Actualité
Jérusalem/Unesco,
ou la Déclaration Balfour version
péplum
Bruno Guigue
Lundi 16 mai 2016
La résolution de
l’UNESCO sur Jérusalem a provoqué une
avalanche de réactions indignées. Mais
que dit ce texte ? Conformément aux
missions de l’agence onusienne, il
entend garantir la protection du
patrimoine culturel palestinien ; il
déplore notamment qu’Israël « n’ait pas
cessé les fouilles et travaux à
Jérusalem-Est » et lui demande d’y
mettre fin, comme le prescrit la loi
internationale. Un rappel plutôt anodin,
au fond, de cette obligation incombant à
la puissance occupante : le statu quo
territorial.
Mais rien n’y fait.
Dans cette prose inoffensive, les
sionistes voient une abomination. Pour
Roger Cukierman, elle « insulte les
juifs du monde ». A les croire, cette
résolution d’inspiration islamiste
nierait le caractère hébraïque du Mont
du Temple. Elle aurait pour effet
d'oblitérer la centralité de Jérusalem
pour le judaïsme et d'effacer d’un trait
de plume 3 000 ans d’histoire juive. On
cherchera en vain de telles assertions
dans le texte incriminé, mais
qu'importe. Une fois de plus, Israël
joue la victime d'une agression
symbolique.
En s’élevant contre
cette dénégation, fût-elle imaginaire,
l’occupant sait bien qu’elle heurte la
conscience occidentale. L’outrage
infligé à la sacralité biblique lui
permet alors de mobiliser le ban et
l’arrière-ban. Sonnant le rappel des
troupes, elle lui procure les dividendes
d’une complicité dont l'exemple cocasse
nous a été fourni par François Hollande
et Manuel Valls qui, sans craindre le
ridicule, finirent par déplorer que la
France, dont ils sont paraît-il les
dirigeants, ait voté cette résolution
décidément suspecte.
Chacun le sait, la
révérence craintive à l’égard du texte
biblique est l’un des ressorts
soigneusement encodés de l’appui
occidental au sionisme. Comme le disait
Theodor Herzl, « si la revendication
d’un coin de terre est légitime, alors
tous les peuples qui croient en la Bible
se doivent de reconnaître le droit des
juifs ». La judéité de la Palestine
étant bibliquement établie, la
légitimité d’un Etat juif en Palestine
va de soi. Percutant le droit
international, le droit divin
sanctuarise l’Etat d’Israël.
Aussi faut-il bien
distinguer deux choses. Qu’il y ait un
lien historique entre le judaïsme et
Jérusalem est incontestable ; mais
prendre le texte dans son acception
littérale, ici comme ailleurs, est
totalement absurde. Selon la Thora, la
ville conquise par David s’incorpora à
la geste hébraïque lorsque le roi en fit
sa capitale. Son successeur Salomon la
sanctifia à son tour en y construisant
le temple qui devait matérialiser
l’alliance. Pour la tradition juive,
Jérusalem est l’écrin de la présence
divine, et la destruction des deux
temples n’altère en rien cette
sacralité.
Mais cette
narration a autant de rapport avec
l’histoire du Proche-Orient que «
l’Iliade » avec celle de la Grèce
archaïque. Heureusement, les esprits
sensés savent encore faire quelque
différence entre le mythe et l'histoire.
Comme disait Pierre Vidal-Naquet à
propos des ruines de Troie, « ces lieux
sacrés commémorent moins des faits
avérés que les croyances qui en sont
issues ». Or ces croyances, le roman
national israélien exige précisément
qu’on les fortifie à tout prix, qu'on
les accrédite par des preuves
matérielles. C’est pourquoi Israël s’est
lancé, à Jérusalem, dans une quête
obstinée des vestiges de sa grandeur
passée.
A coup
d'excavations frénétiques, la moindre
breloque péniblement exhumée vaudra
preuve intangible d’une gloire
ancestrale:; chaque tesson de poterie
attestera le rayonnement immémorial du
royaume hébraïque. Il ne reste presque
rien du temple, certes, mais on en
exhibera les fragments épars,
témoignages dignes de foi de sa
magnificence passée ! En jetant cette
poudre aux yeux des nations, Israël veut
les persuader que le royaume de David et
Salomon est un fait historique, et non
une narration mythique. Fouillant avec
ardeur le sous-sol de Jérusalem,
l’occupant s’imagine que de faramineuses
découvertes accréditeront ses
prétentions territoriales. Faisant
surgir de terre les vestiges d’une
antique grandeur, il entend bien la
faire renaître au présent.
Or cet acharnement
à fouiller le sous-sol palestinien en
sachant d'avance ce qu'on y cherche a
toutes les apparences d'un aveu d'échec.
Car depuis cinquante ans l’archéologie
officielle n’a guère rempli le contrat.
Au fur et à mesure des investigations,
nombre de certitudes se sont effondrées
comme des châteaux de cartes. Et on eut
beau chercher la Jérusalem des temps
bibliques, elle demeura introuvable. «
Les fouilles entreprises à Jérusalem
n’ont apporté aucune preuve de la
grandeur de la cité à l’époque de David
et de Salomon », affirmaient déjà deux
éminents archéologues, Israël
Finkelstein et Neil Asher Silberman,
dans "La Bible dévoilée, Les nouvelles
révélations de l’archéologie", Bayard,
2002, p. 150.
« Quant aux
édifices monumentaux attribués jadis à
Salomon, poursuivaient les deux
archéologues, les rapporter à d’autres
rois paraît beaucoup plus raisonnable.
Les implications d’un tel réexamen sont
énormes. En effet, s’il n’y a pas eu de
patriarches, ni d’Exode, ni de conquête
de Canaan, ni de monarchie unifiée et
prospère sous David et Salomon,
devons-nous en conclure que l’Israël
biblique tel que nous le décrivent les
cinq livres de Moïse, les livres de
Josué, des Juges et de Samuel, n’a
jamais existé ? » Questions pour le
moins dévastatrices !
La géopolitique du
sacré chère aux pères fondateurs
d'Israël voulait justifier la
colonisation juive. A l’évidence, elle
s’est perdue dans les sables mouvants.
Mais en définitive, peu importe. A
défaut d’être historique, la geste des
rois d’Israël fournira toujours un
merveilleux roman des origines, un
morceau de bravoure picaresque,
étonnante illustration de la parenté, au
fond, entre roman national et
littérature fantastique. Avec le récit
trépidant des exploits hébraïques et une
poignée de vieilles pierres en guise de
témoins muets, les sionistes
continueront de s’offrir à bon compte
une version péplum de la Déclaration
Balfour. Cela vaudra toujours mieux, à
leurs yeux, qu’une résolution onusienne.
Bruno Guigue (16
mai 2016).
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