Syrie
Lettre ouverte aux charlatans de la
révolution syrienne
Bruno Guigue
Vendredi 13 mai 2016
Au moment où un dirigeant historique de
la résistance arabe libanaise, en Syrie,
vient de mourir sous les coups de
l’armée sioniste, j’adresse cette lettre
ouverte aux intellectuels et militants
de « gauche » qui ont pris parti pour la
rébellion syrienne et croient défendre
la cause palestinienne tout en rêvant de
la chute de Damas.
Vous nous disiez,
au printemps 2011, que les révolutions
arabes représentaient un espoir sans
précédent pour des peuples subissant le
joug de despotes sanguinaires. Dans un
excès d'optimisme, nous vous avons
écoutés, sensibles à vos arguments sur
cette démocratie miraculeusement
naissante et à vos proclamations sur
l'universalité des droits de l’homme.
Vous aviez presque réussi à nous
persuader que cette protestation
populaire qui emporta les dictateurs
tunisien et égyptien allait balayer la
tyrannie partout ailleurs dans le monde
arabe, en Libye comme en Syrie, au Yémen
comme à Bahreïn, et qui sait où encore.
Mais cette belle
envolée lyrique laissa rapidement
paraître quelques failles. La première,
béante, apparut en Libye. Adoptée par le
conseil de sécurité pour secourir des
populations civiles menacées, une
résolution de l'ONU se transforma en
chèque en blanc pour la destitution manu
militari d'un chef d'Etat devenu
encombrant pour ses partenaires
occidentaux. Digne des pires moments de
l'ère néoconservatrice, cette opération
de "regime change" accomplie pour le
compte des USA par deux puissances
européennes en mal d’affirmation
néo-impériale aboutit au désastre dont
la malheureuse Libye continue de payer
le prix. L’effondrement de ce jeune Etat
unitaire livra le pays aux ambitions
effrénées des factions et des tribus,
sciemment encouragées par les
convoitises pétrolières des charognards
occidentaux.
Il y avait pourtant
de bonnes âmes, parmi vous, pour
accorder des circonstances atténuantes à
cette opération, comme il y en avait,
davantage encore, pour exiger qu'un
traitement analogue fût infligé au
régime de Damas. Car le vent de la
révolte qui soufflait alors en Syrie
semblait valider votre interprétation
des événements et donner une
justification a posteriori au bellicisme
humanitaire déchaîné contre le potentat
de Tripoli. Pourtant, loin des médias «
mainstream », certains analystes firent
observer que le peuple syrien était loin
d'être unanime, que les manifestations
antigouvernementales se déroulaient
surtout dans certaines villes, bastions
traditionnels de l'opposition islamiste,
et que la fièvre sociale de couches
paupérisées par la crise n’entraînerait
pas pour autant la chute du gouvernement
syrien.
Ces avertissements
de bon sens, vous les avez ignorés.
Comme les faits ne correspondaient pas à
votre narration, vous les avez triés
comme bon vous semble. Là où des
observateurs impartiaux voyaient une
polarisation de la société syrienne,
vous avez voulu voir un tyran
sanguinaire assassinant son peuple. Là
où un regard dépassionné permettait de
discerner les faiblesses, mais aussi les
forces de l’Etat syrien, vous avez abusé
de rhétorique moralisante pour instruire
à charge le procès d’un gouvernement qui
était loin d’être le seul responsable
des violences. Vous avez vu les
nombreuses manifestations contre Bachar
Al-Assad, mais vous n’avez pas vu les
gigantesques rassemblements de soutien
au gouvernement et aux réformes qui
emplirent les rues de Damas, Alep et
Tartous. Vous avez dressé la
comptabilité macabre des victimes du
gouvernement, mais vous avez oublié
celles des victimes de l’opposition
armée. A vos yeux, il y avait de bonnes
et de mauvaises victimes, des victimes
qui méritent qu’on en parle et des
victimes dont on ne veut pas entendre
parler. Délibérément, vous avez vu les
premières, tout en vous rendant aveugles
aux secondes.
Au même moment, ce
gouvernement français, dont vous
critiquez volontiers la politique
intérieure pour entretenir l’illusion de
votre indépendance, vous a donné raison
sur toute la ligne. Curieusement, la
narration du drame syrien qui était la
vôtre coïncidait avec la politique
étrangère de M. Fabius, chef d’œuvre de
servilité mêlant l’appui inconditionnel
à la guerre israélienne contre les
Palestiniens, l’alignement pavlovien sur
le leadership américain et l’hostilité
recuite à l’égard de la résistance
arabe. Mais votre mariage ostensible
avec le Quai d’Orsay ne sembla pas vous
gêner. Vous défendiez les Palestiniens
côté cour, et vous dîniez avec leurs
assassins côté jardin. Il vous arriva
même d’accompagner les dirigeants
français en visite d’Etat en Israël.
Vous voilà embarqués, complices, pour
assister au spectacle d’un président qui
déclare qu’il « aimera toujours les
dirigeants israéliens ». Mais il en
fallait plus pour vous scandaliser, et
vous avez repris l’avion avec le
président, comme tout le monde.
Vous aviez condamné
à juste titre l’intervention militaire
américaine contre l’Irak en 2003. La
vertu roborative du bombardement pour la
démocratie vous laissait froids, et vous
doutiez des vertus pédagogiques des
frappes chirurgicales. Mais votre
indignation à l’égard de cette politique
de la canonnière version « high tech »
s’avéra étrangement sélective. Car vous
réclamiez à cor et à cri contre Damas,
en 2013, ce que vous jugiez intolérable
dix ans plus tôt contre Bagdad. Une
décennie a suffi pour vous rendre si
malléables que vous voyiez le salut du
peuple syrien, désormais, dans une pluie
de missiles de croisière sur ce pays qui
ne vous a rien fait. Reniant vos
convictions anti-impérialistes, vous
avez épousé avec enthousiasme l’agenda
de Washington. Sans vergogne, non
seulement vous applaudissiez par avance
aux B 52, mais vous repreniez la
propagande US la plus grotesque, dont le
précédent irakien et les mensonges
mémorables de l’ère Bush auraient dû
vous immuniser.
Pendant que vous
inondiez la presse hexagonale de vos
inepties, c’est un journaliste
américain, enquêteur hors pair, qui mit
en pièces le pitoyable « false flag »
destiné à rendre Bachar-Al-Assad
responsable d’une attaque chimique dont
aucune instance internationale ne l’a
accusé, mais que les expertises du
Massachussets Institute of Technology et
de l’Organisation pour l’interdiction
des armes chimiques, en revanche, ont
attribuée à la partie adverse. Ignorant
les faits, les travestissant au besoin,
vous avez joué à cette occasion votre
misérable partition dans cette
cacophonie de mensonges. Pire encore,
vous continuez de le faire. Alors qu’Obama
lui-même laisse entendre qu’il n’y a pas
cru, vous vous obstinez à réitérer ces
sornettes, comme des chiens de garde qui
aboient après la disparition de
l’intrus. Et pour quel motif ? Pour
justifier le bombardement, par votre
propre gouvernement, d’un petit Etat
souverain dont le tort principal est de
refuser l’ordre impérial. Pour venir en
aide à une rébellion syrienne dont vous
avez sciemment masqué le véritable
visage, accréditant le mythe d’une
opposition démocratique et laïque qui
existe seulement dans les salons des
grands hôtels de Doha, de Paris ou
d’Ankara.
Cette « révolution
syrienne », vous l’avez donc exaltée,
mais vous avez pudiquement détourné les
yeux de ses pratiques mafieuses, de son
idéologie sectaire et de ses
financements troubles et douteux. Vous
avez soigneusement occulté la haine
interconfessionnelle qui l’inspire,
cette aversion morbide pour les autres
confessions directement inspirée du
wahabisme qui en est le ciment
idéologique. Vous saviez que le régime
baassiste, parce qu’il est laïque et non
confessionnel, constituait une
assurance-vie pour les minorités, mais
vous n’en aviez cure, allant même
jusqu’à qualifier de « crétins » ceux
qui prenaient la défense des chrétiens
persécutés. Mais ce n’est pas tout. A
l’heure du bilan, il restera encore
cette ultime ignominie : vous avez
cautionné la politique d’un Laurent
Fabius pour qui Al-Nosra, branche
syrienne d’Al-Qaida, « fait du bon
boulot ». Tant pis pour les passants
déchiquetés dans les rues de Homs ou les
alaouites de Zahra assassinés par les
rebelles : à vos yeux, ils ne sont que
du menu fretin.
Entre 2011 et 2016,
les masques tombent. Vous vous réclamez
du droit international, mais vous
applaudissez à sa violation contre un
Etat souverain. Vous prétendez
promouvoir la démocratie pour les
Syriens, mais vous êtes devenus les
fourriers du terrorisme qu’ils endurent.
Vous dites que vous défendez les
Palestiniens, mais vous êtes dans le
même camp qu’Israël. Lorsqu’un missile
sioniste s’abat sur la Syrie, n’ayez
crainte : il ne frappera jamais vos
amis. Grâce à Israël, grâce à la CIA, et
grâce à vous, ces courageux rebelles
vont continuer à préparer l’avenir
radieux de la Syrie sous l’emblème du
takfir. Le missile sioniste, lui, va
tuer un des dirigeants de cette
résistance arabe que vous avez trahis.
Bruno Guigue
(13/05/2016).
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