Vu du Droit
Macron et ses soutiens :
« les réseaux sociaux, voilà l’ennemi ! »
Anne-Sophie Chazaud
Jeudi 16 janvier 2020
Au dictionnaire des idées reçues de
l’époque, surtout ne pas oublier de
liquider l’espace de débat public des
réseaux sociaux dans un tourbillon de
lieux communs aussi banals que
manipulateurs et liberticides.
Emmanuel Macron, dans ses vœux à la
presse du lundi 15 janvier, s’est ainsi
livré à un curieux exercice, quelque
part entre l’esquive, le lancer de
couteaux raté et la danse du ventre.
Le Président dont
on connaît les relations difficiles avec
la presse, -laquelle a pourtant
largement contribué à sa prise de
pouvoir, qui le lui a bien mal rendu par
la suite-, a été pris à parti en
préambule de cette rencontre, poliment
mais fermement, par Olivier Bost,
journaliste à RTL et président de la
presse présidentielle, qui a énuméré
quelques exemples des menaces dont la
liberté de la presse fait l’objet de la
part du pouvoir : convocations de
journalistes par la DGSI qui
travaillaient notamment sur
l’utilisation d’armes françaises au
Yemen, loi sur le secret des affaires
qui fait peser un risque juridique
majeur sur la profession au regard
notamment de la protection du secret des
sources, difficultés rencontrées par la
presse pour faire correctement son
travail lors des nombreuses
manifestations qui émaillent ce
quinquennat en raison des réactions
parfois violentes et répressives des
forces de l’ordre –journalistes
professionnels titulaires de leur carte
de presse embarqués au commissariat,
privés de leurs protections, privés de
leur matériel de travail dans le suivi
des manifestations, etc. Cette liste
n’est pas exhaustive, loin s’en faut, et
il conviendrait notamment d’y ajouter la
mise en place d’un « Conseil de
déontologie journalistique et de
médiation » (CDJM) en décembre 2019,
sous l’impulsion directe et selon les
souhaits du gouvernement, ce qui laisse
aisément augurer de son réel niveau
d’indépendance et qui le fait davantage
ressembler, pour l’heure, à une sorte de
Conseil de l’Ordre des journalistes : du
contrôle des « bonnes pratiques » à
celui de la « bonne pensée » courtisane,
il n’y a guère qu’un tout petit pas et
la France n’est pas le pays du
Watergate.
Face à cette
situation inconfortable, Emmanuel Macron
a procédé selon sa méthode favorite et
éprouvée : diviser pour s’en sortir et
donc, en la circonstance, dire à cette
profession ce qu’elle avait envie
d’entendre, puisque les discours
macroniens sont une succession de propos
circonstanciels, entrant souvent en
contradiction les uns avec les autres et
ayant pour but de donner momentanément à
telle ou telle « communauté » ce qu’elle
souhaite, sur le moment, recevoir comme
parole.
Pour qu’un groupe
identitaire se ressoude (ici celui de la
corporation médiatique), il lui faut
toujours, on le sait, une victime
expiatoire, un bouc émissaire qui lui
permettra, comme le faisait remarquer
René Girard dans ses réflexions sur le
Mensonge romantique et vérité
romanesque, d’y fonder sa propre
narration, son propre récit. La victime
expiatoire ici était toute trouvée :
c’est vous, c’est moi, c’est votre
voisin, c’est le peuple tout entier qui
trouve à s’exprimer sur les réseaux
sociaux et qui le fait, horresco
referens, dans une certaine liberté
pas encore tout à fait tombée sous la
férule du contrôle étatique lequel ne
ménage toutefois pas sa peine.
Les réseaux
sociaux, voilà l’ennemi ! Voilà l’ennemi
constamment désigné désormais à la fois
par de nombreux journalistes ou
chroniqueurs mais aussi intellectuels
établis qui ne supportent visiblement
pas d’être dépossédés de leur pouvoir de
prescription et de perdre ainsi leur
position de monopole exclusif dans la
fabrique de l’opinion, et c’est
également l’ennemi maintes fois désigné
du pouvoir qui a, sur ce sujet, depuis
longtemps sonné le tocsin par une
ribambelle de déclarations et de mesures
profondément liberticides au regard de
la liberté d’expression, mais aussi au
regard de la réelle liberté
d’information.
Car, il faut croire
que les chantres de la disruption et de
l’uberisation prônent ces méthodes dans
tous les domaines de la société et du
travail à l’exception de ceux qui visent
leurs prés carrés… : ubérisez-vous,
braves gens, mais pas dans mon domaine !
Au cours de la
triste semaine de commémoration des
attentats de Charlie, une presse
relativement unanime, impuissante
qu’elle a été à faire réellement face à
la régression incontestable de la
liberté d’expression, s’en est pris de
manière outrancière aux réseaux sociaux
accusés de tous les maux.
Or, s’il est exact
que ceux-ci sont un des lieux d’action
possibles pour les activistes militants
de tout poil qui n’aiment rien tant que
le harcèlement et la censure, ils sont
loin d’en être le lieu d’action unique
ni même le principal. Rappelons ainsi à
toutes fins utiles que le lieu
privilégié d’action néfaste des
Social Justice Warriors est avant
tout le terrain du harcèlement
judiciaire et, que l’on sache, la
justice n’a pas été visée par un
semblable discours en délégitimation.
L’ennemi, la cause
est entendue, ce sont donc les réseaux
sociaux, c’est-à-dire cette agora du
XXIème siècle permettant à l’opinion
publique de s’exprimer (encore un peu)
librement, d’échanger des informations,
de débattre. Et, précisément, Emmanuel
Macron a fustigé la société du
« commentaire permanent ». Mais,
qu’est-ce que le « commentaire
permanent » sinon la liberté de
conscience et d’expression exprimées
librement en démocratie. Quelle est
l’idée ? Faire taire les commentaires ?
Cela porte un nom et ce nom n’est pas la
démocratie.
Car, sur les
réseaux sociaux, qui ne sont ni bons ni
mauvais en soi –ce dont n’importe quel
médiologue, même vieillissant, devrait
se souvenir– se joue en réalité une
question profonde qui a tout à voir avec
la question du pouvoir.
Certes, au
dictionnaire des idées reçues sur le
sujet, surtout ne pas oublier de parler
de « lynchages ». Et c’est vrai, qu’il y
en a, des lynchages, -toute personne
intervenant dans le débat public avec un
minimum de convictions ou d’originalité
est bien payée pour le savoir-, c’est
vrai qu’il y a, parfois, du harcèlement,
comme il y a du harcèlement partout. Ces
faits tombent sous le coup de la loi
pénale et il appartient à chacun, selon
son souhait et sa capacité à encaisser
les mauvais coups, à porter les faits
répréhensibles en justice, exactement
comme dans l’espace public matériel.
On parle, on
bruisse, on s’offusque de « tribunaux
médiatiques », de « fausses
informations », de « chasses aux
sorcières ». On fait la chasse à la
chasse aux sorcières, on prend la pose
dans une méta-chasse aux sorcières afin
de se distinguer autant que faire se
peut du vulgaire, comme si on n’avait
d’ailleurs rien d’autre à faire lorsque
le pays est au bord de la rupture
sociale et politique. On prend des airs
théâtraux et on aime à se faire peur.
Pourtant, au-delà des outrances qui sont
le propre de tous les espaces de débat
public libres et démocratiques, les
réseaux sociaux sont avant tout un lieu
de débat et de circulation d’information
comme les peuples (libres) n’en ont
jamais disposé dans le passé. Et c’est
bien cela qui dérange. Qui dérange à la
fois ceux qui jusqu’alors en possédaient
le monopole professionnel,
institutionnel, académique, et ceux qui
ont toujours souhaité contrôler la
circulation de l’information (le pouvoir
politique). Il s’agit là, une nouvelle
fois, d’un petit partage du pouvoir au
sein d’une caste qui n’entend pas se
laisser déposséder de ses leviers
d’action dans la fabrique de l’opinion
et l’on retrouve ici une nouvelle
variante de la scission désormais avérée
en maints domaines entre le bloc
élitaire et le bloc populaire, avec, du
reste, à la clef, la question concrète
d’un éventuel basculement politique qui
est le véritable enjeu de tout cette
mise en scène théâtrale et
inquisitoriale.
Les journalistes
ont des pratiques d’investigation
(normalement…) qui apportent à leurs
contenus une légitimité professionnelle.
On n’imagine pas qu’ils puissent être
menacés par la libre expression de
l’opinion publique populaire, si ? On ne
voit pas, en réalité, en quoi ces
pratiques seraient concurrentielles sauf
à les considérer sous l’angle d’une
volonté de pouvoir et de mainmise. Il
semblerait bien au contraire que ces
différents biais d’approche du réel
soient autant de richesses
complémentaires auxquelles le
journalisme apporte une valeur ajoutée,
sauf si l’enjeu n’est pas le réel mais
le pouvoir, ce qu’à Dieu ne plaise…
Pareillement, le
pouvoir politique macronien n’a de cesse
de vouloir contingenter la liberté
permise par les Nouvelles Technologies
de l’Information et de la Communication,
dans une constante obsession
liberticide, et pour cause puisqu’il
s’agit de contrôler les moyens d’une
éventuelle réélection. La loi anti
pseudo-fake news instaurant une sorte de
magistère de la Vérité officielle, dans
l’urgence par le juge des référés en
période électorale, constitue à ce titre
un absolu scandale antidémocratique. La
loi Avia, tout pareillement, retenue par
les parlementaires dans sa pire version
liberticide, sanctionnant des contenus a
priori et dans l’urgence (24 heures)
selon des critères d’appréciation
idéologique mais qui se frottera bien
vite aux exigences d’un discours
politiquement compatible avec les vues
du pouvoir en place, fait, quant à elle,
peser les pires menaces sur ce
formidable espace de liberté que sont
devenus les réseaux sociaux.
On a beaucoup parlé
de désinformation, de fake news, de faux
journalistes. Pourtant, nous n’y voyons
que la peur, la peur petite-bourgeoise
d’une oligarchie médiatico-politique qui
s’est vue dépassée par l’expression du
terrain, le peuple ayant, pendant toute
la séquence de répression du mouvement
des gilets jaunes, commencé par faire le
travail réel d’information à la place de
ceux dont c’était le métier, puisque
ceux-ci étaient si frileux à le faire.
Sans les images de terrain, toutes ces
vidéos prises sur le vif par les
citoyens, tous ces témoignages de
victimes, comment un journaliste aussi
irréprochable et professionnel que David
Dufresne aurait-il pu nourrir son
magistral travail de documentation sur
les violences policières qui n’ont cessé
de croître avec la gestion macronienne
des conflits sociaux et politiques ? On
a bien là la preuve que le journalisme
et les réseaux sociaux peuvent
travailler main dans la main en vue de
l’élaboration de la vérité, parce que ce
lieu est avant toute chose une agora et
qu’en démocratie, c’est l’agora le plus
important, et non les petits cénacles de
l’entre-soi. Les médias mainstream ne
commencent à timidement reprendre enfin
la question de la répression policière
inouïe qui s’est déchaînée contre le
peuple français que plus d’un an après
que des dizaines et des dizaines de
manifestants ont été blessés, mutilés,
éborgnés, arrêtés, condamnés, et ils le
font seulement maintenant parce qu’ils
n’ont plus le choix, mis devant le fait
accompli, sauf à perdre définitivement
toute crédibilité.
Sans les réseaux
sociaux, la dénonciation de cette
répression de masse et ces méthodes d’un
autre temps n’aurait tout simplement
jamais été possible. Et c’est bien, dans
le fond, l’opposition sociale et
politique (de tous bords) qui est en
réalité dans le viseur de toutes ces
mesures antidémocratiques et cet
irrépressible désir de censure.
Sans les réseaux
sociaux, par exemple, la manipulation
mensongère de la fausse attaque de la
Salpêtrière n’aurait jamais non plus été
possible. Sans les réseaux sociaux,
Steve aurait disparu dans le silence de
la nuit et dans l’oubli. Sans les
réseaux sociaux, de nombreuses attaques
islamistes au couteau seraient à peine
évoquées. Sans les réseaux sociaux, on
ne saurait rien des dégradations
quotidiennes d’églises et autres lieux
de culte.
A propos de fake
news, d’ailleurs, le pouvoir n’est pas
en reste puisqu’on apprenait que la fine
équipe de conseillers macronistes
entourant le Président, en la personne
par exemple de l’autoproclamé
progressiste Ismaël Emélien, n’avait pas
hésité à produire de fausses
informations Twitter (comptes anonymes
et faux montages) dans le cadre de
l’affaire Benalla : la propagande, c’est
tout un art, et une tradition.
Enfin, Emmanuel
Macron a évoqué hier, sans vergogne, une
sorte « d’ordre moral » qui
s’instaurerait sur les réseaux sociaux
et qu’il n’approuverait pas. Pourtant,
qui sont les principaux pourvoyeurs
d’ordre moral, à coups de lois
liberticides imbibées de politiquement
correct, sinon les détenteurs
post-socialistes du pouvoir actuel ? Qui
a essayé, dans la loi Avia, de recaser
discrètement mais sûrement le délit de
blasphème à travers le concept fumeux
d’islamophobie ? Qui passe son temps à
moraliser sur la méchante haine au sein
d’un espace de débat public réduit à
n’être plus qu’une grotesque cage aux
phobes ? Qui traque la parole déviante,
la pensée dissidente ? Qui sonne le
tocsin contre la vilaine opinion
populiste, ou souverainiste ? Qui, par
exemple, a qualifié de « fake news »
récemment des propos d’opposants
politiques à la loi sur les retraites au
simple motif qu’il n’y a pas de
simulateur (et pour cause, puisque le
gouvernement se refuse à fournir cet
outil) et que, par conséquent, toute
information ou opinion sur ce sujet
serait déclarée officiellement nulle et
non avenue, « fausse », par le Ministère
de la Vérité ?
Les réseaux
sociaux, que le pouvoir politique ou le
quatrième pouvoir le veuillent ou non,
font désormais partie des lieux de
liberté d’expression privilégiée des
peuples du monde entier. Le pli est pris
et lorsqu’on a goûté à une liberté, on
ne retourne pas en arrière, sauf de
manière autoritaire et toujours limitée
dans le temps. Le combat liberticide
pour y contrevenir est un combat à la
fois propagandiste et d’arrière-garde.
Et il serait tout à l’honneur des médias
traditionnels de ne pas y apporter leur
benoîte collaboration, sauf à vouloir
perdre définitivement tout crédit.
On peut
raisonnablement penser, en revanche, que
sous l’action liberticide constante de
cet exécutif à l’encontre de ces
nouveaux moyens d’échanges et
d’expression libre, de nombreux citoyens
ne recourent, pour être à l’abri de
toute censure dans les mois qui viennent
et à l’approche de l’élection
présidentielle où tous les moyens seront
bons pour contrôler l’opinion, à ce qui
se pratiquait autrefois du temps de
Rousseau et Voltaire : le repli de
l’hébergement des sites indépendants
d’expression et d’information libre vers
des pays comme la Suisse où la censure
ne pourra pas s’abattre.
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