Chine
Le socialisme chinois
et le mythe de la
« fin de l’Histoire »
Bruno Guigue
Lundi 20 août 2018
En 1992, un
politologue américain, Francis Fukuyama,
osait annoncer la « fin de l’Histoire ».
Avec l’effondrement de l’URSS,
disait-il, l’humanité entrait dans une
ère nouvelle. Elle allait connaître une
prospérité sans précédent. Auréolée de
sa victoire sur l’empire du mal, la
démocratie libérale projetait sa lumière
salvatrice sur la planète ébahie.
Débarrassée du communisme, l’économie de
marché devait répandre ses bienfaits aux
quatre coins du globe, réalisant
l’unification du monde sous les auspices
du modèle américain.1
La débandade soviétique semblait valider
la thèse libérale selon laquelle le
capitalisme - et non son contraire, le
socialisme - se conformait au sens de
l’histoire. Aujourd’hui encore,
l’idéologie dominante martèle cette idée
simple : si l’économie planifiée des
régimes socialistes a rendu l’âme, c’est
qu’elle n’était pas viable. Le
capitalisme, lui, ne s’est jamais aussi
bien porté, et il a fait la conquête du
monde.
Les tenants de
cette thèse en sont d’autant plus
convaincus que la disparition du système
soviétique n’est pas le seul argument
qui semble plaider en leur faveur. Les
réformes économiques engagées en Chine
populaire à partir de 1979, à leurs
yeux, confirment également la
supériorité du système capitaliste. Pour
stimuler leur économie, les communistes
chinois n’ont-ils pas fini par admettre
les vertus de la libre entreprise et du
profit, quitte à passer par-dessus bord
l’héritage maoïste et son idéal
égalitaire ? De même que la chute du
système soviétique démontrait la
supériorité du capitalisme libéral sur
le socialisme dirigiste, la conversion
chinoise aux recettes capitalistes
semblait donner le coup de grâce à
l’expérience « communiste ». Un double
jugement de l’histoire, au fond, mettait
un point final à une compétition entre
les deux systèmes qui avait traversé le
XXème siècle.
Le problème, c’est
que cette narration est un conte de
fées. On aime répéter en Occident que la
Chine s’est développée en devenant «
capitaliste ». Mais cette affirmation
simpliste est démentie par les faits.
Même la presse libérale occidentale a
fini par admettre que la conversion
chinoise au capitalisme est illusoire.
Enfin, les Chinois eux-mêmes le disent,
et ils ont de solides arguments. Comme
point de départ de l’analyse, il faut
partir de la définition courante du
capitalisme : un système économique
fondé sur la propriété privée des moyens
de production et d’échange. Ce système a
été progressivement éradiqué en Chine
populaire au cours de la période maoïste
(1950-1980), et il a effectivement été
réintroduit dans le cadre des réformes
économiques de Deng Xiaoping à partir de
1979. Une dose massive de capitalisme a
ainsi été injectée dans l’économie, mais
- la précision est d’importance - cette
injection eut lieu sous l’impulsion de
l’État. La libéralisation partielle de
l’économie et l’ouverture au commerce
international relevaient d’une décision
politique délibérée.
Pour les dirigeants
chinois, il s’agissait de lever des
capitaux extérieurs afin de faire
croître la production intérieure. Faire
place à l’économie de marché était un
moyen, et non une fin. En réalité, la
signification des réformes se comprend
surtout d’un point de vue politique. «
La Chine est un Etat unitaire central
dans la continuité de l’empire. Pour
préserver son contrôle absolu sur le
système politique, le parti doit aligner
les intérêts des bureaucrates sur le
bien politique commun, à savoir la
stabilité, et fournir à la population un
revenu réel croissant et de meilleures
conditions de vie. L’autorité politique
doit gérer l’économie de façon à
produire plus de richesses plus
efficacement. D’où deux conséquences :
l’économie de marché est un instrument,
pas une finalité ; l’ouverture est une
condition d’efficacité et conduit à
cette directive économique
opérationnelle : rattraper et dépasser
l’Occident ».2
C’est pourquoi
l’ouverture de la Chine aux flux
internationaux fut massive, mais
rigoureusement contrôlée. Le meilleur
exemple en est fourni par les zones
d’exportation spéciales (ZES). Les
réformateurs chinois voulaient que le
commerce renforce la croissance de
l’économie nationale, et non qu’il la
détruise », notent Michel Aglietta et
Guo Bai. Dans les ZES, un système
contractuel lie les entreprises
chinoises et les entreprises étrangères.
La Chine y importe les ingrédients de la
fabrication de biens de consommation
industriels (électronique, textile,
chimie). La main d’œuvre chinoise fait
l’assemblage, puis les marchandises sont
vendues sur les marchés occidentaux.
C’est ce partage des tâches qui est à
l’origine d’un double phénomène qui n’a
cessé de s’accentuer depuis trente ans :
la croissance économique de la Chine et
la désindustrialisation de l’Occident.
Un demi-siècle après les « guerres de
l’opium » (1840-1860) qui virent les
puissances occidentales dépecer la
Chine, l’Empire du Milieu a pris sa
revanche.
Car les Chinois ont
tiré les leçons d’une histoire
douloureuse. « Cette fois, la
libéralisation du commerce et de
l’investissement relevait de la
souveraineté de la Chine et elle était
contrôlée par l’État. Loin d’être des
enclaves ne profitant qu’à une poignée
de “compradors”, la nouvelle
libéralisation du commerce fut un des
principaux mécanismes qui ont permis de
libérer l’énorme potentiel de la
population ».3
Une autre caractéristique de cette
ouverture, souvent méconnue, est qu’elle
bénéficia essentiellement à la diaspora
chinoise. Entre 1985 et 2005, elle
détient 60 % des investissements
cumulés, contre 25 % pour les pays
occidentaux et 15 % pour Singapour et la
Corée du Sud. L’ouverture au capital «
étranger » fut d’abord une affaire
chinoise. Mobilisant les capitaux
disponibles, l’ouverture économique a
créé les conditions d’une intégration
économique asiatique dont la Chine
populaire est la locomotive
industrielle.
Dire que la Chine
est devenue « capitaliste » après avoir
été « communiste » relève donc d’une
vision naïve du processus historique.
Qu’il y ait des capitalistes en Chine ne
fait pas de ce pays un « pays
capitaliste », si l’on entend par cette
expression un pays où les détenteurs
privés de capitaux contrôlent l’économie
et la politique nationales. En Chine,
c’est un parti communiste de 90 millions
d’adhérents, irrigant l’ensemble de la
société, qui détient le pouvoir
politique. Faut-il parler de système
mixte, de capitalisme d’Etat ? C’est
davantage conforme à la réalité, mais
encore insuffisant. Dès qu’il s’agit de
qualifier le système chinois, l’embarras
des observateurs occidentaux est patent.
Les libéraux se répartissent entre deux
catégories : ceux qui reprochent à la
Chine d’être toujours communiste, et
ceux qui se réjouissent qu’elle soit
devenue capitaliste. Les uns n’y voient
qu’un « régime communiste et léniniste »
bon teint, même s’il a fait des
concessions au capitalisme ambiant.4
Pour les autres, la Chine est devenue «
capitaliste » par la force des choses et
cette transformation est irréversible.
Certains
observateurs occidentaux, toutefois,
essaient de saisir le réel avec
davantage de subtilité. C’est ainsi que
Jean-Louis Beffa, dans un mensuel
économique libéral, affirme carrément
que la Chine représente « la seule
alternative crédible au capitalisme
occidental ». « Après plus de trente ans
d’un développement inédit, écrit-il,
n’est-il pas temps de conclure que la
Chine a trouvé la recette d’un
contre-modèle efficace au capitalisme à
l’occidentale ? Jusque-là, aucune
solution de rechange n’était parvenue à
s’imposer, et l’effondrement du système
communiste autour de la Russie en 1989
avait consacré la réussite du modèle
capitaliste. Or la Chine d’aujourd’hui
n’y a pas souscrit. Son modèle
économique, hybride, combine deux
dimensions qui puisent à des sources
opposées. La première emprunte au
marxisme-léninisme ; elle est marquée
par un puissant contrôle du parti et un
système de planification vigoureusement
appliqué. La seconde se réfère davantage
aux pratiques occidentales, qui donnent
la part belle à l’initiative
individuelle et à l’esprit
d’entreprendre. Cohabitent ainsi la
mainmise du PCC sur les affaires et un
secteur privé foisonnant ».5
Cette analyse est
intéressante, mais elle renvoie
dos-à-dos les deux dimensions - publique
et privée - du régime chinois. Or c’est
la sphère publique, manifestement, qui
est aux commandes. Dirigé par un
puissant parti communiste, l’État
chinois est un Etat fort. Il maîtrise la
monnaie nationale, quitte à la laisser
filer pour stimuler les exportations, ce
que Washington lui reproche de façon
récurrente. Il contrôle la
quasi-totalité du système bancaire.
Surveillés de près par l’État, les
marchés financiers ne jouent pas le rôle
exorbitant qu’ils s’arrogent en
Occident. Leur ouverture aux capitaux
étrangers est d’ailleurs soumise à des
conditions draconiennes fixées par le
gouvernement. Bref, le pilotage de
l’économie chinoise est confié à la main
de fer d’un Etat souverain, et non à la
« main invisible du marché » chère aux
libéraux. Certains s’en affligent.
Libéral bon teint, un banquier
international qui enseigne à Paris I
relève que « l’économie chinoise n’est
ni une économie de marché, ni une
économie capitaliste. Pas même un
capitalisme d’État, car en Chine c’est
le marché lui-même qui est contrôlé par
l’Etat ».6
Mais si le régime chinois n’est même pas
un capitalisme d’État, est-ce à dire
qu’il est « socialiste », c’est-à-dire
que l’État y détient la propriété des
moyens de production, ou y exerce du
moins le contrôle de l’économie ? La
réponse à cette question est clairement
positive.
La difficulté de la
pensée dominante à nommer le régime
chinois, on l’a vu, vient d’une illusion
longtemps entretenue : abandonnant le
dogme communiste, la Chine serait enfin
entrée dans le monde merveilleux du
capital. On aimerait tant pouvoir dire
que la Chine n’est plus communiste !
Convertie au libéralisme, cette nation
réintégrerait le droit commun. Retour à
l’ordre des choses, une telle
capitulation validerait la téléologie de
l’homo occidentalis. Mais on a sans
doute mal interprété la célèbre formule
du réformateur Deng Xiaoping : « peu
importe que le chat soit blanc ou noir,
pourvu qu’il attrape les souris ». Cela
ne signifie pas que le capitalisme et le
socialisme sont indifférents, mais que
chacun sera jugé sur ses résultats. Une
forte dose de capitalisme a été injectée
dans l’économie chinoise, sous contrôle
de l’État, parce qu’il fallait stimuler
le développement des forces productives.
Mais la Chine demeure un Etat fort qui
dicte sa loi aux marchés financiers, et
non l’inverse. Son élite dirigeante est
patriote. Même si elle concède une
partie du pouvoir économique aux
capitalistes « nationaux », elle
n’appartient pas à l’oligarchie
financière mondialisée. Adepte du «
socialisme à la chinoise », formée à
l’éthique confucéenne, elle dirige un
Etat qui n’est légitime que parce qu’il
garantit le bien-être d’un milliard 400
millions de Chinois.
Il ne faut pas
oublier, en outre, que l’orientation
économique adoptée en 1979 a été rendue
possible par les efforts réalisés au
cours de la période antérieure.
Contrairement aux Occidentaux, les
communistes chinois soulignent la
continuité - en dépit des changements
intervenus - entre le maoïsme et le
post-maoïsme. « Beaucoup ont eu à pâtir
de l’exercice du pouvoir communiste.
Mais ils adhèrent pour la plupart à
l’appréciation émise par Deng Xiaoping,
lequel avait quelque raison d’en vouloir
à Mao Zedong : 70 % de positif, 30 % de
négatif. Une phrase est aujourd’hui très
répandue parmi les Chinois, révélatrice
de leur jugement sur Mao Zedong : Mao
nous a fait tenir debout, Deng nous a
enrichis. Et ces Chinois estiment tout à
fait normal que le portrait de Mao
Zedong figure sur les billets de banque.
Tout l’attachement que les Chinois
affichent encore aujourd’hui pour Mao
Zedong tient à ce qu’ils l’identifient à
la dignité nationale retrouvée ».7
Il est vrai que le
maoïsme a mis fin à cent cinquante ans
de décadence, de chaos et de misère. La
Chine était morcelée, dévastée par
l’invasion japonaise et la guerre
civile. Mao l’a unifiée. En 1949, elle
est le pays le plus pauvre du monde. Son
PIB par tête atteint la moitié environ
de celui de l’Afrique et moins des trois
quarts de celui de l’Inde. Mais de 1950
à 1980, durant la période maoïste, le
PIB s’accroît de façon régulière (2,8 %
par an en moyenne annuelle), le pays
s’industrialise, et la population passe
de 552 millions à 1 017 millions
d’habitants. Les progrès en matière de
santé sont spectaculaires, et les
principales épidémies sont éradiquées.
Indicateur qui résume tout, l’espérance
de vie passe de 44 ans en 1950 à 68 ans
en 1980. C’est un fait indéniable :
malgré l’échec du « Grand Bond en avant
», et malgré l’embargo occidental - ce
qu’on oublie généralement de préciser -
la population chinoise a gagné 24 ans
d’espérance de vie sous Mao. Les progrès
en matière d’éducation ont été massifs,
notamment dans le primaire : la part de
la population analphabète passe de 80 %
en 1950 à 16 % en 1980. Enfin, la femme
chinoise - qui « porte la moitié du ciel
», disait Mao - a été éduquée et
affranchie d’un patriarcat ancestral. En
1950, la Chine était en ruines. Trente
ans plus tard, elle est encore un pays
pauvre du point de vue du PIB par
habitant. Mais c’est un Etat souverain,
unifié, équipé, doté d’une industrie
naissante. L’atmosphère est frugale,
mais la population est nourrie, soignée
et éduquée comme elle ne l’a jamais été
au XXème siècle.
Cette réévaluation
de la période maoïste est nécessaire
pour comprendre la Chine actuelle. C’est
entre 1950 et 1980 que le socialisme a
jeté les bases du développement à venir.
Dès les années 70, par exemple, la Chine
perçoit le fruit de ses efforts en
matière de développement agricole. Une
silencieuse révolution verte a fait son
chemin, bénéficiant des travaux d’une
académie chinoise des sciences agricoles
créée par le régime communiste. A partir
de 1964, les scientifiques chinois
obtiennent leurs premiers succès dans la
reproduction de variétés de riz à haut
rendement. La restauration progressive
du système d’irrigation, les progrès
réalisés dans la reproduction des
semences et la production d’engrais
azotés ont transformé l’agriculture.
Comme les progrès sanitaires et
éducatifs, ces avancées agricoles ont
rendu possible les réformes de Deng,
elles ont constitué le socle du
développement ultérieur. Et cet effort
de développement colossal n’a été
possible que sous l’impulsion d’un Etat
planificateur, la reproduction des
semences, par exemple, nécessitant des
investissements dans la recherche
impossibles dans le cadre des
exploitations individuelles.8
En réalité, la
Chine actuelle est fille de Mao et de
Deng, de l’économie dirigée qui l’a
unifiée, et de l’économie mixte qui l’a
enrichie. Mais le capitalisme libéral à
l’occidentale, en Chine, est aux abonnés
absents. Il arrive que la presse
bourgeoise rende compte avec lucidité de
cette indifférence des Chinois à nos
propres lubies. On lit dans Les Echos,
par exemple, que les Occidentaux ont «
commis l’erreur d’avoir pu penser qu’en
Chine, le capitalisme d’Etat pourrait
céder le pas au capitalisme de marché ».
Que reproche-t-on aux Chinois, en
définitive ? La réponse ne manque pas de
surprendre dans les colonnes d’un
hebdomadaire libéral : « La Chine n’a
pas la même notion du temps que les
Européens et les Américains. Un exemple
? Jamais une entreprise occidentale ne
financerait un projet qui ne serait pas
rentable. Pas la Chine qui pense à très
long terme. Avec sa puissance financière
publique accumulée depuis des décennies,
elle ne se préoccupe pas en priorité
d’une rentabilité à court terme si ses
intérêts stratégiques le lui commandent
». Puis l’analyste des Echos conclut : «
Cela lui est d’autant plus facile que
l’Etat garde la mainmise sur l’économie.
Ce qui est impensable dans le système
capitaliste tel que l’Occident le
pratique, cela ne l’est pas en Chine ».
On ne saurait mieux dire !
9
Evidemment, cet
éclair de lucidité est inhabituel. Il
change des litanies coutumières selon
lesquelles la dictature communiste est
abominable, Xi Jinping est déifié, la
Chine croule sous la corruption, son
économie est chancelante, son
endettement abyssal et son taux de
croissance en berne. Enfilade de lieux
communs et fausses évidences à l’appui,
la vision que donnent de la Chine les
médias dominants brille le plus souvent
par un simplisme narquois. On prétend
comprendre la Chine en la soumettant au
lit de Procuste des catégories
préétablies chères au petit monde
médiatique. Communiste, capitaliste, un
peu des deux, ou autre chose encore ?
Dans les sphères médiatiques, on y perd
son chinois. Difficile d’admettre, sans
doute, qu’un pays dirigé par un parti
communiste a réussi en trente ans à
multiplier par 17 son PIB par habitant.
Aucun pays capitaliste ne l’a jamais
fait.
Comme d’habitude,
les faits sont têtus. Le parti
communiste chinois n’a nullement renoncé
à son rôle dirigeant dans la société, et
il fournit son ossature à un Etat fort.
Hérité du maoïsme, cet Etat conserve la
maîtrise de la politique monétaire et
contrôle le système bancaire.
Restructuré dans les années 1990, le
secteur public demeure la colonne
vertébrale de l’économie chinoise :
représentant 40% des actifs et 50% des
profits générés par l’industrie, il
prédomine à 80-90 % dans les secteurs
stratégiques : la sidérurgie, le
pétrole, le gaz, l’électricité, le
nucléaire, les infrastructures, les
transports, l’armement. En Chine, tout
ce qui est important pour le
développement du pays et pour son
rayonnement international est
étroitement contrôlé par un Etat
souverain. Ce n’est pas en Chine qu’un
président de la République braderait au
capitalisme américain un joyau
industriel comparable à Alstom, offert
par Macron à General Electric dans un
paquet-cadeau.
En lisant la
résolution finale du dix-neuvième
congrès du Parti communiste chinois
(octobre 2017), on mesure l’ampleur des
défis. Lorsque cette résolution affirme
que “le Parti doit s’unir pour remporter
la victoire décisive de l’édification
intégrale de la société de moyenne
aisance, faire triompher le socialisme à
la chinoise de la nouvelle ère, et
lutter sans relâche pour réaliser le
rêve chinois du grand renouveau de la
nation”, il faut peut-être prendre ces
déclarations au sérieux. En Occident, la
vision de la Chine est obscurcie par les
idées reçues. On s’imagine que
l’ouverture aux échanges internationaux
et la privatisation de nombreuses
entreprises ont sonné le glas du
“socialisme à la chinoise”. Mais rien
n’est plus faux. Pour les Chinois, cette
ouverture est la condition du
développement des forces productives, et
non le prélude à un changement
systémique. Les réformes économiques ont
permis de sortir 700 millions de
personnes de la pauvreté, soit 10% de la
population mondiale. Mais elles
s’inscrivent dans une planification à
long terme dont l’Etat chinois conserve
la maîtrise. Aujourd’hui, de nouveaux
défis attendent le pays : la
consolidation du marché intérieur, la
réduction des inégalités, le
développement des énergies vertes et la
conquête des hautes technologies.
En devenant la
première puissance économique de la
planète, la Chine populaire sonne le
glas de la prétendue « fin de l’Histoire
». Elle renvoie à la deuxième place une
Amérique finissante, minée par la
désindustrialisation, le surendettement,
le délabrement social et le fiasco de
ses aventures militaires. Contrairement
aux USA, la Chine est un empire sans
impérialisme. Placé au centre du monde,
l’Empire du Milieu n’a pas besoin
d’étendre ses frontières. Respectueuse
du droit international, la Chine se
contente de défendre sa sphère
d’influence naturelle. Elle ne pratique
pas le “regime change” à l’étranger.
Vous n’avez pas envie de vivre comme les
Chinois ? Aucune importance, ils n’ont
pas l’intention de vous convertir.
Auto-centrée, la Chine n’est ni
conquérante ni prosélyte. Les
Occidentaux font la guerre pour enrayer
leur déclin, quand les Chinois font des
affaires pour développer leur pays. Au
cours des trente dernières années, la
Chine n’a mené aucune guerre et a
multiplié son PIB par 17. Dans la même
période, les USA ont mené une dizaine de
guerres et précipité leur décadence. Les
Chinois ont éradiqué la pauvreté, quand
les USA déstabilisaient l’économie
mondiale en vivant à crédit. En Chine la
misère recule, tandis qu’aux USA elle
progresse. Que cela plaise ou non, le «
socialisme à la chinoise » met une
fessée au capitalisme à l’occidentale.
Décidément, la « fin de l’Histoire »
peut en cacher une autre.
(La Pensée libre,
août 2018)
1Francis Fukuyama, La fin de
l’Histoire et le dernier homme, 1993,
Flammarion.
2Michel Aglietta et Guo Bai, La Voie
chinoise, capitalisme et empire, Odile
Jacob, 2012, p.17.
3Ibidem, p. 186.
4Valérie Niquet, « La Chine reste un
régime communiste et léniniste », France
TV Info, 18 octobre 2017.
5Jean-Louis Beffa, « La Chine,
première alternative crédible au
capitalisme », Challenges, 23 juin 2018.
6Dominique de Rambures, La Chine,
une transition à haut risque, Editions
de l’Aube, 2016, p. 33.
7Philippe Barret, N’ayez pas peur de
la Chine !, Robert Laffont, 2018, p.
230.
8Michel Aglietta et Guo Bai, op. cit.,
p.117.
9Richard Hiaut, « Comment la Chine a
dupé Américains et Européens à l’OMC »,
Les Echos, 6 juillet 2018.
Le sommaire de Bruno Guigue
Le
dossier Chine
Les dernières mises à jour
|