Analyse
La farce de la “solution à deux Etats”
Bruno Guigue
Mardi 19 décembre 2017
Vendue à l’étalage
des épiceries occidentales depuis 1993,
la “solution à deux Etats” est un
produit frelaté, une escroquerie
notoire. La capitulation de l’OLP a
offert à l’occupant, comme sur un
plateau, l’opportunité inespérée
d’accélérer la colonisation. Le
désarmement unilatéral de la résistance
a livré la Palestine en pâture aux
appétits sionistes. Catastrophe
politique, le processus d’Oslo a
corrompu l’élite palestinienne et plongé
ce mouvement national de libération, qui
faisait jadis la fierté du monde arabe,
dans les affres de la division.
Avec la complicité
des dirigeants du Fatah, la colonisation
sioniste a pulvérisé Jérusalem-Est et la
Cisjordanie, tuant dans l’œuf la
possibilité concrète d’un Etat
palestinien. Comment peut-on bâtir un
Etat viable sur les fragments épars d’un
territoire rabougri ? Truffée de
colonies, la Palestine a été laminée par
le rouleau compresseur de l’occupation,
rayée de la carte par la conquête
sioniste. La Palestine d’Oslo n’est même
pas un embryon d’Etat. C’est un mensonge
auquel se cramponne une Autorité
palestinienne moribonde et discréditée.
C’est la faute des
“extrémistes des deux camps”, dit-on
parfois. Mais depuis quand le
colonialisme est-il empreint de
modération ? Et où a-t-on vu un peuple
colonisé s’en remettre à la générosité
du colonisateur pour obtenir justice ?
Un artifice commode consiste à renvoyer
dos-à-dos l'occupant et l'occupé, comme
si une responsabilité partagée pesait
sur leurs épaules. Il permet à la
conscience occidentale de s’en tirer à
bon compte en affirmant que tout est de
la faute du Hamas et de Nétanyahou.
La réalité du
conflit dépasse de loin, pourtant, ces
deux protagonistes. Le sionisme n’est
pas un nationalisme ordinaire, c’est une
entreprise d’éradication. L’idée que
deux Etats puissent coexister sur le
territoire de la Palestine historique
n’a aucun sens. Colonialistes lucides,
les sionistes le savent bien. Icône du
“processus de paix”, le premier ministre
Itzhak Rabin déclara devant la Knesset,
en 1995, qu’il n’était pas question de
créer un Etat palestinien, pas même un
embryon d’Etat, ni maintenant, ni
demain.
Bien entendu, on
peut faire l’autruche et rêver d’un
sionisme imaginaire, mais le sionisme
réellement existant a peu d’appétence
pour le partage territorial avec des
autochtones récalcitrants. Ce qu’il
veut, c’est toute la Palestine, “une
Palestine juive comme l’Angleterre est
anglaise”, comme disait le président de
l’Organisation sioniste mondiale Haïm
Weizmann en 1919. La spoliation
territoriale, l’appropriation coloniale
de la Palestine n’est pas un accident du
sionisme, c’est son essence même.
Les Palestiniens le
savent aussi, et ils n’ont pas attendu
le fiasco du prétendu “processus de
paix” pour s’en rendre compte. En
septembre 1993, un “Front du refus” est
né du rejet immédiat des accords d’Oslo.
Réunis dans le camp de Yarmouk, en
Syrie, dix mouvements palestiniens
forment “l’Alliance des forces
palestiniennes”. Organisations
pro-syriennes, islamistes ou marxistes,
elles dénoncent le marché de dupes du
“processus de paix” et condamnent la
politique du courant majoritaire de
l’OLP. Ce qu’elles veulent, c’est la fin
du sionisme et un Etat unique en
Palestine.
Cette opposition à
Oslo a été systématiquement occultée,
notamment par les associations
occidentales de soutien à la Palestine,
généralement alignées sur la stratégie
collaborationniste du courant
majoritaire du Fatah. Cette coalition
des forces d’opposition était pourtant
beaucoup plus représentative de
l’opinion que les futurs dirigeants de
l’Autorité nationale palestinienne. Et
aux élections du 25 janvier 2006, les
résultats électoraux du Hamas (42,6%) et
du FPLP (4,1%), clairement opposés au
“processus de paix”, dépassaient
largement ceux du Fatah (39,6%).
Si l’on tient
compte de l’opposition tout aussi
catégorique des organisations basées en
Syrie et au Liban, et dont les
sympathisants ne pouvaient prendre part
au scrutin, il est évident que les
Palestiniens étaient majoritairement
hostiles à ce qu’ils percevaient avec
lucidité comme une véritable
supercherie. L’absence de consultation
des Palestiniens de la diaspora, en tout
cas, a entaché la légitimité d’un
processus auquel seuls les dirigeants de
l’OLP et une bourgeoisie palestinienne
installée dans les territoires avaient
de bonnes raisons de trouver quelque
intérêt.
Pour le peuple
palestinien, en revanche, les accords
d’Oslo n’ont porté que des fruits
pourris. Ces traités inégaux ont
accentué les divisions fratricides au
sein du mouvement de libération. Ils ont
fourni à l’occupant un moyen de pression
permanent sur les Palestiniens,
désormais captifs d’institutions de
pacotille. Loin de permettre l’émergence
de la Palestine, Oslo l’a anesthésiée.
Le mieux qu’on puisse souhaiter pour les
Palestiniens, c’est qu’ils mettent fin à
cette farce, qu’ils rompent toute
relation avec l’occupant et reprennent
le flambeau du combat pour un Etat
unique et démocratique en Palestine.
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