Monde
La riposte russe
Bruno Guigue
Mercredi 12 octobre 2016
Les capitales occidentales vocifèrent,
elles fulminent, elles se déchaînent
contre Moscou. Dans un accès de délire,
Hillary Clinton accuse le Kremlin de
saboter les élections américaines. Les
matamores galonnés du Pentagone menacent
la Russie de l'apocalypse nucléaire.
Justicier planétaire, François Hollande
veut traîner Vladimir Poutine devant les
tribunaux. On s'imagine sans doute que
cette hystérie collective va intimider
la Russie, la discréditer, la faire
plier. C'est exactement le contraire.
Décidé à suivre son propre agenda,
Moscou est à l'offensive. Comme
d'habitude dans les situations de crise,
Vladimir Poutine se montre actif, non
réactif. Loin de se laisser mener par
l'événement, il le préempte.
La
riposte russe se manifeste d'abord,
évidemment, sur le terrain syrien.
L'Occident fait feu de tout bois pour
sauver la mise à ses protégés
d'Alep-Est. Sa presse mobilise une
opinion manipulée par des officines
vêtues de blanc qui sont humanitaires le
jour et terroristes la nuit. Washington
menace l'Etat syrien de nouvelles
bavures contre ses soldats qui luttent
courageusement contre Daech. Le
Département d'Etat se délecte à l'avance
des pertes humaines que subira la Russie
si elle s'entête à combattre les
coupeurs de tête. Il brandit, sans
vergogne, le spectre d'une sanglante
offensive terroriste qui viendrait
frapper au cœur des villes russes.
Avalanche d'ignominies, mais pour quel
résultat ? Zéro. Au moment où les
dirigeants occidentaux se consument en
invectives, les opérations aériennes
russes redoublent d'intensité à Alep.
Elles permettent à l'armée syrienne
d'engager la reconquête des quartiers
orientaux de la ville tombés aux mains
des bandes armées en 2012. Washington et
ses affidés voulaient empêcher la Syrie
de recouvrer sa souveraineté dans sa
capitale du Nord. Ils rêvaient de faire
d'Alep le centre névralgique de cette
rébellion modérée qui n'existe que sur
le papier. Le résultat de tous ces
efforts, c'est que Damas a repris
l'offensive et engagé la bataille
décisive. Si Alep-Est est libérée, c'est
la pseudo-révolution syrienne qui
bascule dans les poubelles de
l'histoire.
La
Russie accompagne l'offensive terrestre
à Alep-Est, mais elle organise aussi le
déploiement des batteries S-300 et S-400
sur l'ensemble du théâtre d'opération
syrien. L'installation de ce dispositif
anti-aérien sophistiqué est un message
explicite destiné aux faucons de
Washington : ils seraient imprudents
d'aller s'y brûler les ailes ! Moscou ne
laisse aucun doute sur sa détermination
à pulvériser tout appareil hostile
venant parader dans le périmètre.
Cruelle ironie de l'histoire ! Voulant
rééditer le précédent libyen, Washington
rêvait d'imposer une "no fly zone" à
l'aviation syrienne. Hillary Clinton
agite encore cette marotte à chaque
meeting comme si c'était la panacée
universelle. C'est raté. Aujourd'hui
c'est Moscou qui impose la "no fly zone"
à Washington. Et la Russie le fait au
bénéfice d'un Etat souverain dans le
respect du droit international.
Cet
échec du camp impérialiste sur le
terrain militaire n'est pas le seul. La
riposte russe est aussi d'ordre
politique. Avec habileté, le Kremlin a
su trouver un modus vivendi avec Ankara.
La Turquie ne renonce ni à combattre les
Kurdes ni à soutenir les rebelles. Mais
les Néo-Ottomans ont revu leurs
ambitions à la baisse. La Turquie s'est
rapprochée de la Russie par intérêt,
signant avec elle un important accord
gazier au moment où les USA fulminent
contre le Kremlin. Prix à payer pour
l'abandon d'Alep-Est par Ankara, Moscou
lui a concédé avec l'assentiment
implicite de Damas une zone-tampon au
Nord de la Syrie.
Principal allié militaire des USA dans
la région, la Turquie se résout donc à
laisser les mains libres à la Russie du
moment qu'on lui offre des garanties
contre le séparatisme kurde. Dans la
partie de poker qui l'oppose à la Maison
Blanche, ce compromis avec les Turcs est
un précieux atout entre les mains du
Kremlin. Il illustre la supériorité de
la diplomatie de conciliation d'un
Lavrov sur la diplomatie d'intimidation
des braillards de Washington. D'autant
que Moscou, en même temps, scelle son
alliance avec Pékin, Damas et Téhéran,
se rapproche du Caire et soigne ses
relations avec la plupart des pays de la
région moyen-orientale.
Initiative militaire, succès
diplomatique. Les faits parlent
d'eux-mêmes. La Russie est de retour.
Mais il y a un troisième front. Face aux
menaces des Docteur Folamour du
Pentagone, devant cette avalanche
d'injures et de provocations, que fait
Vladimir Poutine ? Exactement l'inverse.
Aucune menace, aucune surenchère. Mais
il tire les conséquences de la politique
agressive des USA. Les deux pays
coopéraient dans le domaine énergétique
et nucléaire. C'est fini. Un décret de
Vladimir Poutine vient de suspendre
l'accord de coopération sur le
plutonium. Cette décision est liée à
"l'apparition d'une menace sur la
stabilité stratégique suite aux actes
inamicaux des Etats-Unis à l'encontre de
la Russie".
Les
USA ont installé un bouclier
anti-missiles en Europe de l'Est. Ils
multiplient les manœuvres militaires
avec leurs satellites aux frontières de
la Russie. Le Pentagone envisage
ouvertement la perspective d'un conflit
meurtrier avec la Russie. Soit. La
Russie ne menace personne, mais elle
organise des manœuvres à Kaliningrad où
elle déploie ses missiles dernier cri "Iskander
M". Simultanément, on envisage à Moscou
la réouverture de bases militaires
russes en Egypte, au Vietnam et à Cuba.
Pour un pays qui a subi deux invasions
dévastatrices au cours des deux derniers
siècles (Napoléon et Hitler), la
dissuasion n'est pas un vain mot. L'ours
russe est un animal paisible, mais
prière de ne pas l'importuner, il va
grogner.
Bruno
Guigue (12/10/2016)
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