiatement de grandes
manifestations populaires de soutien à
Assad. Par ailleurs, au début, la police
ne tirait pas, ce sont certains éléments
parmi les manifestants qui ont commencé
les actions violentes. Dans les sept
premiers mois, il y eut plus de morts du
côté de la police et de l’armée que dans
l’autre camp. Quand la méthode des
manifestations ne marchait plus, ils
sont passés au terrorisme avec des
assassinats ciblés de personnes en vue
(dirigeants, hauts fonctionnaires,
journalistes), attentats et sabotages
d’infrastructures civiles. Le
gouvernement a réagi en adoptant
certaines réformes comme celle sur le
multi-partisme et sur la liberté de la
presse, réformes que nous avons soutenu.
Mais les forces réactionnaires ont
rejeté ces réformes. »
Cette
insurrection armée conduite par des
groupes extrémistes, les communistes
syriens l'ont parfaitement analysée,
mais la gauche française l'a ignorée.
Elle a fait comme si elle n'existait
pas, comme si elle était une invention
de la propagande baassiste. Comment
l'admettre, en effet ? Que les gentils
révolutionnaires soient passés à
l'action violente dès le printemps 2011
contredisait la narration dominante ! Il
fallait, pour les besoins de la cause,
préserver le mythe d'une opposition
démocratique et non-violente. Le récit
des événements fut purgé, en
conséquence, de ce qui pouvait en
altérer la pureté imaginaire. La
violence des allumés du wahhabisme fut
masquée par un déluge de propagande.
Preuve factuelle d'un terrorisme qui
était le vrai visage de cette
révolution-bidon, ce déchaînement de
haine fut effacé des écrans-radar.
De
même, cette « gauche » bien-pensante a
hypocritement détourné le regard lorsque
les feux de la guerre civile furent
attisés par une avalanche de dollars en
provenance des pétromonarchies. Pire
encore, elle a fermé les yeux sur la
perversité de puissances occidentales
qui ont misé sur l'aggravation du
conflit en encourageant la
militarisation de l'opposition, tandis
qu'une presse aux ordres prophétisait
avec délices la chute imminente du «
régime syrien ». Sans vergogne, cette
gauche qui se dit progressiste s'est
laissé enrôler par les gouvernements
d'un Occident à l'impérialisme rapace.
Elle a calqué sa lecture partiale du
conflit sur l'agenda otanien du «
changement de régime » exigé par les
néo-cons depuis 2005. Comme l'a écrit
Hillary Clinton, Washington voulait
renverser Assad pour aider Israël dans
son affrontement avec l'Iran ! Mais
cette circonstance ne semble pas
troubler les pro-Palestiniens du NPA.
L'histoire ne fait pas de cadeaux. Elle
retiendra que la gauche française a
servi de supplétif à l'OTAN dans cette
entreprise avortée de destruction d'un
Etat souverain sous le prétexte
fallacieux des droits de l'homme. Cette
imposture de gauche, bien sûr, n'exonère
pas la droite française de ses propres
responsabilités, tout aussi écrasantes
et criminelles sous Nicolas Sarkozy,
dans l'aveuglement volontaire au drame
syrien. Mais le moins qu'on puisse dire
est qu'il y a une imposture de gauche,
sur la Syrie, qui aura fait des dégâts
considérables. Courage, M. Mélenchon,
vous avez du pain sur la planche !
Bruno
Guigue (27/12/2016)
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