Monde
Ombres chinoises sur l'investiture de
Donald Trump
Bruno Guigue
Mercredi 18 janvier 2017
Le nouveau président n'aura pas attendu
son investiture officielle pour projeter
la rivalité sino-américaine sur le
devant de la scène planétaire. Certains
observateurs attribuent les diatribes
anti-chinoises de Donald Trump à son
amateurisme supposé, mais c'est une
lourde erreur d'analyse. Elles relèvent
en réalité d'une stratégie délibérée,
que préfiguraient largement les
critiques incessantes adressées à la
mondialisation et au libre-échange,
durant sa campagne, par le candidat
républicain.
Habilement, mais en
surestimant sans doute la capacité
américaine à peser sur Pékin, M.Trump
utilise la pomme de discorde taïwanaise
pour faire monter les enchères de
l'empoignade future sur les relations
commerciales. En prenant au téléphone la
présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, il a
allumé dès le mois de décembre un
incendie diplomatique dont il alimente
soigneusement le brasier. Pour ceux qui
n'auraient pas compris, il a déclaré
qu’il n'appartenait pas à Pékin de lui
dicter sa conduite, et qu'il ne voyait
pas pourquoi il devrait respecter le
principe de la « Chine unique ».
Cette mise en cause
d'un principe intangible de la
diplomatie américaine depuis 1979 n'est
pas anodine. La République populaire de
Chine avait exigé la reconnaissance de
ce principe par tout Etat désireux
d'entretenir avec elle des relations
diplomatiques. On ne saurait reprocher à
la position chinoise son manque de
clarté. Elle consiste à dire : vous êtes
libres d'avoir ou non des relations avec
nous, mais si c'est le cas, vous ne
pouvez pas simultanément en avoir avec
un Etat que nous ne reconnaissons pas,
car cette île appartient à notre nation
et y reviendra un jour.
Politiquement
séparée du continent depuis 1949, cette
« République de Chine » fut fondée par
Tchang-Kaï-Chek, en désespoir de cause,
suite à la déroute et à l'exil des
troupes nationalistes face aux forces
communistes. Allié de Washington, l'Etat
insulaire a longtemps bénéficié d'un
statut exorbitant en faisant partie,
jusqu'en 1971, des membres permanents du
conseil de sécurité de l'ONU. Puis il
fut poliment éconduit lorsque la
République populaire de Chine, enfin
reconnue à sa juste valeur, l'a remplacé
dans les instances internationales, la
visite de Richard Nixon à Pékin en 1972
ayant sanctionné cette nouvelle donne
géopolitique.
Comme un éléphant
républicain dans un magasin de
porcelaine chinoise, Donald Trump
pulvérise le credo fondateur de la
normalisation sino-américaine. Ce n'est
pas rien. Les Chinois, manifestement,
prennent l'affaire au sérieux. « Qui que
ce soit et quels que soient les
objectifs recherchés, si quelqu'un tente
de violer le principe de la Chine
unique, ou a l'illusion de pouvoir s'en
servir comme levier commercial, il fera
face à l'opposition générale du
gouvernement et du peuple chinois », a
déclaré, le 16 janvier, le ministère
chinois des Affaires étrangères.
Taïwan contre le
libre-échange, le détroit de Formose
contre les barrières douanières, les
grandes manœuvres commencent ! C'est
cocasse. Au moment où la surenchère
pro-taïwanaise de Donald Trump exaspère
Pékin, le président chinois, au sommet
de Davos, bat en brèche les imprécations
du futur locataire de la Maison-Blanche
contre la mondialisation. « Nous devons
dire non au protectionnisme, car il est
impossible de stopper les échanges de
capitaux, de technologies et de produits
», a martelé Xi Jinping, visant
implicitement le futur président
américain et ses menaces de barrières
douanières (AFP, 18/01).
Que le président
chinois se fasse le chantre du
libre-échange alors même que son pays
multiplie les entraves à l'ouverture de
ses propres marchés, évidemment,
n'échappe à personne. Libre-échangiste
côté cour et protectionniste côté
jardin, Pékin joue sur tous les
tableaux. Dans le monde impitoyable du
capitalisme mondialisé, il faut croire
que c'est la recette du succès. Mais les
USA et la Chine ne sont pas exactement
logés à la même enseigne. Les USA sont
le premier importateur mondial, tandis
que la Chine est le premier exportateur
mondial.
Le « rêve américain
» a désormais des allures de cauchemar.
Sur trois ouvriers des années 70, le
premier a été remplacé par un robot, le
second par un ouvrier chinois, et le
troisième redoute de finir comme les
deux précédents. La part des USA dans le
PIB mondial régresse. En 2025, la Chine
pèsera 21%, les USA 16%. En 2050, la
Chine pèsera 33% et les USA .. 9%. La
roue tourne, inexorablement. Les ombres
chinoises obscurcissent l'horizon. Elles
planent déjà sur l'investiture du futur
président, elles modèlent sa politique
étrangère. Pour tenter de conjurer ce
déclin annoncé, la nouvelle
administration devra probablement
engager un bras de fer dont l'issue est
incertaine.
Bruno Guigue
(18/01/2017)
Le sommaire de Bruno Guigue
Dossier
Monde
Les dernières mises à jour
|