Syrie
Que faut-il comprendre de la proposition
de De Mistura concernant « les zones de
gel des combats » dans la ville d'Alep ?
Amin Hoteit
Photo:
D.R.
Samedi 15 novembre 2014
Le 30 octobre
dernier,
l'émissaire spécial des Nations unies
pour la Syrie, M. Staffan De Mistura
a proposé d'instaurer des zones de « gel
des combats » à Alep. Sans donner plus
de détails, il a précisé qu’il ne
s’agissait pas d’un plan de paix mais
d’un « plan d’action » [1]
pour permettre la distribution de l'aide
humanitaire dans cette ville devenue
soudainement le centre d’attention de
tous les faux amis de la Syrie,
maintenant que l’Armée arabe syrienne
est en passe de la nettoyer de leurs
prétendus rebelles révolutionnaires fort
pieux et modérés.
Erdogan menace de la récupérer au sein
de son sultanat imaginaire ; Fabius veut
la bombarder parce qu’il trouve qu’elle
n’a pas subi suffisamment de
destructions avant qu’elle ne « tombe »
entre les mains des autorités syriennes
légitimes ; Michel Kilo, le
révolutionnaire surnommé « le Cheikh
wahhabite » par les gens d’Alep, le
rassure en jurant sur sa tête qu’elle ne
tombera pas ; le Qatar, par la voix de
« sa déléguée » auprès de l’ONU, appelle
la Syrie à suivre son modèle de morale
et de démocratie ; l’administration US
cherche opposants modérés désespérément…
Bref, la sollicitude des humanitaires
va-t-en guerre pour cette ville
massacrée depuis trois longues années
est subitement quasi unanime, presque
autant que pour la petite ville de Aïn
al-Arab / Kobané.
En réponse, le délégué permanent de la
Syrie auprès de l’ONU, M. Bachar
al-Jaafari, a immédiatement rappelé
qu’il suffirait de tenir compte des
résolutions 2170 [2] et 2178 [3],
adoptées à l’unanimité par le Conseil de
sécurité, pour que le fléau de Daech et
ses sœurs, qui s’est abattu sur tout le
pays, disparaisse en quelques jours,
tout en déclarant « nous étudierons les
propositions de M. De Mistura lorsqu’il
retournera à Damas pour s’en entretenir
avec les responsables politiques et
donnerons notre avis sur la question » [4].
M. De Mistura est retourné à Damas et
voici le communiqué du
10 Novembre, 13H,
de la Présidence de la République arabe
syrienne [5] suite à sa rencontre
avec le Président Bachar al-Assad :
« Le président Al-Assad,
informé par M. de Mistura des principaux
points et objectifs de son initiative
consistant à geler les combats
dans la ville
d'Alep, a souligné
l’importance de cette ville et le souci
de l’État pour la sécurité des civils
sur l’ensemble du territoire syrien. Il
a considéré que cette initiative
méritait d’être étudiée et d’essayer de
travailler afin d’atteindre ses
objectifs qui versent dans le retour de
la paix à la ville d’Alep.
Il
a aussi été convenu de
l’importance de la
mise en œuvre des résolutions
du Conseil de sécurité
2170 - 2178 et de la
conjugaison des efforts internationaux
visant à lutter
contre le terrorisme
en Syrie
et dans la région,
un terrorisme qui
constitue une menace
pour le monde
entier ».
Force est de
constater que pratiquement tous les
médias ont fait l’impasse sur le 2ème
paragraphe de ce communiqué. [NdT].
Certains auront sans doute été surpris
par l’initiative de M. de Mistura
proposant un « gel local des combats »
qui démarrerait dans une zone
actuellement sous le feu des terroristes
et, au cas où l’expérience serait
réussie, s’appliquerait à d’autres
zones, pour finalement aboutir à un
environnement permettant d’initier le
dialogue et d’entamer les négociations à
la recherche d’une « solution
politique » de la crise syrienne.
Une approche qui pose, en effet, nombre
de questions quant à son contexte, son
objectif et les conditions de son
éventuel succès.
Mais
avant de traiter de
ces questions, nous
devons rappeler que la notion de
« gel local des combats » est une notion
nouvelle qui n’a jamais été utilisée
dans le cadre du droit
international et des conflits
armés. Par conséquent,
elle ne peut être discutée, comprise et
appliquée, que sur la base de ce qu’elle
pourrait contenir comme concepts qui lui
seraient obligatoirement liés.
À notre avis, les notions les plus
proches en la matière sont « le
cessez-le-feu » et la « trêve », mais M.
De Mistura a évité d’user de l’une et de
l’autre parce qu’il sait que le
gouvernement syrien ne peut les accepter
étant donné qu’elles touchent à la
souveraineté de l’État et signifient la
reconnaissance implicite des groupes
terroristes.
En effet, en cas de cessez-le-feu ou de
trêve, il faut définir « la ligne de
cessez-le- feu » ainsi que les forces et
les actes prohibés de part et d’autre de
cette ligne, tout en veillant à ce que
les deux parties restent sur leurs
positions respectives et bénéficient de
leur droit à s’approvisionner et à se
renforcer pour les garder. Et bien sûr,
l'État syrien ne pouvait accepter l’une
ou l’autre de ces conditions qui
reviendraient à renoncer à sa
souveraineté sur son territoire, au
profit des terroristes.
Voilà pourquoi M. De Mistura s’est bien
gardé d’user de ces deux notions
parfaitement comprises, pour en proposer
une troisième inédite et dont les
implications restent à définir.
Mais c’est bien parce que cette notion
est « nouvelle » et que la Syrie
se trouve aujourd’hui dans une situation
plus confortable, suite à une série de
succès sur le terrain depuis quelques
mois et, aussi, parce qu’elle tient à la
sécurité de ses citoyens ainsi qu’à la
sauvegarde de leurs biens, qu’il est
naturel qu’elle accepte de prendre en
considération toute initiative qui
porterait, en elle-même, l’espoir de
sauver des vies et de rétablir la paix
et la stabilité dans toutes les régions
du pays.
D’où la réponse des autorités syriennes
déclarant leur disposition de principe à
étudier l’initiative de M. De Mistura
ainsi que ses mécanismes d’application
dans le respect des droits nationaux et
dans le but d’accélérer le règlement
d’une crise fabriquée à l’étranger et
exécutée par des instruments locaux et
régionaux, avec une incontestable
participation internationale.
D’après ce qui a pu filtrer jusqu’ici,
il semble que cette nouvelle notion de
« gel local des combats » pourrait aller
dans deux directions :
-
La première superposable à l’idée d’un
« cessez-le-feu » qui ne dit pas son
nom, ce qui revient à la situation
décrite plus haut avec une ligne de
cessez-le-feu reconnue par l’État syrien
et par les organisations de terroristes
armées ; ces dernières étant autorisées
à se réapprovisionner et à se maintenir
durant toute cette période sans que
l’État syrien n’ait le droit
d'intervenir contre leurs opérations
logistiques.
-
La deuxième en rapport avec la
déclaration de la Présidence de la République
arabe syrienne
lors de la visite de M. De Mistura à
Damas et qui se fonde sur les
résolutions 2170 et 2178 adoptées par le
Conseil de sécurité, en vertu du
Chapitre VII, afin de lutter contre le
terrorisme en commençant par tarir ses
sources.
Cette deuxième
direction implique que l’État syrien et
les terroristes cessent toute opération
de combat dans la zone concernée par le
« gel », mais aussi que
cessent l’afflux des terroristes et
toutes sortes d’approvisionnement qui
leur sont destinés ; ce qui signifie la
fermeture des frontières qu’ils
continuent de traverser.
Ainsi, si un tel accord s’appliquait à
« Alep », la Turquie se trouverait
obligée de fermer tous les passages
frontaliers empruntés aussi bien par les
terroristes que par leurs fournitures
logistiques, car la « communauté
internationale » - comme aiment à le
répéter l’Administration US - serait
responsable de la mise en œuvre de la
résolution contraignante, puisqu’adoptée
en vertu du Chapitre VII de la Charte
des Nations Unies. Sinon, nous aurions
affaire avec
une énième arnaque concoctée dans
l'intérêt des terroristes.
Nous pensons qu’il ya une énorme
différence entre les deux directions
quant à leur contenu et à leurs
conséquences :
-
La première dissimulerait l’intention
d’empêcher l’Armée arabe syrienne de
récupérer « les quartiers » d’Alep qui
restent aux mains des groupes armés et
donnerait aux terroristes l’opportunité
de se réorganiser, de se renforcer et de
se réarmer en vue de la prochaine
bataille.
-
La deuxième permettrait à l’État syrien
de récupérer les zones envahies par les
terroristes par étapes successives :
arrêt des combats et des destructions,
tarissement de toutes sortes de soutien
aux terroristes, suivi de leur sortie
des territoires envahis en association
avec la solution politique globale.
Cette deuxième direction pourrait porter
à croire que l’initiative de M. De
Mistura est venue ouvrir le débat en vue d'une solution
pacifique. Néanmoins, il faudrait
commencer par définir ce nouveau concept
de « gel des combats » à l’échelon
international. Ce n’est qu’à la lumière
de cette définition que nous pourrons
juger des possibilités de son succès ou
de son échec.
Quoi qu’il en soit, la Syrie a eu
affaire à de multiples manœuvres,
certaines beaucoup plus complexes que
l’initiative actuelle et qui ont échoué
grâce à son professionnalisme
diplomatique et politique ainsi qu’au
soutien d’une force militaire
compétente. Elle ne sera donc pas
impuissante aujourd’hui pour désamorcer
une nouvelle mine placée sur sa route,
d’autant plus qu’elle est actuellement
dans une meilleure situation militaire
qu’au tout début de l’agression. De
plus, cette initiative internationale
n’aurait pas été formulée de la sorte,
si la balance ne penchait pas de son
côté. Ce sont ses performances
diplomatiques et sur le terrain qui ont
amené « les autres » à revenir vers une
solution pacifique, que « le gel des
combats » soit local ou au-delà.
Par conséquent, personne ne devrait
imaginer que la Syrie gaspillerait dans
des négociations et des pourparlers ce
qu’elle a récolté sur le terrain et par
des moyens militaires
Dr Amin Hoteit
13/11/2014
Source :
Al-Binaa
http://al-binaa.com/albinaa/?article=20407
Article traduit de l’arabe par Mouna
Alno-Nakha
Notes :
[1] Transcript – Press Stakeout: UN Special Envoy for Syria, Mr. Staffan
De Mistura, New York, 30 October 2014
http://reliefweb.int/report/syrian-arab-republic/transcript-press-stakeout-un-special-envoy-syria-mr-staffan-de-mistura
[2]
Résolution 2170 (2014) - Adoptée par le
Conseil de sécurité à sa 7242ème
séance, le 15 août 2014
http://www.refworld.org/cgibin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=53f72d784
[3]
Résolution 2178 (2014) - Adoptée par le
Conseil de sécurité à sa 7272ème
séance, le 24 septembre 2014
http://www.refworld.org/cgibin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=542a8fd04
[4] Quelque chose ne tourne pas rond au
sein de l’ONU !
http://www.palestine-solidarite.org/analyses.bachar_al-jaafari.021114.htm
[5] Présidence de la
République
arabe syrienne -10 Novembre 13H
https://www.facebook.com/SyrianPresidency?hc_location=timeline
Le Docteur
Amin Hoteit
est
libanais, analyste politique, expert en
stratégie militaire, Général de brigade
à la retraite, et Professeur à la
faculté de Droit de Beyrouth.
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