Vu du Droit
Yann Moix : un bonimenteur de foire
médiatique ?
Anne-Sophie Chazaud
Mercredi 28 août 2019
La rentrée littéraire et ses centaines
de livres jetés à la criée et quasiment
vendus au poids fait partie des grandes
passions mais aussi des hystéries
typiquement françaises. Dans une époque
où la pratique de la lecture ne cesse de
régresser, on ne saurait finalement s’en
plaindre, non plus que du folklore qui
l’accompagne. Les empoignades,
scandales, ratages, consécrations
auxquelles elle donne lieu avec sa
ribambelle de prix littéraires en ligne
de mire existent de longue date.
Cette année ne fait
pas exception, à ceci près que dans
« rentrée littéraire », normalement, le
mot important c’est « littéraire ».
L’affaire Yann Moix,
puisque c’en est devenu une de facto,
est à interpréter comme un symptôme de
différents phénomènes et d’un nombre
incalculable de malentendus et de
contresens, et c’est uniquement de ce
point de vue qu’elle présente un
quelconque intérêt.
Dans son dernier
ouvrage intitulé Orléans –qu’il
qualifie explicitement de « roman »-,
l’auteur habitué des plateaux télé, du
bruit médiatique et des clashs propices
au buzz (celui-ci ne faisant en rien
exception à son activité habituelle), y
décrit ses souffrances d’enfant
martyrisé, brutalisé, et tisse le récit
de cette souffrance. Jusque-là, rien de
bien nouveau en ces temps d’autofiction
généralisée sur fond de posture
victimaire. Dans la vague/vogue des Yann
Moix, Christine Angot, Edouard Louis et
compagnie, c’est un peu à qui décrochera
le trophée de l’enfance la plus
souffrante. Quand bien même, en dépit
des règles du fameux « pacte
autobiographique » mis naguère en
lumière par Philippe Lejeune, ces
auteurs-victimes présentent leur
narration comme une fiction, il s’agit
bien de faire commerce de l’étalage de
son « misérable petit tas de secrets ».
Certains, dans cet exercice, ont une
puissance narrative et stylistique hors
du commun, comme Emmanuel Carrère, et
d’autres pataugent dans l’étalage du
Moi(x).
Sur ces
entrefaites, la famille de l’auteur
s’est révoltée contre la manière peu
flatteuse dont elle était ici dépeinte,
un coup le frère qui explique que c’est
au contraire Yann Moix qui le
martyrisait avec une violence et un
esprit de jalousie proche du magnifique
et si mystérieux film Toto le héros,
rejouant la rivalité d’Abel et Caïn avec
toute son indémodable âpreté ; un coup
c’est le père qui vient expliquer à la
presse qu’il était effectivement du
genre sévère mais certainement pas de
la manière abominable dont le décrit son
médiatique fils ; un coup ce sont les
amis ; on n’attend plus que le chien, la
grand-mère et la boulangère et le
tableau sera complet.
Or, on ne demande
pas à un écrivain d’être moral, on ne
lui demande surtout pas de revendiquer
un discours de vérité, sauf à le faire
avec la malice subtile et le fameux
larvatus prodeo mis en lumière si
superbement par Roland Barthes : « je
m’avance en montrant mon masque du
doigt ». Le problème dans cette affaire
c’est que l’auteur Moix se construit
précisément une image à travers ce récit
qu’il présente comme celui, réel, de sa
vie et que c’est de cette image qu’il
joue pour se promouvoir. En somme, il
joue sur les deux tableaux, celui de la
complainte victimaire à la mode, et
celui de la distanciation romanesque
revendiquée (laquelle visiblement n’a
trompé personne).
L’autre problème
dans ces réactions et leur réception par
l’opinion publique, c’est que,
théoriquement, les affaires de la
famille Moix ne devraient intéresser
personne dans le cadre d’une rentrée
littéraire, pas davantage que l’avis de
Yann Moix sur les femmes de tel ou tel
âge. Or, c’est bien la confusion des
genres entretenue par l’auteur lui-même
qui rend ensuite possible la bêtise
consistant à traquer dans chacune de ses
assertions et de ses phrases des signes
de la réalité, de la vraie vie vraiment
vécue. Cette maladie du témoignage à
l’époque victimaire post-moderne, qui
fait les ravages que l’on sait dans le
domaine sociétal, s’étend donc à présent
au champ dit littéraire.
Et à cette traque
inepte, qui n’a aucun rapport avec un
quelconque questionnement d’ordre
littéraire c’est-à-dire stylistique,
tous les moyens sont bons. A présent, ce
sont des dessins antisémites datant de
la jeunesse de l’auteur à qui l’on
reproche sa lointaine connivence avec
Alain Soral et autres zigomards
sulfureux du même acabit, qui sont
exhumés, comme autant de preuves de
l’immonde personnage qu’il est supposé
être pour avoir peut-être menti et
dissimulé d’affreuses pensées
peccamineuses.
Et, là encore, ce
sont deux nouveaux contresens qui sont
commis. Celui qui consiste tout d’abord
à croire qu’il suffit d’avoir un côté
politiquement sulfureux pour répondre à
la description malrucienne du « pauvre
type mais grand écrivain » : car n’est
pas Louis-Ferdinand Céline qui veut et
il ne suffit pas d’avoir un passé
vaguement antisémite ou azimuté pour
posséder un style qui dynamite et
révolutionne la langue française. Cela
c’est pour le versant pseudo-libertaire
de la réaction à cette affaire, celui
qui se croit tellement rebelle en raison
de l’aspect sulfureux de la révélation
mais qui ne se posera pas une seule
seconde la véritable question de la
valeur stylistique et littéraire de
l’ouvrage. L’autre contresens est celui
qui va consister à crier à
l’antisémitisme pour, pareillement, ne
pas se prononcer sur l’œuvre, résistants
de pacotille croyant rejouer le procès
de Brasillach.
Un auteur (écrivain
ou simple écrivant ? cela, c’est
toujours à la postérité et à elle seule
de le dire) est libre, et il doit le
rester. Il est libre d’être un sale
type, d’être atrabilaire, d’être
dépravé, d’être mythomane, libre
d’inventer n’importe quoi, il devrait
(en dépit de dispositifs très
liberticides sur le plan de la liberté
d’expression) être libre de dire ce
qu’il veut de sa vie, de ses proches, de
ce qu’il a vécu, ou ressenti. La morale
ne devrait rien avoir à faire avec la
littérature.
Et si la question
ici se pose avec autant d’acuité, c’est
précisément parce qu’il ne s’agit pas de
littérature, mais de psychanalyse
familiale de supermarché sur fond
d’autopromotion commerciale victimaire
et véhémente, dont Yann Moix, parmi
d’autres auteurs du même genre, s’est
fait le principal bonimenteur de foire
médiatique.
Pierre Michon,
Pierre Bergounioux, Pascal Quignard,
pour ne citer qu’eux, ne passent pas
leur vie sur les plateaux télé. Ils
œuvrent dans un certain silence du monde
à triturer la langue, à la fouiller, à
lui faire rendre son suc comme on le
ferait d’un fruit, à la mêler à leur vie
mais dans une constante recherche
poétique de re-création de la vie et du
langage. Ils n’ont pas de temps à perdre
à ces divertissements de seconde zone,
et nous serions bien inspirés de suivre
leur exemple.
Le sommaire de Régis de Castelnau
Le dossier politique
Les dernières mises à jour
|