Syrie
Alep: la propagande « Droits de l’homme
»
prépare le terrain pour une escalade
militaire
Bill Van Auken
Lundi 22 août 2016
Les images et vidéos montrant un
garçon de cinq ans d’Alep, Omran
Daqneesh, sont rapidement devenues
omniprésentes dans les médias aux
États-Unis et en Europe de l’ouest,
après avoir été distribuées par un
groupe aligné sur les « rebelles »
islamistes soutenus par la CIA en Syrie.
On voit le garçonnet un peu hébété,
assis dans le siège orange d’une
nouvelle ambulance bien équipée, le
visage couvert de poussière et taché par
ce qui semble être du sang séché
provenant selon les médias d’une
entaille au cuir chevelu. Une vidéo le
montre attendant, sans qu’on s’occupe de
lui, pendant que des photographes et
vidéastes enregistrent son image pour la
diffuser dans le monde entier. De toute
évidence, les responsables ont senti que
le garçon, avec une mèche de cheveux
couvrant son front et un t-shirt de
bande dessinée, fournissait une image
commercialisable.
CNN a proclamé l’enfant «
visage de la guerre civile en Syrie » ;
sa présentatrice a fondu en larmes de
façon théâtrale en racontant son
histoire. Le New York Times le
qualifia de « symbole de la souffrance
d’Alep », tandis que USA Today
publiait une brève note disant, « Ce
garçon syrien s’appelle Omran.
Allez-vous faites attention maintenant ?
»
Plus direct dans son approche, le
Daily Telegraph britannique titrait
un article « Pour l’amour des enfants
d’Alep, nous devons de nouveau essayer
d’imposer une zone d’exclusion aérienne
en Syrie. »
Parmi les articles les plus obscènes
il en y avait un, c’était prévisible, de
Nicholas Kristof du New York Times,
qui mélangeait le sort des enfants
syriens et la mort de son chien
familial. Il invoquait ensuite une
déclaration du secrétaire d’État John
Kerry selon laquelle l’État islamique
(EI) était en train d’effectuer un
génocide, comme justification pour que
les États-Unis lancent des missiles de
croisière contre le gouvernement syrien
qui se bat contre l’EI. Cette tentative
d’abolir toute pensée rationnelle au nom
des Droits de l’homme est stupéfiante.
Nous assistons là à une campagne de
propagande de guerre soigneusement
orchestrée, destinée à faire appel aux
sentiments humanitaires de la population
pour l’embrigader dans une nouvelle
escalade de violence impérialiste au
Moyen-Orient. Si l’incident avec Omran a
été mis en scène par les « rebelles » et
ceux qui les gèrent à la CIA, ou si
Washington et les médias exploitent
cyniquement la souffrance réelle d’un
enfant innocent, n’est pas encore avéré.
Ce qui est indiscutable c’est que la
feinte préoccupation au sujet de cet
enfant est imposée au public avec des
motifs politiques et géostratégiques
très précis, non déclarés, qui n’ont
rien à voir avec la protection d’enfants
innocents. Des enfants sont morts par
centaines de milliers au cours du
dernier quart de siècle d’invasions, de
bombardements et de guerres par
procuration conduites par les Etats-Unis
dans toute la région.
L’image d’Omran a été choisie parce
qu’elle venait du secteur est d’Alep où
environ un sixième de la population de
la ville vit sous la domination des
milices islamistes soutenues par les
États-Unis. La plus importante d’entre
elles est Fateh al-Sham, qui s’appelait
le mois dernier encore Front al-Nosra et
était l’affilié désigné d’Al-Qaïda en
Syrie.
Les enfants syriens tués par « les
canons de l’enfer » des milices
d’Al-Qaïda, pilonnant aveuglément les
quartiers ouest d’Alep contrôlés par le
gouvernement, n’ont pas le même effet
sur les glandes lacrymales des
éditorialistes et « têtes parlantes »
des médias. Ni d’ailleurs les images
venant du Yémen, des enfants abattus par
les frappes aériennes saoudiennes menées
à l’aide de bombes fournies par les
États-Unis et du soutien logistique
indispensable du Pentagone. La vidéo
horrifiante des « rebelles » syriens «
modérés » soutenus par les États-Unis,
sciant la tête d’un garçon palestinien
d’une dizaine d’années, n’a pas non plus
provoqué d’indignation significative.
Les forces motrices sous-jacentes de
cette nouvelle campagne de propagande
sont de deux ordres. D’abord et de façon
immédiate, l’offensive des « rebelles »
— armés et financés par les États-Unis
et leurs alliés régionaux — visant à
rompre le siège de l’est d’Alep par le
gouvernement syrien et à intensifier la
guerre contre la population civile dans
l’ouest de la ville, s’est immobilisée,
et l’armée syrienne, soutenue par
l’aviation russe, refait des gains
importants sur le terrain. D’où la
nouvelle demande de cessez-le-feu
immédiat.
Ensuite, il y a le développement
d’une collaboration plus étroite entre
Russie, Iran, Chine et Turquie qui a,
par rapport aux cinq ans de guerre pour
un changement de régime en Syrie, des
conséquences d’une grande portée. La
semaine dernière, l’Iran a permis à la
Russie d’utiliser des bases iraniennes
pour attaquer des cibles en Syrie et
Pékin a annoncé une augmentation de
l’aide militaire à Damas. Suite à la
tentative de coup militaire du mois
dernier soutenue par les États-Unis, le
premier ministre turc Recep Tayyip Erdo&;an
a cherché à se rapprocher de Moscou et
de Téhéran.
Washington est de plus en plus
inquiet de cette alliance potentielle et
la considère comme un obstacle à sa
campagne militaire pour affirmer
l’hégémonie américaine sur le
Moyen-Orient et ses vastes réserves
d’énergie. Il ne peut pas accepter un
tel défi et va inévitablement préparer
une réponse militaire. C’est à cette fin
que la campagne de propagande «
humanitaire » pour « sauver les enfants
» de la Syrie — et sauver les forces
Al-Qaïda mandatées par Washington par la
même occasion — a été montée.
Les méthodes employées dans cette
campagne sont pour le moins usées. Il y
a vingt-cinq ans, la première guerre du
Golfe contre l’Irak avait été préparée à
l’aide d’un conte effrayant, raconté au
Congrès américain, parlant de troupes
irakiennes envahissant le Koweït, volant
les incubateurs dans les hôpitaux et
laissant mourir les bébés. On a appris
par la suite que le prétendu témoin de
cette atrocité, une femme présentée
comme une infirmière, était la fille de
l’ambassadeur du Koweït et un membre de
la famille royale de l’émirat. Toute
l’histoire était un canular de
propagande.
Dans les années qui ont suivi, les
États-Unis ont imposé des sanctions
punitives à l’Irak, qui ont coûté la vie
à un demi-million d’enfants irakiens.
Madeleine Albright, alors ambassadrice
américaine à l’ONU, a déclaré de façon
tristement célèbre : « Le prix en valait
la peine. » Des guerres américaines
subséquentes en Afghanistan, en Irak, en
Libye et en Syrie ont tué des centaines
de milliers d’autres enfants.
Examinant ces 25 années de violence
et de sang, le livre nouvellement publié
de David North: « Un quart de siècle de
guerre: la poursuite de l’hégémonie
mondiale par les États-Unis, 1990-2016 »
déclare :
« L’étendue des opérations militaires
s’est continuellement élargie. On a
commencé de nouvelles guerres tout en
poursuivant les précédentes. On s’est
servi cyniquement de l’invocation des
Droits de l’homme pour faire la guerre à
la Libye et renverser le régime de
Mouammar Kadhafi en 2011. Le même
prétexte hypocrite a été utilisé pour
organiser une guerre par procuration en
Syrie. Les conséquences de ces crimes,
en vies humaines et en souffrances, sont
incalculables. »
« Il faut étudier le dernier quart de
siècle de guerres menées par les
États-Unis comme une chaîne d’événements
interconnectés. La logique stratégique
de la poursuite de l’hégémonie mondiale
par les États-Unis se prolonge au-delà
des opérations néocoloniales du
Moyen-Orient et de l’ Afrique. Les
guerres régionales en cours sont les
éléments constitutifs d’une
confrontation montante des États-Unis
avec la Russie et la Chine, qui
s’accélère rapidement. »
Le flot de propagande de guerre qui
annonce une escalade imminente de
l’intervention américaine en Syrie
menace de précipiter une telle
confrontation qui comporte le danger
réel d’une guerre nucléaire mondiale.
(Article paru d’abord en anglais le
19 août 2016)
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dossier Syrie
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