Arrêt sur Info
Le sionisme est-il soluble dans le droit
international ?
Bruno Guigue
Photo:
D.R.
Dimanche 18 janvier 2015
Il y a vingt ans, l’OLP a
solennellement renoncé à la lutte armée.
Avalisant les accords d’Oslo, elle a
troqué une paix factice contre une
autonomie illusoire (Voir : « Le
processus d’Oslo : la paix pour un plat
de lentilles »). Prise au piège
d’une négociation inégale, elle a tout
concédé dans l’espoir d’une contrepartie
qui n’a jamais vu le jour. Elle s’est
alors enfermée dans un légalisme
d’autant plus pernicieux que son
« partenaire » israélien n’en avait
cure. Devant l’évidence de ce marché de
dupes, Mahmoud Abbas entend désormais
faire feu de tout bois, sans
transgresser la ligne rouge dont le
respect lui garantit le versement de
l’aide occidentale.
Spectatrice impuissante des
affrontements entre l’occupant israélien
et la résistance armée au cours de l’été
2014, la présidence palestinienne a
décidé de mener une offensive
diplomatique d’envergure. Faute
d’affronter l’adversaire sur le terrain,
elle espère obtenir gain de cause sur le
plan juridique, en faisant valoir les
droits d’un peuple victime de
l’occupation et de la colonisation. Face
à un Etat qui bafoue sans vergogne toute
légalité internationale, il va sans dire
que l’initiative palestinienne est
parfaitement légitime. Mais quelles sont
ses chances de succès ?
Sans équivoque, les USA ont déjà
manifesté leur opposition à deux
reprises. Le 29 décembre 2014,
Washington a voté contre le projet de
résolution présenté au Conseil de
sécurité de l’ONU prévoyant la signature
d’un accord de paix d’ici un an et le
retrait des territoires occupés d’ici
2017. Aussitôt après, le 18 janvier
2015, la Maison blanche a dénié toute
légitimité à la saisine palestinienne de
la Cour pénale internationale pour les
crimes commis à Gaza, au motif que « la
Palestine n’est pas un Etat souverain ».
La politique américaine ne déviant pas
de son orientation coutumière, le sort
de l’initiative palestinienne paraît
scellé d’avance.
Se contentant de reproches sans
lendemain et d’admonestations sans
effet, Washington n’a jamais rien fait
contre la colonisation israélienne. En
dépit des espoirs naïfs suscités en
2008, Barack Obama a joué à la
perfection le rôle du parfait zélateur
des intérêts israéliens auquel semble se
résumer celui du président des
Etats-Unis dans la région. Affirmant dès
sa première campagne électorale que
« Jérusalem réunifiée » demeurerait la
« capitale éternelle d’Israël », il
avait d’ailleurs fourni des gages
suffisants aux dirigeants d’un Etat
capable d’infléchir, par le truchement
d’un puissant lobby, le résultat des
élections américaines.
Quant à l’Etat d’Israël, non
seulement il est l’objet des touchantes
sollicitudes d’outre-Atlantique, mais il
s’affranchit d’autant mieux de la
légalité internationale qu’il croit
puiser sa légitimité à d’autres
sources : la dévolution biblique de la
Palestine au peuple d’Israël et
l’héritage moral de la Shoah. Il
convient de le rappeler : le tour de
force idéologique réalisé par le
sionisme, depuis 70 ans, c’est d’avoir
prétendu sanctifier une conquête
coloniale en la revêtant des oripeaux, à
la fois, d’une religion biblique
inscrite au patrimoine de l’Occident et
d’une conscience universelle meurtrie
par les horreurs du génocide.
Ce n’est donc pas pour le folklore
que Benjamin Netanyahou vient
régulièrement psalmodier l’Ancien
Testament devant le Congrès américain.
S’adressant aux représentants d’une
nation qui s’attribue une « destinée
manifeste », il ne manque jamais
d’évoquer la mythologie commune d’une
double élection, celle du peuple hébreu
et celle du peuple américain. Comme si
les deux nations pionnières se
trouvaient réunies dans une même foi
inébranlable en Dieu et en elles-mêmes,
il les convie à s’unir contre les forces
du mal, identifiées à cet islamisme
radical dans lequel il prétend voir
l’essence même de la revendication
palestinienne.
Mais la connivence religieuse avec
une Amérique protestante imbibée de
culture biblique ne suffit pas. La
référence obligée à la mémoire de la
Shoah est devenue aussi, entre les mains
d’Israël et de ses alliés, une arme
redoutable d’intimidation massive. Leur
donnant quitus sur le plan moral, elle
persuade les Israéliens que la violence
qu’ils exercent contre les autres n’est
entachée d’aucun opprobre. Elle range
derechef, du côté du Bien absolu, un
Etat juif qui serait né en réparation
d’un Mal absolu. Assortie du soupçon
d’antisémitisme, elle tétanise toute
velléité critique.
En percutant le droit international
avec le droit divin, Israël s’auréole,
par conséquent, d’une sainteté qui rend
caduc toute contestation profane. En
invoquant l’incommensurable souffrance
du peuple juif, il s’extrait pour de bon
du droit commun des nations. Ravalé au
statut de vaine paperasserie, le droit
international se voit donc congédié sans
ménagement, car jugé de mesure nulle
devant l’éternité d’un destin singulier,
celui du peuple élu, devant lequel les
autres nations sont sommées d’abdiquer
toute prétention fondée sur les règles
habituelles.
Malheureusement, les démarches de la
présidence palestinienne n’échapperont
pas à ce double sortilège. Entre des
Palestiniens trahis par la majorité des
régimes arabes et un Etat d’Israël
soutenu par l’Occident, la partie n’est
pas égale. Verrouillé par le veto
américain, le Conseil de sécurité de
l’ONU est condamné à l’immobilisme. Pour
la même raison, la Cour pénale
internationale sera réduite à
l’impuissance : Israël n’ayant pas signé
le traité de Rome, elle ne pourrait
déférer les dirigeants israéliens que si
le Conseil de sécurité le décidait.
Comment le ferait-il puisque les USA y
disposent d’un droit de veto ?
Aussi longtemps que l’Etat d’Israël
bénéficiera du parapluie de l’hyperpuissance
nord-américaine, l’invocation du droit
international contre l’occupant sera
donc comme le pot de terre contre le pot
de fer. Faute d’une modification
substantielle du rapport de forces,
Israël ne renoncera jamais à son
ambition fondatrice, énoncée en 1919 par
Chaïm Weizmann, président de
l’Organisation sioniste mondiale : « Ce
que nous voulons, c’est que la Palestine
soit juive comme l’Angleterre est
anglaise ».
L’accomplissement du projet sioniste
avait un prix à payer : il le fut par
les autres, ces autochtones que le
hasard avait placés malgré eux sur le
chemin de la renaissance juive.
S’autorisant d’une dévolution exclusive
de la terre palestinienne au peuple
juif, le sionisme est une entreprise
coloniale dont la radicalité est
délibérément occultée par le discours
dominant. Mais son seul objectif, c’est
de substituer un peuple à un autre. Le
sionisme ne pratique pas l’épuration
ethnique par un accident de l’histoire :
c’est son essence même. Renaissance du
peuple élu sur sa terre mythique, il
signe simultanément l’arrêt de mort du
peuple surnuméraire qui a l’audace d’y
vivre.
Aussi les dirigeants israéliens le
savent-ils pertinemment : mettre le
doigt dans l’engrenage du droit
international, c’est admettre
publiquement la réalité de la spoliation
accomplie depuis un siècle. Cinquante
ans après la décolonisation de l’Asie et
de l’Afrique, la Palestine occupée
demeure alors la butte-témoin d’un
colonialisme occidental qui divise
l’humanité en sujets et en objets de
l’histoire. Pour mettre fin à cette
aberration historique, il faudra sans
doute davantage que les batailles de
procédure d’une présidence palestinienne
réduite depuis longtemps à un rôle de
figuration.
Par Bruno Guigue |
18 janvier 2015
Normalien, énarque, Bruno Guigue
est aujourd’hui professeur de
philosophie, auteur de plusieurs
ouvrages, dont « Aux origines du
conflit israélo-arabe, l’invisible
remords de l’Occident »
(L’Harmattan, 2002).
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