Actualité
Le monde doit lutter contre l’annexion
israélienne – qu’elle soit formelle ou non
Ben White
Présence de l’armée
israélienne alors que les Palestiniens
protestent contre
le plan israélien
d’annexion de certaines parties de la
Cisjordanie occupée,
dans le village de Sawiya près de
Naplouse, le 15 mai (Reuters)
Vendredi 29 mai 2020
Les graves violations du droit
international et les politiques
d’apartheid d’Israël ont persisté en
grande partie parce qu’il n’en est pas
tenu responsable internationalement.
Alors que le
nouveau gouvernement a prêté serment
devant le parlement israélien cette
semaine, le Premier ministre Benjamin
Netanyahou a réitéré son objectif
d’annexer des territoires de Cisjordanie
occupée. « Il est temps d’appliquer la
loi israélienne et d’écrire un nouveau
chapitre glorieux dans l’histoire du
sionisme », a-t-il
déclaré devant la Knesset.
Depuis que l’accord
entre Netanyahou et le leader Bleu et
blanc Benny Gantz a pris forme, incluant
un engagement à accroître la «
souveraineté » dans les parties de la
Cisjordanie attribuées à Israël dans le
cadre du plan de l’administration Trump,
l’annexion a été très présente dans la
diplomatie et les débats des analystes.
Mais au milieu des
discussions sur ses conséquences
potentielles pour les relations entre
Israël et l’UE ou pour le traité de paix
avec la Jordanie, peu d’attention a été
portée à la possibilité que l’annexion
soit finalement esquivée.
« Tout sauf
aléatoire »
Comme l’a relevé la
correspondante d’Haaretz Noa Landau, une
clause de l’accord de coalition signé
par le Likoud et le parti Gesher
mentionne que celui-ci « s’engage à
soutenir toutes les positions exprimées
par le Premier ministre en coordination
avec les États-Unis qui sont directement
ou indirectement liées à la question de
la mise en œuvre de la souveraineté » –
soit l’annexion des territoires et des
colonies de Cisjordanie.
La formulation ici
est « tout sauf aléatoire », note Noa
Landau, « choisie par les meilleurs
experts politiques » pour atteindre « la
plus grande ambigüité sur les ambitions
de Netanyahou concernant l’annexion de
la Cisjordanie ». En d’autres mots, «
même si Netanyahou décide d’annuler, de
reporter ou de limiter l’annexion,
Gesher est obligé de le soutenir. Toutes
les options restent ouvertes ».
Peut-être qu’après
le 1er juillet Israël ira effectivement
de l’avant avec l’annexion officielle de
près de 30 pour cent de la Cisjordanie.
Mais il est possible qu’en fin de
compte, cela soit moins qu’une annexion
formelle – quelque chose qui semblera
plus ambigu et confus aux yeux du reste
du monde, ou du moins qui pourra être
présenté comme tel, mais qui restera
néanmoins un cadeau pour les colons (et
la base évangélique de droite de Trump).
Et si la seule
perspective, ou menace, d’annexion
servait à dissimuler un renforcement des
faits sur le terrain, tout comme les
spéculations sur le contenu du plan de
Trump ont permis de détourner
l’attention du rythme implacable des
mesures concrètes, signalant haut et
fort que la cible est la lutte nationale
palestinienne ?
Annexion de
facto ou de jure
Dans son analyse de
la clause Likoud-Gusher, Noa Landau
souligne que même si « Netanyahou
retarde et bloque l’annexion de jure,
l’annexion de facto a déjà eu lieu sur
le terrain ».
Elle poursuit : «
Israël opère effectivement dans les
colonies et dans la zone C – qui est
entièrement sous contrôle civil et
sécuritaire israélien – comme si elles
faisaient partie intégrante d’Israël
depuis longtemps. Alors pourquoi ne pas
simplement continuer à annexer de facto
tout en évitant le drame international
que créerait une annexion officielle ?
Ainsi, Netanyahou pourrait avoir le
beurre et l’argent du beurre, comme à
son habitude ».
Photograph: Lior
Mizrahi/Getty Images
Cette approche
dépasse cependant largement Netanyahou ;
elle a dominé la pensée stratégique
israélienne depuis 1967. Comme je l’ai
écrit dans mon livre
Cracks in the Wall, « le fait que,
jusqu’à maintenant, la Cisjordanie
demeure annexée de facto, plutôt que de
jure, est – paradoxalement – l’une des
raisons pour lesquelles Israël a pu
faire avancer son projet de colonisation
aussi efficacement ».
C’est la situation
avantageuse que d’anciens responsables
militaires israéliens opposés à
l’annexion de jure souhaitent maintenir.
L’un de ces groupes, les Commandants de
la Sécurité d’Israël, a explicitement
mis en doute la sagesse de l’annexion de
territoires « où nous jouissons déjà de
la liberté d’action militaire et civile
».
Comme l’a exprimé
Hagai El-Ad, directeur du groupe
israélien de défense des droits humains
Btselem, dans une critique cinglante : «
Les Israéliens n’ont pas besoin de
l’annexion pour continuer à faire
avancer avec succès, à zéro coût, le
projet israélien sur le dos des
Palestiniens ».
Le mantra des
deux États
Depuis des
décennies, le « processus de paix » a
été utilisé pour rejeter les appels à la
responsabilité – un bouclier sous lequel
Israël a ancré constamment son annexion
de facto de la Cisjordanie.
Aujourd’hui, «
préserver la solution à deux États »
pourrait être le mantra qui permettra
d’accueillir avec un immense soulagement
tout ce qui ne serait pas une annexion
formelle – encore une autre diversion
alors qu’Israël étend les colonies,
fragmente le territoire palestinien et
jouit de tous les fruits de l’annexion
sans payer le prix de la réaliser
formellement.
Tsafrir Abayov/AP/SIPA
Une annexion
esquivée, ou « modeste » comporte un
risque supplémentaire, à savoir que de
nombreuses personnes seront prêtes à
accueillir, ou justifier et minimiser,
des mesures partielles.
David Makovsky et
Dennis Ross, tous deux anciens
conseillers au Département d’État, ont
appelé Netanyahou à éviter d’annexer «
toutes les colonies », par opposition à
« l’annexion de zones désignées en bloc
», affirmant que cette dernière option «
ne fermerait pas la porte à la solution
à deux États ».
Pour ceux dont le
cadre de pensée n’est pas ancré dans un
engagement en faveur des droits des
Palestiniens ou du droit international,
la seule violation israélienne qui ne
peut apparemment pas être pardonnée est
celle qui aboutirait à la destruction de
la perspective de deux États, une
perspective dont on ne se rapproche
jamais.
Ce qu’il faut, ce
n’est pas un nouveau seuil au-delà
duquel Israël serait (ou non) tenu de
rendre des comptes, un autre marqueur
au-delà duquel la « solution à deux
États » deviendrait irréalisable (comme
si la trajectoire d’Israël depuis un
demi-siècle dans le territoire
palestinien occupé n’était pas une
preuve suffisante).
Les graves
violations israéliennes du droit
international et des droits humains et
les politiques d’apartheid ont persisté
en grande partie en raison d’un manque
de responsabilité internationale. Mettre
fin à cette impunité est impératif. Les
gouvernements doivent traiter le statu
quo – annexion formelle ou non – avec la
sévérité qu’il mérite depuis longtemps.
Les vues exprimées
dans cet article sont celles de l’auteur
et ne reflètent pas nécessairement la
politique éditoriale de Middle East Eye.
Ben White
Ben White est
l’auteur de Israeli Apartheid: A
Beginner’s Guide (L’apartheid israélien.
Guide du débutant), et Palestinians in
Israel: Segregation, Discrimination and
Democracy (Palestiniens en Israël.
Ségrégation, discrimination et
démocratie). Il écrit dans le Middle
East Monitor et ses articles ont été
publiés par Al Jazeera, al-Araby,
Huffington Post, The Electronic
Intifada, The Guardian, et d’autres.
Traduction :
MUV pour l’Agence Media Palestine
Source :
Middle East Eye
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