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France/Israël : la soumission considérée
comme une politique étrangère
Bruno Guigue
ARCHIVE. Manuel
Valls et Benjamin Netanyahu, le 30
novembre 2015 lors de la COP21. Les deux
hommes se retrouvent lundi pour un
rendez-vous tendu, censé amorcer la
relance du processus de paix, à
l'initiative de la France. (AFP/Pool/Ch.Ena)
Dimanche 22 mai 2016
Chaudement
recommandé par le CRIF, Manuel Valls est
parti en Israël présenter ses hommages à
la maison-mère en vue d’une conférence
internationale à laquelle personne ne
croit. Nouvelle illustration de cette
triste réalité : la France, où la
bénédiction d'une officine communautaire
vaut accréditation diplomatique, a
renoncé à faire entendre une voix
indépendante. On lui prêtait autrefois
une oreille attentive parce qu'elle
refusait toute allégeance et conservait
un certain crédit sur la scène
internationale. On ne l'entend plus
aujourd'hui, non parce qu'on ne veut
plus l'entendre, mais parce qu'elle n'a
plus rien à dire. Une France vassalisée
n’a aucune chance d’être prise au
sérieux, ni en Israël ni en Palestine ni
ailleurs.
Depuis dix ans, ses
dirigeants ont dédaigneusement jeté aux
orties ses meilleures traditions
diplomatiques. Ils ont renoncé à toute
ambition fondée sur le respect de la
souveraineté nationale et le dialogue
des peuples. Au contraire, ils ont fait
le choix d'une allégeance à l'occupant
israélien qui les a conduits à justifier
l'injustifiable lors de la sanglante
répression sioniste à Gaza en 2009, 2012
et 2014. Face à la violence de
l'occupant, le gouvernement français a
accusé la résistance de l'avoir
provoquée. D'une indulgence à toute
épreuve pour les crimes sionistes, il a
rendu les Palestiniens responsables des
horreurs dont ils étaient les victimes,
oubliant que c'est la violence
structurelle de l'occupation qui génère
la résistance armée et non l'inverse.
A Tel Aviv, Manuel
Valls va pouvoir fièrement présenter son
bilan. Non seulement l'inversion entre
la victime et le bourreau résume la
politique française, mais le procédé est
aussi à usage interne. Exigé par la
Kommandantur sioniste, l’ordre règne
dans l'hexagone. L'assimilation
frauduleuse entre antisémitisme et
antisionisme est désormais une doctrine
officielle, enseignée dans les écoles de
la République. La justice française,
servile, criminalise
Boycott-Désinvestissement-Sanctions,
campagne pacifique lancée à l'initiative
de la société civile palestinienne. Des
rassemblements populaires en faveur de
la Palestine sont régulièrement
interdits dans certaines villes ; le
président français a tenu des propos
équivoques lors de la cérémonie en
hommage à Stéphane Hessel ; des
journalistes, des fonctionnaires, des
citoyens sont sanctionnés ou intimidés.
Tout, dans la politique gouvernementale,
stigmatise la solidarité avec un peuple
opprimé et conforte l'allégeance faite à
ses oppresseurs.
Or ce climat
délétère est l’expression d’un profond
renoncement, d'une démission collective.
Conduite par des dirigeants sans
culture, la France, au Proche-Orient,
poursuit deux objectifs qui sont à
rebours de sa vocation politique et
historique. Elle devrait dialoguer avec
les pays du sud en refusant toute
subordination à la puissance dominante.
Elle devrait contribuer à rétablir
l'équilibre au profit d'un peuple sous
occupation étrangère, en légitimant la
résistance palestinienne et en révoquant
l’impunité israélienne. Elle n'a fait,
au contraire, que conforter son
allégeance à Israël et déstabiliser la
résistance régionale à l’hégémonie des
USA, parrains d’Israël. Au lieu de
desserrer l'étau de l'atlantisme, elle
l'a serré un peu plus. Au lieu de parler
le langage de la raison, elle a épousé
les thèses sionistes les plus
pernicieuses. François Hollande a béni
la répression israélienne à Gaza, il a
fait inscrire le Hezbollah sur la liste
européenne des organisations terroristes
et il a livré des armes à une rébellion
syrienne manipulée par l’OTAN et les
pétromonarchies. Cette soumission aux
intérêts atlantistes et sionistes, notre
pays la paie aujourd'hui d’un discrédit
dont il ne se relèvera pas de sitôt.
On mesure à peine
la régression historique que représente
ce renoncement national. Avec Jacques
Chirac, Paris maintenait le cap d’une
promotion du droit international qui lui
servit brillamment de fil conducteur
dans l'affaire irakienne. La France ne
pesait guère sur le cours des choses,
certes, dans un conflit soumis à
l'influence néfaste du protecteur
américain d'Israël. Mais cette
difficulté n'empêchait pas les
dirigeants français de faire entendre
une voix indépendante. Et lorsque
Jacques Chirac admonesta publiquement un
policier israélien devant le
Saint-Sépulcre à Jérusalem, la
symbolique des mots pallia un instant
l’impuissance des actes. Héritière du
gaullisme, cette politique affirmait au
moins l’illégitimité du recours
unilatéral à la force. Au nom du droit
des peuples à l’autodétermination, elle
privilégiait les solutions négociées. La
voix de la France était entendue, à
défaut d’être écoutée, parce que la
France était souveraine.
Lors de sa
conférence de presse du 27 novembre
1967, le général de Gaulle résuma ainsi
le problème qui devait empoisonner le
Proche-Orient : « Israël organise, dans
les territoires qu’il a pris,
l’occupation qui ne peut aller sans
oppression, répression, expulsions, et
il s’y manifeste contre lui la
résistance qu’il qualifie de terrorisme
». Avec François Hollande, on est loin
de ce franc-parler qui fit la réputation
de la France gaullienne. On lui préfère
désormais la novlangue de l'impérialisme
humanitaire pour justifier la guerre
contre une Syrie rétive à l'hégémonie
occidentale. En préférant Kouchner à De
Gaulle, les dirigeants français ont fait
allégeance aux maîtres du monde. L'alibi
des droits de l'homme fournit à leur
cynisme une couverture idéale pour
émouvoir le bon peuple. Mais ils
oublient aussitôt ces considérations
humanitaires quand il s'agit de la
Palestine martyrisée par leurs amis. La
Palestine restera comme un vivant
remords de leurs compromissions. Et
l’histoire retiendra qu’ils ont fait de
la soumission à ses bourreaux une
politique étrangère.
Bruno Guigue
(22/05/2016)
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