Syrie
Qui décidera de
l'avenir de la Syrie... et au-delà ?
Aziz Pahad
Mercredi 6 novembre 2013
Par Aziz Pahad
(The Thinker - Afrique du sud – extraits
- octobre 2013)*
Les peuples à travers le monde et de
nombreux gouvernements rejettent le
concept de
« l’exception américaine » et
exigent d’authentiques relations
multilatérales.
Dans un article publié dans le
Business Day, le 16 septembre 2013,
Nicole Fritz, directeur du
Centre des Conflits pour l’Afrique australe
(Southern
Africa Litigation Centre) fournit
une interprétation de la politique
étrangère qui est, au mieux, naïve, au
pire, une analyse superficielle du
sujet, tout comme le sont les
interprétations similaires de nombreux
médias.
Fritz reconnaît que « il
existe de trop nombreuses inconnues, une
absence de preuves irréfutables quant à
l’auteur des attaques, pas d’information
sérieuse quant aux bénéficiaires de ces
attaques » mais elle n’en continue
pas moins de prendre à parti le
Président Jacob Zuma pour son message
aux représentants du Commonwealth dans
lequel il les appelait à ne
« pas rester silencieux quand un pays
était bombardé sous nos yeux ».
Fritz en concluait, hâtivement, que ce
message traduisait une rhétorique
anti-impérialiste.
Fritz passe sous silence le fait
indéniable que Zuma exprimait là le
sentiment d’une majorité de gens et
d’Américains qui pressentaient qu’une
attaque imminente se préparait avec les
conséquences désastreuses et dangereuses
que des frappes militaires
engendreraient pour la région et la paix
et la sécurité internationales.
Militarisation de la diplomatie
Il est à peu près certain qu’Obama
aurait perdu le vote au Sénat et au
Congrès de la même manière que Cameron a
perdu devant le Parlement britannique,
miroir de l’opinion publique de la
Grande-Bretagne, lors du vote de sa
résolution pour des sanctions
militaires contre la Syrie. Défaite
cinglante d’un gouvernement de ce pays
depuis des décennies !
François Hollande est isolé en France et
dans les autres pays européens, y
compris l’Allemagne opposée à toute
action militaire. Sur notre continent,
les anciens chefs d’Etat et de
gouvernement ont publié une lettre
ouverte ; le
Département des Relations
Internationales et de Coopération
(DIRCO) a fait connaître sa vive
opposition, ainsi que les partenaires de
l’Alliance en Afrique du sud. Fritz
semble ignorer que le Pape, des chefs
religieux et des syndicats se sont
élevés contre toute action militaire US.
L’Afrique du sud a rejoint des millions
de gens dans leur opposition à la
militarisation de la diplomatie.
(…) En réalité, l’opinion publique a,
avec justesse, émis des doutes sur les
piètres allégations que le gouvernement
d’Assad avait fait usage d’armes
chimiques.
Fritz laisse de côté les rapports qui
montrent que :
-
En avril 2013,
les forces d’Assad ont été accusées
d’avoir eu recours à des armes
chimiques à Alep alors qu’un rapport
d’une enquête onusienne
reconnaissait que
« les rebelles étaient responsables
de cette attaque » ;
-
Les 2 otages
belge et italien, invités par les
rebelles, récemment libérés par une
faction extrémiste qui les avait
kidnappés, ont rapporté qu’ils
avaient entendu une conversation qui
confirmait que les extrémistes
étaient à l’origine de l’attaque ;
-
Des agents des
services secrets US ont écrit à
Obama assurant que cette attaque à
Damas était l’œuvre des extrémistes;
-
Des rapports
sérieux montrent que les extrémistes
ont reçu des armes chimiques
d’Irak, de Libye et d’autres pays ;
-
Six extrémistes
sont devant les tribunaux en Turquie
pour possession d’armes chimiques et
d’autres doivent être jugés pour les
mêmes faits.
-
Plus de 130 000
personnes ont été tuées dans
ce conflit le plus sanglant des
dernières décennies ; 9 millions de
Syriens ont été déplacés à
l’intérieur ou sont réfugiés; il y a
eu des destructions massives
d’infrastructures et de biens.
Tout cela sans utilisation d’armes
chimiques.
-
La Russie a
fourni des preuves indéniables au
Conseil de sécurité de l’ONU que les
extrémistes possèdent des armes
chimiques.
Les experts de l’ONU ont confirmé que le
gaz sarin avait été employé lors de
l’attaque sur Damas, mais
l’identification des coupables est hors
de leur mandat. Mais, une fois de plus,
une opération de propagande bien
orchestrée a été lancée pour montrer que
ce dernier rapport attestait que le
gouvernement syrien était le coupable.
Les ministres des Affaires étrangères
français, britannique, US et le Premier
ministre israélien, Netanyahou, ont
conduit la charge pour justifier une
intervention militaire en Syrie.
Guerre civile à outrance
(…) La
« Coalition des Amis de la Syrie »
comprenant les USA, la Grande-Bretagne,
la France et leurs alliés dans la région
s’est mise à armer, entraîner
« l’Armée syrienne libre » et la
Coalition Nationale Syrienne (CNS)
et à leur fournir un soutien
logistique. Toutes les tentatives pour
unir les différentes forces sous un
commandement ont échoué. La CNS a été
remplacée par un groupe disparate du nom
du
Conseil National Syrien.
Des informations récentes révèlent que
quelque 200 agents de la CIA arment,
entraînent et équipent
« une force modérée » qui est
entrée en Syrie par la Jordanie. Cela
pour faire accroire naïvement que cette
force constituera le noyau d’une
rébellion armée qui viendra à bout des
forces d’Assad et des extrémistes, en
provenance de Libye, d’Afghanistan,
d’Irak, du Yémen et de Tchétchénie etc…Selon
une étude récente
(IHS Jane’s), on estime qu’il y a
10 000 djihadistes, entre 30 et 35 000
« islamistes » purs et durs, et
quelque 3000
« islamistes modérés » au combat en
Syrie. Les combattants nationalistes ou
non-confessionnels constituent une
minorité.
La
« Coalition des amis de la Syrie »
prédisait que le régime d’Assad
tomberait dans les six mois grâce à une
combinaison de sanctions et de rébellion
armée. Près de deux ans et demi sont
passés, avec les conséquences
catastrophiques que l’on sait, et tout
indique que, non seulement le régime d’Assad
survit, mais qu’il est en train de
gagner la bataille militaire. Ce qui
veut dire que la majorité de la
population syrienne est contre cette
guerre civile à outrance et qu’elle
soutiendra le régime pour défaire les
extrémistes.
« Détruisez le village pour sauver le
peuple ».
(…) Les menaces belliqueuses de certains
membres permanents du Conseil de
sécurité et leurs efforts pour imposer
une résolution unilatérale basée sur
l’application du Chapitre VII
(qui autorise le recours à la force)
sont contreproductives et doivent être
rejetées. Toute agression militaire
prise en absence d’une justification de
défense légitime ou d’une décision du
Conseil de Sécurité de l’ONU est une
violation de la Chartre des Nations
unies et du droit international.
C’est aussi une occasion pour lancer une
campagne pour un Moyen-Orient dépourvu
d’armes de destruction massive, qui doit
aussi inclure Israël et ses centaines de
têtes nucléaires et un large stock
d’armes chimiques. Israël a sans
impunité utilisé du phosphore blanc
contre la population civile dans la
bande de Gaza. Mais, sans surprise
aucune, les trois grandes puissances
occidentales n’ont pas été offusquées
devant cet acte criminel.
(…) Il est triste de constater que les
Etats-Unis n’ont pas compris quel était
leur rôle
(après la fin de la guerre froide)
dans ce nouvel ordre mondial et il y a
eu un manque de cohérence stratégique et
de consistance dans la politique
étrangère US.
(…) La politique des différentes
administrations US a été fondée sur une
définition étroite des intérêts
nationaux qui exclut les notions
d’intérêts, valeurs et responsabilités
partagés. Les Etats-Unis en proclamant
leur
«exception» ont décidé
unilatéralement d’être le gendarme du
monde pour mettre en vigueur
« la moralité et la démocratie » et
ils se sont servis de
«coalitions de volontaires» pour
atteindre ces objectifs au travers
d’interventions militaires.
Les Etats-Unis continuent de vivre sous
le slogan qu’ils ont adopté pour la
guerre au Vietnam:
«Détruisez le village pour sauver le
peuple ». De nombreux gouvernements
rejettent ce concept d’ « exception »
et demandent des relations
multilatérales authentiques.
*Aziz Pahad est un militant de l’ANC qui
a passé 30 ans en exil. Il a été membre
de son Comité National Exécutif, et
vice-ministre des Affaires étrangères de
l’Afrique du sud de 1994- 2008.
Traduction et synthèse : Xavière Jardez
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 6 novembre 2013 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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