Opinion
Après l’attentat de Charlie Hebdo,
la France annonce une loi antiterroriste
draconienne
Alex Lantier
Samedi 24 janvier 2015
A l’issue du
conseil des ministres de mercredi matin
à l’Elysée, le premier ministre Manuel
Valls a dévoilé une nouvelle loi
antiterroriste draconienne.
Valls a annoncé ces
nouvelles mesures suite à une discussion
intense dans les médias au sujet d’un «
Patriot Act » à la française et après le
sommet de deux jours à Bruxelles des
ministres des Affaires étrangères de
l’Union européenne sur le
contre-terrorisme. Ces propositions font
partie d’efforts faits par les
gouvernements européens pour exploiter
les attaques terroristes de Paris et
imposer le type de mesures de régime
policier entrées en vigueur après les
attentats du 11 Septembre.
Le premier ministre
a annoncé la création de 2.680 nouveaux
emplois dans l’armée et les services de
renseignement afin de surveiller la
population et prévoit de surveiller
directement quelque 3.000 personnes. Le
programme reviendrait à 425 millions
d’euros (492 millions de dollar US) sur
trois ans et à 735 millions d’euros si
l’on inclut les frais de personnel.
« Aujourd’hui, il
faut surveiller près de 1.300 personnes,
Français ou étrangers résidents en
France, pour leur implication dans les
filières terroristes en Syrie et en
Irak. C’est une augmentation de 130 pour
cent en un an, » a dit Valls. « A cela
s’ajoutent 400 à 500 personne concernées
par les filières plus anciennes ou
concernant d’autres pays, ainsi que les
principaux animateurs actifs dans la
sphère cyber-djihadiste francophone. En
tout ce sont près de 3.000 personnes à
surveiller. »
Pendant que Valls
s’exprimait, des milliers de policiers
et de soldats patrouillaient les rues en
France. Les descentes policières se sont
étendues de la France à la Belgique, à
l’Allemagne et à la Grèce.
Valls a dit que
122.000 policiers, militaires et
gendarmes seraient mobilisés à travers
le pays. Il a appelé la création des
nouveaux emplois dans l’armée et le
renseignement un « effort massif, mais
nécessaire pour assurer la sécurité. »
Valls a dit
clairement que l’un des principaux
objectifs de la loi était de renforcer
la surveillance de masse de l’Internet
et des réseaux sociaux. « Les
terroristes utilisent fréquemment les
mêmes réseaux sociaux que le grand
public. Notre plate-forme de signalement
de contenus illicites a reçu 30.000
signalements depuis le 7 janvier, soit
six fois plus que d’habitude, » a
précisé Valls. Il a ajouté que 60
millions d’euros seraient consacrés à «
la prévention de la radicalisation. »
Les services de
renseignement français seront aussi
autorisés à recourir à la
géolocalisation par trackers des
véhicules de suspects et à des appareils
électroniques et à installer des
microphones à leur domicile. « La loi
permettra aux services d’être en mesure
de vérifier les conversations et les
documents de personnes que nous suivons,
» a dit Jean-Jacques Urvoas, un député
PS (Parti socialiste) au Wall Street
Journal « … nous voulons avoir accès
aux ordinateurs, parce que les
interceptions de sécurité… sont en
général assez stériles. »
Les responsables
français veulent également ouvrir d’ici
septembre 2015 une banque de données des
passagers aériens et discuter au
parlement européen de la manière de
partager les données personnelles de
passagers avec les autres pays de
l’Union européenne.
Valls a dit que de
cette manière « la France
disposer[ait]…enfin d’un cadre légal
pour l’action de ses services de
renseignement. »
Cette déclaration
est une admission indirecte du fait que
ce qui a vu le jour dans la dernière
décennie en France, comme dans une bonne
partie de l’Europe, est un régime où les
services secrets se sont arrogés
d’énormes pouvoirs sans aucun fondement
légal.
Si les nouvelles
mesures visent initialement la
population musulmane d’Europe, ces
formes de gouvernement, qui sont celles
de l’Etat policier, seront utilisées
contre toute opposition à la politique
de la classe dirigeante française sur le
plan intérieur comme extérieur.
L’agressivité de la
réponse de l’élite dirigeante à
l’attentat contre Charlie Hebdo
traduit une panique croissante devant
les tensions sociales provoquées par des
années d’austérité et de guerre. La
décision du gouvernement français
d’abandonner son opposition à l’invasion
américaine de l’Irak en 2003 et de
s’aligner sur la campagne de guerre des
Etats-Unis au Moyen-Orient a conduit la
France au bord de la guerre civile. Les
jeunes musulmans ne sont pas seulement
de plus en plus aliénés par le chômage
de masse, l’encouragement officiel au
racisme antimusulman et les
affrontements avec la police, mais aussi
par les guerres de l’OTAN dans les
anciennes colonies musulmanes de la
France, comme la Syrie, et soutenues par
l’ensemble de l’establishment
politique.
En même temps
qu’elle met en oeuvre des mesures de
régime policier et prépare une escalade
militaire à l’étranger, la classe
dirigeante fait la promotion du racisme
antimusulman et cherche à légitimer le
Front national, le parti néofasciste de
Marine Le Pen. Au début du mois, le
président François Hollande a reçu Le
Pen au palais de l’Elysée.
Dans un discours
prononcé mardi pour annoncer le
lancement des mesures anti-terroristes
le lendemain, Valls a mis en garde
contre des émeutes de masse dans les
banlieues à population immigrée, comme
en 2005 et en 2007. « Les émeutes de
2005, qui aujourd’hui s’en rappelle et
pourtant… Les stigmates sont toujours
présents, » a-t-il dit. Il a fait
remarquer que 10.000 véhicules avaient
brûlés et que des centaines de policiers
avaient été blessés durant les
affrontements.
Craignant de plus
en plus des émeutes dans un climat
aujourd’hui bien plus lourd sur le plan
économique, politique et militaire, la
classe dirigeante et l’armée ont élaboré
des plans pour une action militaire à
grande échelle en France. C’est ce qui
ressortait notamment d’un Livre blanc de
2008 sur la défense et la sécurité
nationale, selon des recherches publiées
dans le livre du journaliste Hacène
Belmessous, Opérations banlieues –
Comment l’Etat prépare la guerre urbaine
dans les cités françaises.
Belmessous y cite
le lieutenant-colonel Didier Wioland,
qui a dit que des plans avaient été
établis pour le déploiement de 10.000
soldats dans des opérations militaires
dans l’hexagone : « … les armées doivent
pouvoir, à la demande de l’autorité
politique, lorsque des situations graves
frappent le territoire national, mettre
à disposition cet effectif,
essentiellement des forces terrestres…
Ce contingent de 10 000 hommes est
actuellement à même d'être formé sur le
territoire national, prêt à intervenir
en cas de crise de grande ampleur. »
Le nombre de
soldats déployés dans les rues en France
suite à l’attentat contre Charlie
Hebdo, était, qu’il s’agisse ou non
d’une coïncidence, de 10.000.
C’est la classe
ouvrière qui constitue la base sociale
des droits démocratiques. Les secteurs
les plus privilégiés de la classe
moyenne, liés au Parti socialiste et à
la pseudo-gauche, applaudissent les
mesures de Valls.
Dans un article
farouchement réactionnaire du magazine
L’Obs, lié au Parti socialiste,
Jean Daniel décrit l’islam comme une
question d’« ordre public » et déclare :
« Oui, nous sommes en guerre, et qui
plus est en guerre de religion ». Il
ajoute, « Nous avons été les
colonisateurs d’une grande partie des
pays islamiques. Nous leur avons montré
leur infériorité sur presque tous les
plans, sauf peut-être celui de la
prière. Lorsque nous les avons adoptés,
mais avant, en même temps, humiliés, et
qu’ils se sont sentis obligés de venir
chez nous, c’était en se courbant. Les
temps ont changé. »
De tels
commentaires, qui fournissent la
justification pour une guerre ethnique
et un régime militaire, expriment la
faillite de l’élite capitaliste en
Europe.
(Article original
paru le 22 janvier 2015)
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Publié le 24 janvier 2015 avec l'aimable
autorisation du WSWS
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