Syrie
ONU : Réponse de la Syrie au projet de
résolution initié par la France et soldé
par un quatrième véto sino-russe
Bachar al-Jaafari
Samedi 24 mai 2014
Le 22 mai 2014,
à l’initiative de la France, un projet
de résolution visant à renvoyer « le
dossier syrien » au procureur de la Cour
Pénale Internationale [CPI] a été soumis
au Conseil de sécurité des Nations Unies
[1][2].
Pour mémoire,
voici la réponse du Docteur Bachar
al-Jaafari, délégué permanent de la
Syrie auprès des Nations Unies.
Au nom du
gouvernement de la République arabe
syrienne, j’exprime nos sincères
condoléances au gouvernement et au
peuple du Nigéria pour le malheur qui a
frappé ses deux villes, Kano et Jos,
suite aux attentats terroristes qui ont
emporté la vie de centaines de civils
innocents, ainsi que toute notre
sympathie aux familles des victimes. Et
si c’est par ces mots que je prends la
parole, c’est bien parce que nul, autour
de cette table ronde, ne peut ressentir
l’atrocité du terrorisme autant que le
peuple syrien.
Monsieur le
Président, les modalités d’approche de
la situation syrienne, par certains
États présentateurs de ce projet de
résolution, me rappellent « L’Étrange
cas du Dr Jekyll & M. Hyde » de
l’écrivain écossais Robert Stevenson.
Car, ils ont beau cherché à jouer le
rôle du bon docteur Jekyll en clamant
leurs principes philanthropes, c’est en
réalité le monstrueux M. Hyde qui les
anime lorsqu’ils s’associent pour
soutenir le terrorisme qui frappe mon
pays et collaborent pour saigner
davantage de Syriens, tout en se
lamentant face à l’hémorragie !
Monsieur le
Président, les mains de M. Hyde
ruissellent du sang des Syriens, alors
même qu’il se prétend « Ami du peuple
syrien ». J’en veux pour preuve les
propos tenus récemment, au Caire, par
l’ancien chef de la dite « Coalition de
l’opposition syrienne » [3], lequel
vient d’être évoqué par mon collègue
représentant la Fédération de Russie. Je
cite : «
La moitié de ceux qui se présentent
comme étant les amis de la Syrie ne sont
que des imposteurs, des menteurs et des
hypocrites. Ce sont eux qui nous ont
précipités dans la situation où nous
sommes… L’Occident cherche la partition
de la Syrie ! ». Voilà ce qu’a
déclaré l'ancien chef de la « coalition
de Doha», notoirement fabriquée,
conditionnée et emballée dans certaines
capitales bien connues de tous.
Les hasards du
calendrier font qu’aujourd’hui coïncide
avec ce jour de 1945 où la délégation
syrienne, participant à la Conférence de
San Francisco pour la mise en place de
la Charte de l’Organisation des Nations
Unies, a réussi à forger l’article 78
garantissant que la Syrie ne saurait
être soumise à la tutelle française [4].
Le résultat de l’adoption de cet
article, Mesdames et Messieurs, fut que
les forces d’occupation françaises
bombardèrent le Parlement syrien, le 29
mai 1945, et massacrèrent toute sa
garnison [5] !
Aujourd’hui, vu les
circonstances, et étant donné
l'imprescriptibilité des crimes
de guerre [6], contrairement à ceux que
nous venons d’entendre, nous appelons le
Conseil de sécurité à demander des
comptes au gouvernement français pour
ses crimes contre les Syriens et les
peuples des nombreux pays que la France
a occupés et dont elle a pillé les
ressources.
Et, de notre côté,
nous demandons au gouvernement français
de présenter des excuses publiques pour
l’ensemble des exactions de son « ère
colonisatrice » ainsi que le versement
d’indemnités au peuple syrien. De plus,
nous lui affirmons que le peuple syrien
n’est pas prêt d’oublier l’accord de
Sikes-Picot qui a abouti à ce que la
France arrache le Sandjak d'Alexandrette
à la Syrie, pour le céder à la Turquie,
dans l’espoir qu’elle renonce à entrer
en guerre aux côtés de l’Allemagne ainsi
qu’ils l’ont prétendu ; comme il
n’oubliera pas que c’est la France qui a
introduit le terrorisme nucléaire
israélien dans notre région au cours des
années cinquante du siècle dernier.
Monsieur le
Président, la première donnée qui est au
fondement juridique du droit
international est qu’il régit des
rapports entre États souverains,
lesquels États assument la
responsabilité exclusive du droit
interne reposant sur une autorité
publique, garantie par leur système
juridique qui en en assure le respect
sur leurs territoires respectifs. Par
conséquent, et suite aux événements
malheureux vécus par mon pays, le
gouvernement syrien a pris une série de
mesures visant à poursuivre les
responsables, à les juger, et à les
condamner s’il y a lieu. Un Comité
national, chargé d’enquêter sur ces
événements, travaille conjointement avec
la justice syrienne depuis le début de
la crise sur des milliers de cas. Plus
précisément, 30 000 enquêtes, procès, et
jugements ont eu lieu ou sont en cours.
Ce qui confirme la
volonté et la capacité du gouvernement
syrien à assurer la justice sur son sol,
et contredit n’importe lequel des
prétextes évoqués pour justifier
l’ingérence de n’importe quel organe
judiciaire international, dans le but de
s’accaparer des compétences qui relèvent
de la justice nationale. D’autant plus
que la crise syrienne a démasqué
l’étendue des « deux poids deux
mesures » dominant l’ONU, devenue un
outil entre les mains de certains États
pour en agresser d’autres, au nom de la
Justice et de la loi !
C’est dans l’esprit
même de cette dernière dérive qu’un
groupe de pays membres a pris
l’initiative de présenter le projet de
résolution qui vient de nous être
soumis. C’est un texte politique et
discriminatoire, un texte d’ingérence
par excellence ! Il a pour but de
parasiter les prochaines élections
présidentielles, de rebattre les cartes,
d’attiser la crise, et de répondre à
certains objectifs médiatiques pour la
façade, en plus de chercher à entrainer
le Conseil de sécurité dans le cortège
de l’hystérie haineuse dont ce groupe
témoigne à l’égard de l’État et du
peuple syrien, sans oublier les
tentatives désespérées de certains pour
leur imposer une tutelle révolue.
Nous disons qu’en
plus de mépriser la volonté des citoyens
Syriens, ce texte est en flagrante
contradiction avec les déclarations
répétées du Conseil de sécurité qui
s’est fortement engagé à respecter la
souveraineté de la République arabe
syrienne, son indépendance, l’unité et
l’intégrité de son territoire, tout en
insistant sur une solution politique à
la crise sous direction syrienne.
Nous disons aussi que
tous les arguments présentés par les
États qui
appellent le Conseil de sécurité des
Nations Unies à renvoyer le dossier
syrien au procureur de la CPI, ne sont
que des allégations fallacieuses et
politiciennes, totalement contraires à
la vérité. Et si elles sont appuyées par
diverses organisations onusiennes, il
faut savoir que ces organisations ont
sciemment ignoré les informations, les
plaintes, les preuves et comptes-rendus
documentés, avancés par le gouvernement
syrien ; ce qui témoigne de leur
participation effective aux agendas des
États engagés dans la campagne
d’agression contre mon pays.
Monsieur le
Président, la
Syrie croit en la justice pénale
internationale et a été l’un des acteurs
convaincus de la « Conférence de Rome »
qui a travaillé à définir les règles de
fonctionnement de la CPI. Elle a été
l’un des premiers signataires du
« Statut de Rome ». Mais si elle ne l’a
pas ratifié, c’est bien parce que sa
vision de cette justice était qu’elle
devait être nécessairement générale,
éloignée des doubles standards, de toute
politisation et de toute discrimination.
Partant de ces convictions, elle avait
demandé à inclure le « crime
d’agression » puisqu’il est la source de
tous les autres crimes. Mais cela lui
avait été refusé, d’où son abstention.
Et aujourd’hui,
concernant la Syrie, le gouvernement de
la République arabe syrienne vient
affirmer que le respect de cette justice
internationale exige :
Premièrement :
De juger la responsabilité des
gouvernements de la Turquie, de l'Arabie
Saoudite, du Qatar, de la France,
d’Israël, et d’autres pays qui ont
incité à la violence publique et au
terrorisme en Syrie, de n’importe quelle
manière que ce soit, y compris,
l’accueil, le financement, l’armement,
ou l’entrainement des mercenaires
terroristes venus par milliers de tous
les coins de la planète, et sur les
crimes desquels ils ont fermé les yeux
allant jusqu’à les présenter comme des
« opposants modérés » !
À ce propos, je porte
à votre attention une information donnée
par le chef d’état-major des forces
aériennes libyennes. Il a déclaré, hier
[21 mai], que l’organisation Al-Qaïda de
Libye, et la faction des Frères
Musulmans en Libye, avaient organisé 224
voyages aériens à partir de l’aéroport
de Tripoli, pour transporter ce type de
mercenaires vers la Syrie via la
Turquie !
Monsieur le
Président, aucune justice internationale
n’est possible, tant que certains États
continueront à violer les lois
internationales et les résolutions du
Conseil de sécurité en rapport avec la
lutte contre le terrorisme, sans aucune
limite ! Le terrorisme est un crime, qui
que soit le criminel, et quel que soit
son objectif. Et tout comme le
terrorisme pratiqué par Boko Haram au
Nigéria est condamnable et doit être
combattu, il est impératif de combattre
ses homologues couvés et entraînés par
Israël dans
la zone de séparation entre Israël et la
Syrie, sur le Golan occupé, avec
l’assistance d’un pays arabe voisin, ce
que nous regrettons.
Quant à la Turquie,
est-il besoin de rappeler qu’elle se
charge de la même besogne dans le Nord,
tandis que nombre de gouvernements
arabes et occidentaux arment ces
mercenaires terroristes au vu et au su
des Nations Unies ?
Ils ont commis les
pires crimes qui pèseront lourd sur la
conscience de l’humanité, leur dernier
ayant consisté à priver Alep, une ville
de trois millions d’habitants, d’eau
potable et de toute possibilité
d’assainissement ! Nous aurions aimé que
les États qui cherchent à envoyer l’État
syrien devant la CPI avancent le moindre
projet pour lutter contre le terrorisme
dont souffrent les Syriens.
Deuxièmement :
De juger les crimes de guerre, les
crimes contre l’humanité, les actes
d’agression et d’annexion largement
documentés, commis par les autorités
d’occupation israéliennes dans les
territoires arabes occupés, y compris le
Golan, depuis bientôt sept décennies,
avec le soutien de membres permanents du
Conseil de sécurité ; soutien qui a
permis aux criminels de guerre
israéliens d’échapper à une juste
condamnation et de continuer à bloquer
toute initiative visant à les mettre en
question.
Troisièmement :
De mettre un terme à toutes les
tentatives de contournement des lois
internationales par toutes sortes
d’immunités que se sont octroyées
certaines grandes puissances dans le but
d’échapper à tout questionnement, malgré
leurs violations des Droits humains et
malgré tous les crimes perpétrés, alors
qu’ils sont membres de l’ONU, pour
exécution de leur agenda colonial et de
leurs ambitions hégémoniques.
D’ailleurs, Abu Ghraib, Guantanamo, le
bombardement de l’ambassade chinoise à
Belgrade, les fleuves de sang en Libye,
les prisons secrètes volantes,
l’assassinat de civils innocents par des
drones, les entreprises de mercenaires
telles que Blackwater en Irak, etc,etc,
ne sont-ils pas autant d’exemples
frappants des doubles standards
pratiqués pour échapper à une juste
condamnation ?
Le comble de l’ironie
est atteint lorsque ces mêmes États, qui
se posent en législateurs en dehors de
leurs frontières, imposent des sanctions
à la Présidente du comité national de
secours, en Syrie. Imaginez les
préoccupations humanitaires de ces gens
là ! Je renvoie cette sanction devant la
Secrétaire générale adjointe aux
affaires humanitaires et Coordinatrice
des secours d’urgence de l’ONU, Mme
Valérie Amos, qui connait fort bien
notre compatriote dont le travail nous
honore. Peut-être pourra-t-elle faire
quelque chose.
Ce dernier procédé,
est en lui-même suffisant pour miner la
crédibilité des auteurs de ce projet de
résolution, et témoigne de leurs
intentions malfaisantes et de leurs
motivations belliqueuses.
Et puisque nous
parlons de la sanction dirigée contre la
Présidente du comité national de
secours, rappelons qu’ils avaient usé du
même procédé scandaleux, il y a un an,
contre le ministre en charge de
l’électricité du pays, sauf qu’en ce qui
le concerne nous ne pouvions recourir
qu’au tribunal de Thomas Edison !
Monsieur le
président, une fois de plus, la
délégation de mon pays réaffirme à tous
ceux qui prétendent se soucier de la
Syrie et des Syriens, que la meilleure
façon de les aider est claire et
limpide. Elle consiste à déployer des
efforts sérieux et sincères pour la
lutte contre le terrorisme qui vise son
État et son peuple, et à soutenir les
efforts de ceux qui cherchent une
solution politique conformément au
processus de Genève. Lequel processus
repose sur le dialogue entre les
Syriens, eux-mêmes, pour aboutir au
rejet de la violence et à la formation
d'un gouvernement d'unité nationale,
loin de toutes les tentatives
d’ingérence étrangère de la part de ceux
qui veulent imposer leur propre agenda
ou leur tutelle. Ceux-là ne cherchent
aucun bien, ni pour la Syrie, ni pour
son peuple.
Alors que les Syriens
qui ont décidé de se diriger vers les
urnes pour élire un président, le font
pour protéger leur pays du terrorisme,
du chaos prétendument constructeur, et
des
tentatives visant le concept même
de l’État souverain.
Pour finir, Monsieur
le Président, l’actuel gouvernement de
la France a sans doute mal compris la
célèbre phrase de Jean-Paul Sartre
disant « L’enfer c’est les autres »,
puisqu’il semble croire que l’enfer est
toujours chez les autres, alors que le
philosophe français a voulu aussi dire
que l’enfer c’est peut-être toi ! C’est
peut-être le regard que tu portes sur
les autres ou la manière dont tu
comportes avec autrui…
Le gouvernement français devrait donc se
regarder, il pourrait voir l’enfer en
lui-même, non chez les autres !
Je vous remercie,
monsieur le président.
Dr Bachar al-Jaafari
22/05/2014
Source : Vidéo You
Tube / TV Syria
http://www.youtube.com/watch?v=DrDPq6bzctE
Transcription et
traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Notes :
[2]
Un Texte plus explicite que l’article de
Laurent Fabius dans « Le Monde… des
idées » !
http://www.iccnow.org/documents/PGA_Press_Release_
Syria_Referral_UNSC_FR.pdf
COMMUNIQUE DE PRESSE : Les membres de
PGA appellent le Conseil de sécurité des
Nations Unies à renvoyer la situation en
Syrie au procureur de la Cour pénale
internationale. [19 mai 2014]
[3] معاذ الخطيب: "أصدقاء سورية" كذابون
ومنافقون وهم من أوصلونا إلى ما نحن
عليه!!
http://www.jpnews-sy.com/ar/news.php?id=73654
[4] Article 78 de
la Charte de San Francisco du 26 Juin
1945
http://mjp.univ-perp.fr/traites/onu1945.htm#12
« Le régime de tutelle ne s'appliquera
pas aux pays devenus membres des Nations
unies, les relations entre celles-ci
devant être fondées sur le respect du
principe de l'égalité souveraine. »
[5] Syrie
mandataire
http://fr.wikipedia.org/wiki/Syrie_mandataire
La France et la
Syrie ont signé en 1936 un traité
franco-syrien d'indépendance,
mais dans les faits le mandat a continué
d'exister car la France n'a pas ratifié
le document. La Syrie a déclaré son
indépendance en 1944…
Le 3 janvier 1944, la France reconnaît
officiellement la souveraineté de la
Syrie et du Liban. Néanmoins,
l'affrontement entre Français et Syriens
est proche. Le Baath a
créé des équipes de "Jihad
nationale"
dont le rôle est de mobiliser les bases
populaires contre l'autorité française.
Le 29
mai 1945,
après dix jours de manifestations
ininterrompues, les Français, sous
l'ordre du général Fernand Olive, dit Oliva-Roget19bombardent
Damas pendant 36 heures d'affilée. Les
morts et les blessés se comptent par
centaines20.
Une partie de la ville est détruite par
ce bombardement dont le parlement
syrien, et le quartier environnant qui
est maintenant surnommé Hariqa,
l'Incendie21.
[6] Convention sur l'imprescriptibilité
des crimes de guerre et des crimes
contre l'humanité
http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/WarCrimes.aspx
Le sommaire de Mouna Alna-Nakhal
Le
dossier Syrie
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