Monde
A Washington, c'est la manif du "bien"
contre le "mal"
Bruno Guigue
Dimanche 22 janvier 2017
Deux millions de personnes manifestent
aux USA pour défendre les droits des
femmes et protester contre l'élection du
nouveau président. Comme on est aux
Etats-Unis, les stars du show-bizz sont
promues en porte-parole de ce vaste
mouvement populaire. De loin la plus
éloquente, Madonna a annoncé clairement
la couleur. Cette manif, elle nous le
dit, c'est celle du bien contre le mal.
« Le bien n’a pas gagné à cette
élection, mais le bien finira par
l’emporter » a-t-elle déclaré, faisant
allusion à l'élection présidentielle
américaine. Coiffée d’un bonnet noir,
elle a accueilli la foule par ces mots :
« Êtes-vous prêts à secouer le monde ?
Bienvenue à la révolution de l’amour! »
(Les Inrocks, 22/01/2017).
Banco
pour « la révolution de l'amour », bien
sûr, mais quel est ce « bien », au
juste, qui aurait perdu cette élection ?
Vaincue le 8 novembre, Hillary Clinton
en serait-elle l'incarnation ? Un ange
blanc, cette secrétaire d'Etat qui
planifia la destruction de la Libye,
pays où la condition des femmes était la
plus avancée du continent africain ? Un
modèle de vertu féministe, cette
criminelle de guerre qui ordonna le
massacre de 30 000 Libyens, dont
plusieurs milliers de femmes ? Une
référence morale pour la lutte en faveur
de l'égalité, cette politicienne
corrompue qui reçut dix millions de
dollars d'une monarchie obscurantiste où
l'on décapite les femmes adultères ?
Le
plus cocasse, c'est que les
manifestantes de Washington,
lorsqu'elles applaudissent Madonna à
tout rompre, ne voient même pas que leur
combat est détourné au profit de ceux
pour qui la critique du nouveau
président vaut quitus pour l'ancien.
Deux millions de protestataires dans les
grandes villes américaines ? Beau
palmarès. Mais combien de victimes
écrasées sous les bombes US dans les
pays pauvres sous le président sortant?
A chacun son record ! Avec une moyenne
de 72 bombes par jour lancées sur sept
pays, le Prix Nobel de la Guerre Barack
Obama est champion hors catégorie.
Combien de manifestants des deux sexes,
aux USA, contre l'enfer déchaîné en
Libye ou contre la guerre par proxys
djihadistes en Syrie ? Fort peu. Dans la
gauche féministe américaine on pardonne
plus facilement la dévastation d'un pays
africain que des paroles salaces. On
fait preuve d'une indulgence notable
pour le bombardement meurtrier de
populations civiles, mais on hurle
d'indignation contre les propos
graveleux d'un Donald Trump. On accuse
le nouveau président de racisme, mais on
ne trouve que des vertus à une
secrétaire d'Etat qui a gloussé de
plaisir devant le cadavre mutilé d'un
chef d'Etat arabe en s'exclamant : « We
came, we saw, he died ».
Cette
échelle de valeurs, au fond, n'est pas
nouvelle. Cette foule est ardente à se
mobiliser pour ses droits individuels
(parfaitement légitimes), mais elle se
moque éperdument du sort des peuples
victimes d'un impérialisme dont elle est
complice. Peu importe qu'Obama et
Clinton aient semé le chaos dans le
reste du monde, le progressiste des deux
sexes se met au service du capitalisme
le plus rapace s'il pense que c'est dans
son intérêt. Brailler dans les rues
contre Trump-le-méchant, pour la
pseudo-gauche, est un exercice qui a des
vertus cathartiques. Il permet de se
refaire une bonne conscience à moindres
frais, sur le dos des autres, en se
lavant des saletés d'une présidence
indigne.
On
dira évidemment que ce tableau est
exagéré et qu'on y mélange tout, la
lutte féministe et la politique
étrangère. Mais c'est l'une des
porte-parole du mouvement qui fait ce
rapprochement, sans se rendre compte,
peut-être, de l'énormité de ce qu'elle
dit. Une fois de plus, écoutons les
stars du show-bizz. « Nous continuerons
à nous soulever jusqu’à ce que nos voix
soient entendues, jusqu’à ce que la
sécurité de la planète ne soit plus
reportée, jusqu’à ce que nos bombes
arrêtent de tomber sur d’autres terres,
jusqu’à ce que notre dollar soit le même
que le dollar des hommes ! » a scandé
Alicia Keys.
Magnifique envolée ! Comment résister à
un appel aussi vibrant ? Sauf que la
jeune chanteuse fut l'une des
supportrices les plus enthousiastes
d'Hillary Clinton durant la campagne
présidentielle, et qu'on aurait aimé
l'entendre sur les bombardements
sanglants ordonnés par son idole.
Amnésie ? J'en doute. Bêtise, hypocrisie
? Un peu des deux, sans doute, mais on
penchera plutôt pour la schizophrénie.
Chez Alicia Keys, il y a un lobe du
cerveau qui réprouve les bombardements
et un autre qui les approuve lorsque les
bombes sont made in USA.
Bruno
Guigue (22/01/2017)
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