Faites connaissance avec les
espions qui injectent de la propagande
israélienne dans votre fil
d’informations
Asa Winstanley
Sima Vaknin-Gil,
maintenant chargée de la gestion du
ministère israélien Anti-BDS,
a été
censeur militaire en chef.
Mardi 30 janvier 2018
Lorsque Sima Vaknin-Gil
a pris la direction générale du
ministère israélien des Affaires
Stratégiques début 2016, un fait
essentiel est passé complètement
inaperçu.
Pendant des années,
elle avait été officier supérieur dans
une agence d’espionnage.
Cela signifie que,
ces deux dernières années, un ancien
officier de renseignement a dirigé la
guerre qu’Israël mène mondialement
contre BDS, le mouvement de boycott,
désinvestissement et sanctions.
Son chef au
ministère est Gilad Erdan, un ami
précieux du Premier ministre Benjamin
Netanyahu.
On a découvert le
mois dernier qu’ils avaient dépensé des
sommes énormes pour créer une propagande
anti-BDS en direction des média sociaux
et des média d’information.
Ce devrait être une
forte sonnette d’alarme pour tous les
défenseurs de la liberté d’expression et
des droits de l’Homme de voir une
campagne pacifique de la société civile
ciblée par des agences d’espionnage
responsables de piratage, de torture,
d’enlèvements et de meurtres en
Palestine et dans le monde.
Renseignement
militaire
Même s’il n’est pas
vraiment secret, le passé de Vaknin-Gil
fut à peine évoqué par les média qui
couvraient sa nomination, se focalisant
davantage sur son rôle précédent en tant
que censeur en chef d’Israël.
En cherchant bien,
on n’a trouvé qu’un article – une
interview de 2015 avec le magazine de
l’industrie de l’armement Israel
Defense – qui parlait de sa carrière
dans le renseignement.
Cette interview a
eu lieu la veille de sa nomination en
tant que haut fonctionnaire dans ce qui
est vraiment le ministère israélien
Anti-BDS. Elle y révélait qu’elle avait
passé plus de 20 ans comme espionne dans
les services de renseignement de l’armée
de l’air israélienne, atteignant le
grade de général de brigade – position
qu’elle a toujours, en parallèle.
Pendant cette
période, déclarait le magazine, elle a
travaillé « étroitement avec les
fonctionnaires américains et les
responsables les plus gradés du
renseignement israélien ».
En 2005, elle a
entamé son parcours, long de dix ans, en
tant que censeur militaire en chef, rôle
qui requerrait une coordination
régulière avec les principaux espions et
les chefs militaires d’Israël, dont le
directeur du renseignement militaire, le
chef du Mossad et le chef d‘Etat-Major
des armées.
« Inonder
internet »
« Je veux créer une
communauté de combattants », a dit
Vaknin-Gil peu après sa nomination au
ministère des Affaires Stratégiques.
Précisant qu’elle
avait l’intention d’ « inonder
internet » avec de la propagande
israélienne ; ce qui serait
officiellement sans lien avec le
gouvernement.
Plus récemment,
lors d’une conférence du Jerusalem
Post, elle a glissé qu’elle venait
« du renseignement dans les FDI »,
l’armée israélienne.
Transmise en direct
sur YouTube, la réunion de décembre 2017
fut un débat sur comment combattre au
mieux BDS.
Vaknin-Gil a
reconnu que les arguments sur les droits
de l’Homme des militants BDS sont si
convaincants pour le peuple en Europe et
aux Etats-Unis que « là-bas, à moins que
nous ne fassions quelque chose, nous
serons perdants ».
Elle a reconnu que
les défenseurs des droits des
Palestiniens « agissaient très, très
intelligemment ».
Les militants de la
solidarité avec la Palestine « se
battent pour conquérir les esprits et
les cœurs dans le peuple », a-t-elle dit
et d’ajouter : « Nous venons juste de
nous réveiller [face à BDS] et nous
devons le faire très vite. »
Le cofondateur du
mouvement BDS, Omar Barghouti, a dit à
The Electronic Intifada qu’Israël
n’avait pas réussi à gagner « la
bataille pour conquérir les esprits et
les cœurs au niveau populaire ».
Selon Barghouti,
Israël « essaie désespérément de
réprimer la formidable croissance du
mouvement BDS pour les droits des
Palestiniens, dans le courant dominant,
en prenant des mesures draconiennes de
répression et en les exportant grâce à
ses lobbies vers les gouvernements
occidentaux.
Les liens
profonds du ministère avec les espions
L’agenda officiel
2016 du ministre des Affaires
stratégiques Gilad Erdan, obtenu par des
militants israéliens et retranscrit par
The Electronic Intifada, confirme ses
liens intimes avec les agences
d’espionnage du pays.
L’agenda indique
une rencontre le 17 janvier avec le chef
du Shin Bet – police intérieure secrète
d’Israël. L’agence a une longue histoire
de harcèlement, d’enlèvements, de
torture et de meurtres de militants
palestiniens.
L’agenda montre
aussi que, le 16 février 2016, Erdan a
déjeuné avec le chef du Mossad, agence
israélienne d’outremer pour l’espionnage
et l’assassinat.
Et le 20 mars,
Erdan a apparemment rencontré le « chef
du 8200 » – référence à l’Unité 8200,
espions israéliens responsables des
efforts pour mener une cyberguerre.
Selon les anciens
combattants de l’Unité 8200, ses
activités comprennent l’écoute illicite
des communications des civils
palestiniens qui vivent sous occupation
israélienne en vue d’une persécution
politique ou pour trouver des
informations embarrassantes personnelles
ou sexuelles qu’on pourrait utiliser
pour les amener à collaborer grâce au
chantage.
Acheter la
presse
Le projet de Vaknin-Gil
d’ « inonder internet » reprend les
efforts secrets précédents pour répandre
la propagande pro-Israël.
En 2014, The
Electronic Intifada a révélé un complot
du site technique Israel21c pour
mettre ses pièces montées en ligne et
dans les média en utilisant des méthodes
trompeuses.
Sous Vaknin-Gil –
experte en censure de la presse – le
ministère essaie de son côté d’acheter
les rédacteurs.
Le chien de garde
des média israéliens, Le Septième Œil
a rapporté le mois dernier, que le
ministère qu’elle dirige a payé à
l’éditeur du quotidien le plus vendu
d’Israël 100.000 $ pour qu’il publie des
articles et des vidéos attaquant BDS en
tant qu’ « antisémite ».
Publiés à la fois
en hébreu et en anglais par Yediot
Ahronot et son site web Ynet, les
articles n’ont pas explicitement dévoilé
que leur contenu était payé.
Un article anglais
a vaguement déclaré que c’était le
résultat d’une « association » entre le
ministère et l’éditeur, tandis que deux
articles hébreux déclaraient qu’ils
étaient dus à une « collaboration » avec
le ministère.
Guerre de
propagande
Le Septième Œil
a expliqué que cette propagande était
« faite pour amener les lecteurs à
soutenir une campagne qu’Israël conduit
contre ses critiques ».
Comme avec
Yediot, le ministère a également
acheté du faux journalisme afin
d’engranger du soutien de la part d’un
public mondial, y compris de la part du
Times of Israel et du
Jerusalem Post.
L’agenda de 2016 d’Erdan
y est conforme, notant pour le 18
juillet une « rencontre avec le
rédacteur du journal The Jerusalem
Post, Yaakov Katz. « L’inscription
n’indique pas le sujet de la
rencontre. »
Les articles payés
faisaient partie d’une plus vaste
campagne du ministère des Affaires
stratégiques, qui comprenait un budget
de 740.000 $ « pour promouvoir le
contenu sur les média sociaux et les
moteurs de recherche, dont Google,
Twitter, Facebook et Instagram », a
rapporté Le Septième Œil.
Le site web
installé par le ministère des Affaires
stratégiques pour aider les utilisateurs
de son appli « Act.il » à diffuser en
ligne la propagande israélienne.
570.000$
supplémentaires ont été dépensés pour
construire Act.il, application anti-BDS,
et pour produire des vidéos en incitant
les supporters à les mettre en ligne.
Selon The Jewish
Daily Forward, l’une des « missions »
assignées aux fantassins de la
propagande israélienne utilisant
l’application Act.il, en novembre
dernier, « était de laisser un
commentaire sur un post spécifique de la
page Facebook du site web
pro-palestinien Electronic Intifada ».
Les opérateurs des
relations publiques d’Israël voulaient
contrer l’impact du reportage de The
Electronic Intifada sur le soutien
du gouvernement néerlandais pour une
promotion par la chaîne de supermarchés
israéliens Shufersal qui profite de la
colonisation.
L’appli. Act.il a
été largement financée par le
milliardaire des casinos Sheldon Adelson
– grand donateur des causes
anti-palestiniennes et de la campagne
présidentielle de Donald Trump.
Le ministère des
Affaires stratégiques a été obligé de
révéler au Septième Œil,
l’information sur le financement en
conformité avec les lois israéliennes
sur la liberté de l’information.
Mais cette
révélation pourrait bien être l’une des
dernières divulgations de ce genre si le
ministère obtient ce qu’il veut.
Ministère opaque
En juillet, le
parlement israélien a donné son
approbation préliminaire à un projet de
loi qui exempte le ministère des
Affaires stratégiques de la loi sur la
liberté de l’information.
Erdan a défendu le
projet de loi, rédigé par son ministère,
déclarant que BDS était un « front comme
tous les autres » et qu’il était
nécessaire de garder « nos modalités
d’action secrètes ».
Une note du 7
novembre dans l’agenda 2016 d’Erdan
suggère que l’ancienne espionne Vaknin-Gil
était directement impliquée dans la
rédaction des lois israéliennes contre
BDS.
M
Au sujet de la
« loi BDS », la note dit : « Rencontre
avec Liat et Sima sur les amendements
législatifs à la Loi Boycott. » (Tout au
long de l’agenda, on fait référence à
l’équipe d’Erdan au ministère par leurs
prénoms.)
Si la loi est
votée, le ministère d’Erdan se
retrouvera dans la même catégorie que le
Mossad et le Shin Bet, qui, eux aussi,
sont exemptés de la liberté de
l’information.
Le ministère d’Erdan
fonctionnant de plus en plus comme une
agence d’espionnage à l’échelle
mondiale, et non comme un département
conventionnel du gouvernement, cela ne
sera peut-être pas une grande surprise.
Haaretz
décrit ce ministère comme « un endroit
dont la terminologie interne vient du
monde de l’espionnage et de la
sécurité ; ses personnages principaux
semblent se voir comme un commando des
affaires publiques engagé sur de
multiple fronts ».
De même qu’il est
dirigé par une espionne, le ministère
est largement pourvu en anciens espions.
Le prédécesseur de
Vaknin-Gil au poste de directeur général
était Ram Ben Barak, ancien directeur
adjoint du Mossad.
Comme l’a révélé
l’année dernière The Electronic
Intifada, le directeur de la section
« renseignement » du ministère est Shai
Har-Zvi, lieutenant colonel dans l’armée
d’Israël et probablement un autre ancien
revenant.
Sans donner de
noms, le journaliste chevronné du
renseignement israélien Yossi Melman
avait précédemment raconté que ce poste
avait été autrefois occupé par « un
ancien enquêteur du système de
sécurité ».
« Sources
secrètes », activités illégales
Melman – qui a
confirmé le dévoilement par The
Electronic Intifada du nom de Har-Zvi –
écrit que le rôle de sa section « est de
récolter de l’information et des données
sur BDS et ses militants auprès de
sources et ouvertes et secrètes ».
Melman précise
également que le ministère a embauché 25
employés « principalement anciens
fonctionnaires du renseignement en
Israël » dont les noms sont classifiés.
Quelles sont ces
« sources secrètes » sur lesquelles
s’appuie le réseau d’espions d’Erdan ?
Comprennent-elles des activités
illégales ? Et vont-elles à l’encontre
de lois d’autres pays dans lesquels il
opère ?
« Nous voulons que
la majeure partie du travail du
ministère soit classifiée », a dit
Vaknin-Gil au parlement d’Israël en
septembre 2016, lorsqu’elle a reconnu
que « une très grande partie de ce que
nous faisons échappe à tout contrôle ».
Erdan a également
reconnu que son ministère se servait
d’associations à l’échelle
internationale – outil historique des
agences d’espionnage israéliennes. « La
plupart des actions du ministère
n’appartiennent pas au ministère, mais à
des organismes du monde entier qui ne
veulent pas que l’on connaisse leur
connexion avec l’Etat », a-t-il dit.
Un ministère rival
a accusé en 2016 Erdan et son fief de
« se servir d’organisations juives
britanniques dans le dos de l’ambassade
[israélienne] de telle sorte que cela
pouvait les mettre en violation avec la
législation britannique ».
On a aussi rapporté
dans Haaretz que le ministère
avait créé une « unité de dénigrement »
pour répandre des mensonges sur les
militants de BDS.
Menaces de mort
et piratage
Dans un article
pour le journal hébreu Maariv,
Melman a fait remarquer les attaques
contre les sites web du Comité National
BDS de Palestine et d’autres
associations de défense des droits,
suggérant que ces attaques pouvaient
être en lien avec le ministère d’Erdan.
Il parle aussi des
menaces de mort visant Nada Kiswanson,
avocate de l’association de défense des
droits de l’Homme Al-Haq, qui avait
travaillé à La Haye pour recueillir des
preuves des crimes de guerre israéliens
pour le Tribunal Criminel International.
Les autorités
néerlandaises mènent des investigations
sur ces menaces. Melman laissait
entendre que celles-ci pouvaient
également être en lien avec le
ministère.
Parallèlement au
harcèlement et au sabotage, les attaques
contre les associations palestiniennes
ont aussi comporté des campagnes de
dénigrement destinées à saper leur
soutien politique et financier.
Al-Haq et Al-Mezan,
autre association de défense des droits
des Palestiniens qui a aussi aidé à
réunir des preuves de crimes de guerre,
ont dû, ces deux dernières années, faire
face à une campagne soutenue de
diffamation.
Elles ont comporté,
à la fois publiquement de la part de
fonctionnaires israéliens, et via des
campagnes plus sournoises, de fausses
déclarations faites en leur nom et des
menaces de mort et autres harcèlements
contre leurs équipes.
La guerre secrète
d’Israël semble aussi cibler les
militants de la solidarité dans les pays
occidentaux.
Jeter le masque
En juillet, les
membres d’une délégation
interconfessionnelle en route pour la
Palestine ont été interdits de vol par
le personnel de Lufthansa qui agissait
sur ordre des Israéliens.
Le rabbin Alissa
Wise de Voix Juives pour la Paix a dit à
The Electronic Intifada que le personnel
de la compagnie aérienne lisait les noms
de militants dont on n’avait jamais
annoncé publiquement qu’ils faisaient
partie de cette délégation et qui
n’avaient pas de billets, cela prouve
qu’une liste de personnes, obtenue par
la surveillance israëlienne des
communications des militants, avait été
remise à Lufthansa.
Alors que la
campagne secrète d’Israël vise à
réprimer les informations négatives sur
ses violations des droits des
Palestiniens, la campagne elle-même ne
fait que ternir un peu plus son image
délabrée.
Au vu de ces mesures répressives
contre la solidarité avec la Palestine,
le cofondateur de BDS Omar Barghouti dit
qu’Israël « jette le masque de la
démocratie et du libéralisme et dévoile
son vrai visage en tant que régime
d’occupation et d’apartheid ».
« Israël alloue des
centaines de millions de dollars,
consacre un ministère tout entier,
utilise ses services de renseignement et
fait jouer ses muscles politiques dans
le monde entier pour combattre ce
mouvement », a ajouté Barghouti. « Mais
il s’agit là d’un combat sur une pente
raide et ardue qu’Israël ne peut que
perdre. »
Traduction et
enquête par Dena Shunra.
Traduction en
français : J. Ch. pour l’Agence Média
Palestine
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