Opinion
Oui, le colonialisme est un crime contre
l’humanité !
Bruno Guigue
Jeudi 16 février 2017
En
déclarant que “la colonisation est un
crime contre l'humanité, une véritable
barbarie”, Emmanuel Macron a déclenché
un torrent d'indignation. On a dit que
cette déclaration n'était que pur
opportunisme, que le candidat d’”En
marche”, comme d’habitude, disait tout
et son contraire. En novembre 2016, il
déclarait : “Alors oui… en Algérie il y
a eu la torture mais aussi l’émergence
d’un État, de richesses, de classes
moyennes, c’est la réalité de la
colonisation. Il y a eu des éléments de
civilisation et des éléments de
barbarie”. Certes. Mais si, pour une
fois, Emmanuel Macron avait eu raison ?
La réaction chauvine suscitée par ses
propos, en tout cas, montre que le
révisionnisme colonial fait partie de
l'ADN de la droite française.
Il
faut les entendre fulminer, ces
humanistes à géométrie variable, lorsque
cette page sinistre de l'histoire de
France est pointée du doigt. Pour
Bernard Accoyer, secrétaire général des
Républicains, “ces propos constituent
une insulte à l’Histoire de France et à
la mémoire de millions de Français. Ils
n’honorent pas le candidat à l’élection
présidentielle qui fait le choix de la
repentance plutôt que celui d’une
lecture objective de notre histoire. Une
repentance, toujours agitée par la
gauche et l’extrême-gauche, qui
contribue malheureusement à la défiance
d’une partie des nouvelles générations
envers leur pays”.
Mais
c’est tout le contraire ! Pour qu'un
Français se sente insulté par cette
affirmation, il faut qu'il ait une
lecture étriquée du passé national. Les
millions de victimes du colonialisme
français depuis trois siècles
seraient-elles quantité négligeable ?
Faut-il, pour être patriote, adhérer à
un roman colonial à l’allure de conte de
fées ? Que la France se proclame la
patrie des droits de l'Homme n'interdit
pas à ses citoyens de vérifier si cette
promesse a été tenue au cours de son
histoire. Elle leur en fait obligation.
Et après examen, le verdict est sévère.
Certains de vos électeurs l'ont
peut-être oublié, M. Accoyer, mais la
conquête de l'Algérie fut une expédition
meurtrière, l’occupation de ce pays une
humiliation permanente pour ses
habitants et sa guerre de libération un
carnage (300 000 morts) provoqué par
l'obstination du colonisateur.
Mais
M. Accoyer ne nous a offert que le hors
d’oeuvre. Parmi les nostalgiques à
l'orgueil outragé, c’est la présidente
du FN qui enlève le pompon. Sur sa page
Facebook, elle qualifie carrément de
“crime” les propos d'Emmanuel Macron. “Y
a-t-il quelque chose de plus grave,
quand on veut être président de la
République, que d'aller à l'étranger
pour accuser le pays qu'on veut diriger
de crime contre l'humanité ?”, demande
la candidate du FN. “En utilisant cette
argumentation probablement pour des
raisons bassement électoralistes, le
crime, c'est M. Macron qui le commet. Il
le commet contre son propre pays”.
Voilà, la messe est dite. A l'unisson,
la droite et l'extrême-droite assènent
cette doctrine singulière selon laquelle
le crime n'est pas le colonialisme, mais
sa dénonciation.
Contre
ces impostures réactionnaires, il faut
relire ce qu'écrivait Aimé Césaire en
1955 dans son magnifique “Discours sur
le colonialisme”. Il citait le colonel
de Montagnac, l'un des conquérants de
l'Algérie : “Pour chasser les idées qui
m'assiègent quelquefois, je fais couper
des têtes, non pas des têtes
d'artichauts mais bien des têtes
d'hommes”. Il donnait la parole au comte
d'Herisson : “Il est vrai que nous
rapportons un plein baril d'oreilles
récoltées, paire à paire, sur les
prisonniers, amis ou ennemis”. Il citait
aussi Pierre Loti relatant dans “Le
Figaro” la prise de Thouan-An
(Indochine) en 1883 : “La grande tuerie
avait commencé ! C’était plaisant de
voir ces gerbes de balles, si facilement
dirigeables, s’abattre sur eux deux fois
par minute. On en voyait d’absolument
fous, qui se relevaient pris d’un
vertige de courir. Ils faisaient en
zigzag et tout de travers cette course
de la mort, se retroussant jusqu’aux
reins d’une manière comique ... et puis
on s’amusait à compter les morts”. Eh
oui, ces horreurs, elles aussi, font
partie de notre histoire.
Partout, la conquête coloniale fut
effroyable. Le colonisateur au drapeau
tricolore l'a déshonoré, ce drapeau. Il
l'a noyé dans le sang des peuples
martyrisés par ceux qui prétendaient
leur apporter la civilisation au bout du
fusil. C’est pourquoi, partout, les
peuples colonisés ont levé l'étendard de
la révolte. Lassés d'être traités en
objets, ils voulaient devenir “les
sujets de leur propre histoire”, comme
disait Lénine dans ses thèses
prophétiques sur le droit des nations à
disposer d'elles-mêmes (1916). Mais en
Indochine, en Algérie, à Madagascar, au
Cameroun, cette révolte populaire s'est
heurtée à une répression impitoyable.
Pour maintenir l’ordre ancien, la
machine de guerre coloniale a perpétré
des crimes de masse, elle s'est livrée à
d’innombrables massacres.
Lisez
donc le grand Aimé Césaire, M. Accoyer,
cela vous changera du Figaro-Magazine !
“Il faudrait étudier comment la
colonisation travaille à déciviliser le
colonisateur, à l’abrutir au sens propre
du mot, à le dégrader, à le réveiller
aux instincts enfouis, à la convoitise,
à la violence, à la haine raciale, au
relativisme moral, et montrer que,
chaque fois qu’il y a au Viet-Nam une
tête coupée et un œil crevé et qu’en
France on accepte, une fillette violée
et qu’en France on accepte, un Malgache
supplicié et qu’en France on accepte, il
y a un acquis de la civilisation qui
pèse de son poids mort, une régression
universelle qui s’opère, une gangrène
qui s’installe ».
Le
moins qu'on puisse dire, c'est que cette
gangrène est toujours dans les têtes.
Comme disait Marx à propos des atrocités
commises par les Anglais en Inde en
1853, “L'hypocrisie profonde et la
barbarie inhérente à la civilisation
bourgeoise s'étalent sans voile devant
nos yeux, en passant de son foyer natal,
où elle assume des formes respectables,
aux colonies où elle se présente sans
voile”. Oui, c’est un fait, le crime
colonial a fait voler en éclats les
barrières morales que la classe
dominante s'imposait ailleurs. Dire
cette atrocité du crime colonial, c’est
désigner avec les mots qui conviennent
cette histoire douloureuse. Le
colonialisme est une violence au carré,
décuplée par le sentiment de supériorité
raciale du colonisateur sur le colonisé.
Perpétré sur les cinq continents, de
Colomb à Netanyahou, le colonialisme est
un crime contre l’humanité, car il nie
l’humanité de celui qu’il opprime.
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