Monde
Quand les sentinelles du capital
crachent sur le peuple
Bruno Guigue
Mardi 5 juillet 2016
Depuis le 23 juin,
les diatribes des européistes
transpirent la haine de la démocratie,
elles suintent le dégoût qu'inspire cet
obscur entêtement de manants qui
engendra ce maudit Brexit. Telle une
exhalaison fétide, il émane de ces
propos l'intraitable mépris pour le
peuple auquel se reconnaissent les
serviteurs de l'oligarchie. Du président
de Goldman Sachs exigeant l'annulation
du Brexit à l'anarchiste repenti Daniel
Cohn-Bendit raillant les égarements
d'une masse inculte, les petites frappes
de l'Europe des banquiers rivalisent de
dédain pour ces ploucs qui se lèvent tôt
le matin et croient naïvement que les
mots de démocratie et de suffrage
universel ont encore un sens.
Fidèles à leur
vocation, les sentinelles du capital
mondialisé que n’assujettit aucune loi
n'aspirent qu'à soumettre les citoyens à
la sienne. L’étendue du despotisme
financier étant inversement
proportionnelle à l’étendue du contrôle
dont il fait l’objet, il est dans sa
nature d'exiger le déni de la
souveraineté populaire et la mise hors
jeu de la délibération démocratique. La
confiance des marchés, cette abstraction
derrière laquelle se terre la cupidité
des détenteurs de capitaux, leur tient
lieu de suffrage universel. Le consensus
des agences de notation, à leurs yeux,
vaut tous les référendums.
Si seulement on
pouvait remplacer les élections par un
plébiscite dans les salles de marché !
Faute de pouvoir supprimer des
institutions démocratiques conquises de
haute lutte, les puissances d’argent
s’emploient cependant à les vider de
leur substance. Donner la parole au
peuple sur son propre avenir est une
idée saugrenue qu'il faut impérativement
retirer du marché, c’est le cas de le
dire. Et la farce de la démocratie
bourgeoise ne trouve grâce à leurs yeux
qu'à la condition expresse que son
exercice demeure strictement conforme à
leurs intérêts. Toute échappée
intempestive de la "vox populi" sait
donc à quoi elle est promise : soit
l'annulation de son résultat, soit
l'assurance absolue qu'elle ne puisse
récidiver. C'est pourquoi, tout en
légitimant un futur Frexit, le vote du
Brexit lui rend la tâche difficile,
l'exemplarité démocratique du 23 juin se
trouvant en effet convertie de façon
maligne par la propagande en repoussoir
absolu.
Sous le régime de
souveraineté limitée qui prévaut dans l'
Union européenne, le verdict populaire a
ordinairement des vertus confirmatives,
jamais affirmatives. Dans cette
"démocratie" en liberté conditionnelle
exigée par la domination des marchés, le
peuple est tout au plus une chambre
d’enregistrement, vaguement consulté
pour la forme. En réalité, il ne décide
de rien, il avalise docilement, et
encore par représentants interposés
puisque la voie de la consultation
directe, sous l'effet du crétinisme
parlementaire ambiant, lui est
généralement fermée. Et si référendum il
y a malgré tout, il suffit d'en
invalider le résultat par voie
parlementaire, la caste politicienne
prêtant toujours la main à l'extinction
cynique de cette souveraineté dont elle
procède.
Et puis, comme
dirait Cohn-Bendit (dont la vertu est
d'illustrer au passage ce que donne la
dégénérescence de l'anarchisme), ce
peuple d'ignares sait-il réellement ce
qui est bon pour lui ? Encline aux idées
simplistes, la masse abrutie sombre
toujours dans l'odieux populisme, lequel
rôde comme un spectre, inondant une
Europe apeurée de visions
cauchemardesques. Le peuple, au fond,
n'est qu'un géant sourd et aveugle dont
les élites, heureusement, seront les
yeux et les oreilles. C'est avec fermeté
qu’elles devront, pour n’en fixer aucune
à leurs profits, assigner de saines
limites à ses désirs. Puérile et
versatile, la populace, c'est sa
destinée toute tracée, sera remise sur
le droit chemin par ceux qui prétendent
faire son bonheur à sa place, tout en
ayant la ferme intention de l'exploiter
jusqu'à plus soif.
Bruno Guigue
(06/07/2016)
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