Syrie
Burkini : le choc des civilisations
à l'heure du pastis
Bruno Guigue
Lundi 15 août 2016
Curieux pays que la France. Ses
dirigeants tentent d'abattre depuis cinq
ans, par tous les moyens, le seul régime
non confessionnel du Moyen-Orient. Ils
livrent des armes aux djihadistes au nom
de la démocratie et des droits de
l'homme. Ils bombardent les populations
civiles en prétendant lutter contre le
terrorisme qu'ils soutiennent par
ailleurs. Ils distribuent des médailles
honorifiques et vendent des avions de
chasse aux sponsors saoudiens de la
terreur planétaire. Mais cette absurdité
permanente de notre politique étrangère
n'offusque personne. Elle ne suscite
dans les médias dominants que des débats
feutrés. Aucun mouvement de foule n'en
dénonce la nocivité. Pour peu elle
passerait inaperçue, faisant place à
d'autres préoccupations.
Car ce
ne sont pas les événements d'Alep qui
passionnent les foules. Ces
affrontements exotiques auxquels on ne
comprend rien n'intéressent personne.
Loin de nous, ils sont comme frappés
d'insignifiance. Le vrai sujet est
ailleurs, son urgence saute aux yeux.
Son extrême gravité nous pétrifie
d'angoisse. Le burkini ! Ce costume de
bain ne devrait provoquer, au pire,
qu'un sourire narquois ou désabusé. Il
ne devrait susciter, au mieux, qu'une
souveraine indifférence. Mais voilà
qu'il se transforme en casus belli pour
estivants déchaînés, qu'il devient le
motif extravagant d'une bataille de
parasols. Portée à l'incandescence par
l'atmosphère corse, la discorde frôle
même le paroxysme, à coups de jets de
canettes et de fléchettes de harpon.
Aurait-on tort de ne pas prendre au
sérieux cette invraisemblable querelle ?
Oui, nous dit-on, car elle serait
symboliquement décisive. Elle serait
lourde de signification implicite,
grosse d'une menace existentielle. A
croire certains, elle s'élèverait même
au rang du combat suprême pour la
défense de nos valeurs. Menacée de
submersion, l'identité européenne
jouerait son va-tout dans cette rixe
saisonnière aux relents de pastis.
Congédiant la pétanque et les
épuisettes, elle reléguerait les
passions vacancières au magasin des
accessoires. Alors que dans les piscines
allemandes on s'en moque, ce maudit
vêtement émeut l'opinion, chez nous,
avec une singulière intensité.
On a
parfaitement le droit, bien sûr, de ne
pas aimer cette tenue de bain pour ce
qu'elle représente. Car cette version
balnéaire du voile intégral n'est pas
étrangère à un rigorisme qu'il est
légitime de combattre sur le plan des
idées. Mais la vie en société implique
aussi l'acceptation de la différence
culturelle. Dès lors qu'elle n'entrave
la liberté de personne, une pratique
sociale, vestimentaire ou autre, ne peut
faire l'objet d'une interdiction que si
elle déroge à un principe fondamental.
Mais dans le cas d'espèce, lequel ? On
peine à le trouver. Et l'on interdit la
pratique des uns parce qu'elle ne plaît
pas aux autres. Ce qui soulève cette
question : dans un Etat laïc, les
prohibitions légales ont-elles vocation
à épouser les aversions subjectives des
uns et des autres ?
Effet
collatéral du climat créé par les
attentats, cette interdiction, en
réalité, renvoie sans le dire à la lutte
contre le terrorisme. Que le burkini
entretienne un rapport de connivence
implicite avec l'idéologie wahhabite, au
demeurant, n'est pas faux. Que cette
idéologie soit la matrice originelle du
djihadisme non plus. Mais les femmes qui
adoptent cette tenue par conviction
religieuse ne sont pas pour autant des
adeptes du terrorisme. Et le motif de
l'interdiction, il faut le reconnaître,
demeure juridiquement faible, puisqu'on
ne peut même pas invoquer le fait que le
visage est masqué, contrairement à la
burqa.
Il
n'empêche que pour une partie de la
population française cet argument est de
peu de poids. A ses yeux, cette lutte
symbolique est le baroud d'honneur de
l'Occident en proie aux barbares. La
guerre du maillot intégral, c'est le
choc des civilisations mis à la portée
des plagistes, le grand frisson
identitaire à l'heure de l'apéro aux
olives. On croit combattre le fanatisme
en faisant la chasse au burkini, mais on
ne poursuit que des ombres, sans voir la
diversion à laquelle on prête la main.
Nourrie par des médias rapaces, cette
bataille dérisoire, une fois de plus,
détourne de l'essentiel. Cette vaine
dispute est un écran de fumée dont des
politiciens véreux font leur miel. Et
elle montre notre incapacité politique à
prendre au sérieux l'islamisme radical
pour mieux le combattre.
Bruno
Guigue (15 août 2016)
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