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Réflexions sur les élections
départementales en France
Alexandre Latsa

© REUTERS/
Pascal Rossignol
Lundi 30 mars 2015
Les élections
départementales qui viennent de se
dérouler en France ont confirmé
l’incrustation de dynamiques lourdes
dans le paysage électoral français.
Le Front national
est le premier parti de France
Tour d'abord, et
contrairement à ce qui a été martelé par
les medias nationaux désormais aussi
piètres mathématiciens qu'ils sont de
mauvaise foi, le Front national confirme
et ancre son statut de premier parti
politique du pays.
En effet, les
résultats ont été annoncés par binôme
composé d'une femme et d'un homme
parfois pas issu d'un même parti ce qui
a rendu illisible les résultats et
permis aux medias de présenter les
résultats par bloc et non par partis.
Pourtant le
ministère de l'Intérieur a publié des
estimations des résultats
par partis mais également
par voix qui confirment que le FN
est largement en tête devant l'union de
la droite, le PS ou encore l'UMP.
Le pays vire à
droite
Ensuite, le pays
qui vote est très majoritairement à
droite, puisque 61% des électeurs ont
choisi un candidat se situant à droite
sur l'échiquier politique contre 39% des
électeurs ayant voté à gauche, incluant
le Modem et l'Union du centre. La
droitisation électorale du pays va sans
doute s'accentuer au cours des
prochaines années, boostée par le
mauvais climat économique, les
incertitudes liées à l'Europe et l'euro,
mais aussi et surtout par le
vieillissement du corps électoral qui
devrait tendre à devenir plus
conservateur.
La fin du Front
républicain
Sans surprises, les
partis de droite français sont également
de plus en plus sous pression de leur
électorat qui est tout à fait près à
sauter le pas de l'alliance avec le FN,
tandis que la direction des partis y est
hostile. Ce processus devrait entraîner
la disparition du « Front républicain »,
subterfuge utilisé pour endiguer le FN
durant les deux dernières décennies.
Très symboliquement, si la gauche avait
fortement appelé à faire barrage au
Front national, la droite a joué de
nouveau la politique du «
ni — ni » au second tour, comme elle
le fit déjà lors des élections
cantonales de 2011 ou de la
présidentielle de 2012. Les gains
électoraux du FN entre les deux tours
laissent penser que nombre d'électeurs
de droite, mais aussi
d'abstentionnistes, se sont cependant
reportés sur le FN pour leur vote du
second tour.
La France face à une
crise de la représentativité?
Le Front national
arrive en tête dans 43 départements sur
98, est vainqueur dès le premier tour
dans quatre cantons, et est présent au
second tour dans la moitié des cantons,
prouvant que son implantation au niveau
local, qui lui a toujours fait défaut,
semble cette fois en passe de réussir.
Lors du second tour cependant, il
n'arrive à gagner aucun département même
si son score national frôle les 40%
(dans les cantons où il était présent au
second tour) et qu'il arrive à faire
élire au total 62 conseillers dans 2.054
cantons.
Pour autant, le
parti met le doigt sur une bizarrerie du
système politique et de
représentativité, puisqu'un parti
politique arrivant en première position
au premier tour avec un électeur sur
quatre, obtenant près de 40% (comme
c'est le cas dans le nord) n'obtient
aucune représentativité conséquente.
Pour le Front
national, une question va désormais se
poser pour prendre le pouvoir en France:
celle des nécessaires alliances.
Crise des valeurs et
importance de la géopolitique
La victoire des
blocs de droite et nationalistes ne doit
pas masquer les terribles dissensions
qui existent au sein de tous les blocs
politiques sur le plan sociétal au
niveau intérieur et géopolitique au
niveau extérieur.
A gauche tout
d'abord, la frange gauche s'effondre
(surtout au sein de la
mouvance écologiste) tandis que le
Front de gauche de Jean Luc Mélenchon,
qui a totalisé 4,8% des voix seul mais
9,4% en alliance avec le parti
communiste, a lui lourdement
fissuré la position d'une partie de
la gauche notamment sur la géopolitique.
Ses prises de positions étaient en effet
totalement opposées à la ligne régnante
au sein d'un Parti socialiste fortement
dominé par un courant libertaire
pro-américain mais sécuritaire.
Au centre et à
droite, la fissure est encore plus forte
que ce soit sur le plan intérieur
(mariage pour tous) ou extérieur avec
notamment le repositionnement de la
France par rapport à l'Europe de
Bruxelles et sur le plan international.
A ce titre, les courants
gaullistes-conservateurs et
centristes-atlantistes sont dans une
opposition de plus en plus en complète
et on imagine mal comment le bloc de
droite pourrait rester uni.
Au sein du Front
national, de fortes oppositions existent
également entre un axe
social-républicain actuellement dominant
et un axe droitiste-patriote: le point
de friction fort concerne les valeurs
sociétales et notamment le mariage pour
tous.
Le tripartisme avant
une nouvelle bipolarisation politique?
L'implantation
croissante du Front national pourrait
détruire le système politique bipolaire
tel que nous le connaissons depuis
mai-68, et le transformer en un système
tripartite assez original. La France
pourrait faire jurisprudence et le
tripartisme pourrait se systématiser au
sein des nations européennes avec
l'émergence de partis politiques
patriotiques, conservateurs ou
eurosceptiques.
La crise des partis
politiques et l'absence de « projet »
des élites politiques françaises
pourrait peu à peu dissoudre les
frontières politiques telles que nous la
connaissons, pour voir de nouveaux blocs
et de nouvelles alliances émerger. Ces
alliances devraient vraisemblablement se
baser sur des référents sociétaux et
géostratégiques. Il y a une cohérence à
cela puisque les nations européennes,
France en tête, sont en recherche d'un
nouveau modèle global, tant intérieur
qu'extérieur.
Sur le plan
intérieur, on peut imaginer une future
opposition entre des tendances
conservatrices sociales (confortées par
le double effet du poids croissant de
l'électorat musulman conservateur et du
vieillissement général de la population)
et un courant libertaire mais malgré
tout sécuritaire.
Sur le plan
extérieur, deux grands courants semblent
également apparaître et voués à
s'opposer. Le premier est l'atlantisme,
qui traverse tant la gauche socialiste
que la droite et le centre, ancrant la
France dans le socle civilisationnel et
historique occidental et américain. Un
second courant tout aussi transpartis,
plutôt d'obédience gaulliste, touche lui
tant la droite que la gauche ou le Front
national, et envisage une politique
extérieure plus équilibrée et est plus
ou moins méfiante, voire hostile, à la
monnaie unique et à la construction
européenne.
Les enjeux
sociétaux et stratégiques seront, sans
aucun doute, au cœur de la
présidentielle de 2017.
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Publié le 31 mars 2015 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
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