Opinion
Regard syrien sur les Kurdes et
le mouvement du Hamas
Bahjat Sleiman
Vendredi 17 octobre 2014
Après
plus d'un mois de raids aériens menés
par les USA et leurs alliés contre Daech
[EIIL ou ISIS] en Irak et en Syrie,
nombre d’observateurs font remarquer
l’effet inverse sur le terrain. Daech
avance et occupe encore plus de villes
et de villages notamment dans la région
d’Al-Anbar en Irak et dans le nord de la
Syrie, tandis que l’Armée arabe syrienne
et les Kurdes syriens du Nord, hommes et
femmes, sont en passe d’entrer dans la
légende.
Et après les massacres de Jisr al-Choughour,
de Khan al-Assal, de Homs, de Hama, de
Lattaquié, de Houla, de Adra… voici venu
le « massacre programmé » de Aïn al-Arab
[Kobané]. Une liste interminable et
terrifiante qui retrace le parcours
infernal de monstres que certains
dirigeants et médias osent encore
qualifier de « révolutionnaires », de
« rebelles » et, plus récemment,
d’ « opposants modérés » à entraîner et
à armer par les Saoudiens et les Turques
qui se disputent ce privilège auprès des
USA, les premiers pour écraser toute
velléité d’autonomie kurde et
s’approprier des terres syriennes, les
deux pour enfin faire tomber le
gouvernement syrien et s’assurer le
leadership d’un monde qu’ils qualifient
de sunnite, le tout dans le cadre de la
bataille mondiale pour les voies
d’acheminement du pétrole et le gaz…
Les Syriens n’ont pas attendu de voir
les gens de Aïn al-Arab sacrifier leur
vie, avec un héroïsme et une bravoure
qui stupéfient le Monde, pour
reconnaître que leurs compatriotes
kurdes méritent la terre sur laquelle
ils vivent, qu’ils défendent et
cultivent.
Ils la méritent tout autant que les
autres « ethnies » de la Syrie actuelle
issue du « découpage franco-ottoman »;
un découpage que les gouvernements turcs
et français aimeraient bien achever si
l’on en croit les déclarations du
Président français, seul chef d’État [1]
à soutenir l’idée d’une zone tampon en
territoire syrien proposée par M.
Erdogan, désormais surnommé « le pilleur
d’Alep » [2].
Ils sont des « Syriens kurdes » comme
d’autres sont des Syriens levantins,
assyriens, arméniens, turkmènes,
tcherkesses… répartis sur toute la terre
syrienne et vivant « ensemble » jusqu’à
ce que l’on décide de revenir la saigner
et la re-découper pour se saisir, chacun
à sa manière, de sa part du butin
consentie par le maître US drapé dans
son odieuse démo-crassie.
Mais cette fois-ci, le découpage de la
Syrie devait se concrétiser sur des
bases confessionnelles et il n’était
plus possible, comme du temps de MM.
Sykes et Picot, de se contenter d’user
d’une règle et d’un crayon pour
disloquer d’un trait, bien droit, une
terre abritant des populations issues de
civilisations millénaires qui se sont
mélangées sans pour autant se renier.
La manœuvre ayant lamentablement
échoué en Syrie pour des raisons que
nous a expliquées le Général Amin Hoteit
dès Juin 2012 [3], pourquoi ne
pas tenter un découpage sur des bases
ethniques ?
Et nous voilà repartis pour un tour en
ciblant les Kurdes de Syrie après avoir
poussé à l’exode les Arméniens d’Alep et
de Kessab dont les grands parents
avaient échappé au nettoyage ethnique
des Arméniens, et aussi des Assyriens et
des Kurdes, par les « Jeunes turques »
pendant la première guerre mondiale
[Voir le témoignage du Dr Jacob Künzler,
chef de l’hôpital missionnaire de Urfa,
à défaut d’autres sources historiques].
Épisodes douloureux que les jeunes
écoliers syriens n’apprennent pas dans
leurs manuels d’Histoire, sans doute
parce que les rancœurs du passé ne sont
pas nécessairement utiles pour avancer
vers l’avenir dans un pays où
pratiquement chaque région est à l’image
de toute la Syrie : une mosaïque,
patinée par le temps, de toutes ces
civilisations qui se sont succédé sans
jamais vraiment la quitter.
Les Syriens savent donc que le Nord
syrien compte une certaine concentration
de Kurdes, les uns présents depuis
toujours, les autres venus de Turquie se
réfugier en Syrie pour fuir la
sauvagerie ottomane, comme tant d’autres
peuples dans la tourmente qui n’ont
jamais eu à se loger sous des « tentes
pour réfugiés », ni à attendre l’aumône
des aides internationales pour se
remettre debout ; les écoles, les lieux
de culte, les maisons villageoises et
citadines ayant ouvert leurs portes pour
les accueillir, le temps qu’ils se
fondent, ici ou là, dans la mosaïque
syrienne ou qu’ils se dirigent vers
d’autres cieux.
Concernant les Kurdes, il suffit de se
remémorer le témoignage de M. Ghaleb
Kandil [4] parlant d’Abdullah
Öcalan, chef incontesté pour une
majorité de Kurdes malgré tous les coups
tordus du clan Barzani en Irak. En voici
un extrait :
« J’ai décidé de quitter la Syrie parce
que ma présence est désormais un fardeau
pour l’État syrien et son valeureux
Président Hafez al-Assad. Je sais que
les menaces turques sont sérieuses,
planifiées par l’OTAN et Israël. Je suis
convaincu que tu penses aussi que si
nous perdons la Syrie, cette citadelle
libre en ces temps difficiles, tous les
peuples du Moyen-Orient auront à en
souffrir et toutes les équations seront
déséquilibrées en faveur des sionistes
et des colonialistes ». Étant
parfaitement d’accord avec ses
déductions, je l’ai interrogé sur les
solutions alternatives qu’il
entrevoyait. Il m’a répondu : « Comme tu
le sais, au niveau international la
situation actuelle ne nous est pas
favorable en raison de la rupture des
grands équilibres depuis l’effondrement
de l’Union soviétique et de
l’activisme sioniste partout dans le
monde. En ce qui me concerne, il est
essentiel que je délivre la Syrie, son
Président et son projet libératoire pour
la région, du poids de notre présence.
Le Président continue à nous soutenir
malgré les pires difficultés en la
circonstance. Mon peuple et moi-même
resterons reconnaissants à la Syrie et à
ses autorités notre vie durant. Je dis
cela car je ne mesure pas notre
situation sous l’angle des seules
revendications des Kurdes en Syrie, ces
problèmes trouveront facilement leurs
solutions et se résoudront par le
dialogue. Non, je mesure notre situation
du point de vue de tous les Kurdes de la
région et dont les centres de gravité se
situent en Turquie et en Irak. Au cours
des trente dernières années, la Syrie a
assumé avec honneur une lourde charge
politique, économique, sécuritaire et
stratégique. Mon peuple est à jamais
dépositaire de ce fait et nul ne pourra
prétendre qu’Abdullah Öcalan a autorisé
un Kurde à porter atteinte à la Syrie ».
Cette longue introduction pour bien
situer le problème soulevé par
cet article de M. Bahjat Sleiman,
ex-ambassadeur de Syrie en Jordanie,
déclaré persona non grata à la veille
des élections présidentielles syriennes
du 28 Mai 2014 arbitrairement interdites
dans le royaume, comme dans nombre
d’autres pays prétendument amis de la
Syrie. Il nous rappelle qu’une patrie ne
se fonde pas sur une confession ou une
ethnie et que le patriotisme ne rime pas
nécessairement avec nationalisme. [NdT].
Ceux qui s’en prennent aux Kurdes en
tant que « kurdes » parce que certains
de leurs dirigeants, en Syrie, ont
failli à leur devoir national et ont
accepté le plan ourdi par les ennemis de
leur patrie syrienne, devraient se
rappeler
que des dizaines
de milliers de
Syriens,
arabes,
ont
renoncé à ce même
devoir et ont accepté ce même plan.
Pour autant,
devons-nous généraliser et en accuser
tous les Syriens ? Certes non !
Une telle
accusation généralisée
est injuste tout
autant que celle qui concerne les
Palestiniens en tant que
« palestiniens » parce que certains de
leurs dirigeants politiques, du Hamas,
ont pris position contre le peuple
syrien et ont rejoint le bloc ennemi de
la République arabe syrienne formé par
des pays occidentaux, régionaux et des
« A’rabs » [voir le sens de ce terme
plus loin, NdT].
Il en est de même
des généralisations accusant tous les
Arabes d’être contre la Syrie et les
Syriens parce que leurs régimes
officiels et leur Ligue « arabe » ont
été le fer de lance de l’agression
sauvage du terrorisme sanglant
contre la Syrie.
Car il est
nécessaire de toujours nous rappeler que
dans cet Orient arabe, nous sommes les
vrais arabes et que nous sommes
enracinés dans cette terre depuis des
milliers d’années, tandis que les
« colonisés gardiens du gaz et du
kérosène » sont des « A’rabs », non des
Arabes. Ce sont ceux dont le Très Haut a
dit : «
Les Bédouins [Al-A’rabs dans le texte de
la sourate Al-Tawbah] sont plus endurcis
dans leur impiété et dans leur
hypocrisie » [5].
Et puis, il y a
deux autres faits que tout le monde doit
savoir :
-
Le commandant de l'attaque terroriste
daechienne [terme
dérivé de Daech] sur Aïn al-Arab est
kurde et quatre cents terroristes parmi
ses dawaech [pluriel du terme : membre
de Daech], qui participent actuellement
à l’attaque, sont kurdes.
-
L’appellation « Kobané »
pour désigner Aïn al-Arab n’est pas un
terme kurde. C’est un terme anglais
datant du temps des Britanniques et qui
désignait la gare ferroviaire de la
société chargée de gérer le pipeline du
coin [Société : COMPANY]. Avec le temps,
c’est devenu « KOBANY ».
Une dernière remarque
qu’il ne nous faudrait pas oublier :
-
Ṣalāḥ ad-Dīn al-Ayoubi [Saladin] était
un Kurde syrien avant de se rendre en
Égypte
-
Ibrahim Hanano
était un Kurde syrien
-
Youssef al-Azmeh
était un Kurde syrien
-
Le Cheikh Ahmed Kuftaro était un Kurde syrien
-
Cheikh Said
Ramadan Al Bouti était un Kurde syrien
Dr Bahjat Sleiman
16/10/2014
Source :
Sham Times
http://www.shaamtimes.net/news-details.php?id=15282
Traduction de
l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Notes :
[2] Syrie : Le
pilleur d’Alep !
http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Bassel_Dayoub.210213.htm
[3]
Les grandes
puissances veulent la guerre civile en
Syrie mais ne parviennent pas à
l’imposer
http://www.mondialisation.ca/les-grandes-puissances-veulent-la-guerre-civile-en-syrie-mais-ne-parviennent-pas-l-imposer/28132
[4] Syrie et Öcalan :
La citadelle des hommes libres !
http://www.mondialisation.ca/syrie-et-ocalan-la-citadelle-des-hommes-libres/5307889
[5] Sourate 9 verset
97 : AL-TAWBAH (LE DÉSAVEU ou LE
REPENTIR)
http://islamfrance.free.fr/doc/coran/sourate/9.html
Le sommaire de Mouna Alno-Nakhal
Le
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