Monde
Elections : la farce est prête
Bruno Guigue
© Bruno
Guigue
Samedi 17 septembre 2016
Le mouvement des idées a toujours un
train de retard sur le mouvement des
choses, disait Marx. Conquête
révolutionnaire, le suffrage universel a
été vidé de sa substance. Que l'élu du 8
novembre, par exemple, soit le candidat
qui aura dépensé le plus pour sa
campagne électorale est une loi d'airain
de la « démocratie américaine ». Elle se
vérifie pour toutes les élections
présidentielles depuis les années 50. On
peut toujours voter, mais à quoi bon,
puisque les dollars vont couler à flots,
décidant à l'avance du résultat ?
La
Cour suprême, en 2010, a déplafonné les
dons pour les campagnes électorales.
Avec cette incitation à la générosité,
Obama avait déjà dépensé un milliard de
dollars en 2012. On imagine quel nouveau
pas de géant la démocratie va accomplir
en 2016 ! L'issue du scrutin ne dépendra
pas de la volonté majoritaire du peuple
américain, mais du rapport de forces au
sein d'une oligarchie mondialisée trans-partisane.
Donner la parole au peuple sur son
propre avenir, appliquer la souveraineté
populaire ? Ne cherchez plus cette idée
saugrenue. Elle a été retirée du marché,
c’est le cas de le dire.
La
démocratie, si elle existe, signifie le
pouvoir du peuple. Mais pour que le
peuple exerce le pouvoir, il faut réunir
les conditions d'un débat démocratique.
Or la concentration capitaliste dans les
médias a précisément pour finalité de
supprimer ces conditions. Rendre la
parole au peuple est une bonne idée,
mais où la prendra-t-il, cette parole ?
Le verrouillage de l'espace médiatique
le lui interdit, il sape la délibération
collective. Cet espace est livré à la
pensée unique, il est saturé de bêtise,
crétinisé à l'extrême. La télévision
française, par exemple, atteint des
sommets de veulerie, et ses journalistes
feraient rougir des tapineuses. Querelle
débile sur un maillot de bain, exégèse
du dernier vomi de Zemmour : tout ce
qu'elle sait faire, c'est jouer son rôle
de machine à décerveler.
La
démocratie, pour les élites
mondialisées, n'est qu'une foire
d'empoigne destinée à faire croire au
bon peuple qu'il a son mot à dire. Sous
le régime clownesque exigé par la
domination des marchés, le peuple est
une chambre d’enregistrement. Il est
convoqué, périodiquement, pour dire amen
au candidat de l'oligarchie. Il ne
décide de rien, il avalise docilement.
Le peuple, d'ailleurs, ne sait pas ce
qui est bon pour lui. Tenté par le
populisme, c'est un géant sourd et
aveugle que des élites, éclairées à la
lueur de leur compte en banque, sauront
guider dans l'obscurité.
Si le
jeu démocratique est une pitrerie, c'est
parce que le capital mondialisé
maîtrise, grâce au nerf de la guerre, le
processus électoral et les médias qui en
parlent. Aux USA, où la presse est moins
monolithique, c'est l'avalanche de
dollars déversée par les donateurs qui
décide de l'élection. En France, c'est
la presse phagocytée par neuf
milliardaires qui nous dit pour qui
voter. Si DSK n'avait pas tenté de
saillir le personnel d'un établissement
hôtelier, il serait à la place d'Alain
Juppé : les médias au service de
l'oligarchie l'avaient déjà choisi.
Pour
les élections à venir, la farce est
prête. Il ne reste plus qu'à
l'enfourner. Mais pour les dindons,
inutile de chercher : c'est nous. Le
dispositif est au complet : la
corruption des partis d'un côté,
l'assommoir médiatique de l'autre. Ce
double tour de serrure garantit que rien
de périlleux pour l'ordre établi ne
sortira du scrutin. On aura beau dire
que la démocratie bourgeoise est une
démocratie frelatée. On aura beau
constater que la souveraineté populaire
a été sacrifiée sur l'autel d'une
monnaie. On aura beau rappeler qu'aucune
transformation sociale n'est jamais
sortie d'une élection. Cela ne sert à
rien. Inutile, non plus, de bourrer les
urnes, les dindons s'en chargeront.
Bruno
Guigue (17/09/2016)
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