Syrie
Une diplomatie aberrante
qui met la vie des Français en danger.
Retour de Syrie
Alain Corvez
Mercredi 9 novembre 2016
Invité
par l’association Ahfad Ashtar –Les
descendants d’Ashtar, ou Astarté, la
déesse assyrienne de l’Amour et de la
Fécondité, présidée avec une inlassable
énergie par le Dr. Ayssar Midani -, à
venir donner une conférence à
l’université de Damas sur la
géopolitique régionale et mondiale de la
guerre en Syrie, j’ai passé quatre jours
intensément riches en rencontres et
échanges chaleureux avec des Syriens de
tous milieux et origines, heureux de
voir un Français ( J’étais accompagné du
journaliste et écrivain Richard
Labévière, grand connaisseur de l’Orient
compliqué, souvent ostracisé par les
médias officiels pour cette raison même)
exprimer des vues différentes du
gouvernement français sur la crise
tragique entretenue en Syrie par les
Occidentaux, c’est-à-dire les Etats-Unis
et ses alliés, ou plutôt ses affidés,
européens.
Le
fond du sujet est là : le terrorisme qui
dévaste la Syrie, contre lequel elle
résiste héroïquement avec l’aide de ses
alliés, est le même que celui qui menace
directement la France et ses voisins
européens, sans compter la Russie et la
pauvre Afrique qui n’en peut mais de
l’incohérence de notre politique. Il est
temps de prendre conscience de cette
réalité sanglante et d’y faire face en
changeant radicalement d’attitude
vis-à-vis des états qui luttent contre
lui en première ligne : Syrie, Iran,
Russie, Irak, aidés par le Hezbollah
libanais et en arrière-plan la Chine.
Cette dernière, qui a conclu récemment
des accords militaires avec Damas, sait
que plusieurs centaines de ses
ressortissants Ouïgours se battent avec
les terroristes islamiques, notamment
dans les quartiers est d’Alep.
Ces
états et le Hezbollah ne se battent pas
contre DAESH, Al Nosra- devenu Fatah al
Sham pour permettre aux organismes de
Washington de le considérer comme un
« modéré »-, ou les centaines d’autres
brigades islamistes aux échanges
osmotiques continus, simplement pour
respecter une alliance ancienne mais
pour défendre leurs propres intérêts
nationaux essentiels, sachant bien
qu’ils sont la cible suivante de ces
organisations terroristes dont tous les
experts savent aujourd’hui qu’elles sont
sous contrôle des services états-uniens
depuis l’époque de la guerre afghane
contre l’URSS.
Les EU
n’ont jamais eu peur de l’Europe qu’ils
ont sous leur emprise depuis la fin de
la guerre avec le plan Marshall. Mais
après avoir craint l’URSS, ils ont
aussitôt après son effondrement
considéré qu’ils avaient une mission
quasi divine de faire adopter par la
planète entière les codes et les normes
du mode de vie américain. Suivant les
conseils de Zbignew Breszinski exposés
dans son œuvre magistrale « Le grand
échiquier », il fallait empêcher une
quelconque puissance de dominer ou
contrôler l’Eurasie, région essentielle,
cœur du continent recelant les
ressources énergétiques indispensables
aux économies du monde.
Un
rapport secret des agents de la CIA à
leur Centrale datant de 2006, dévoilé
par Wikileaks depuis, explique au sujet
de la Syrie que le Président Bachar el
Assad a depuis son accession à la
présidence en 2000 engagé son pays dans
des réformes politiques, sociales,
économiques, financières, apporté
Internet et revu le statut de la presse,
tout en continuant la politique laïque
de son père, et connaît de ce fait une
adhésion de la majorité de la
population. Comme cette politique laïque
et arabe de défense des droits des
Palestiniens et des nombreux réfugiés
irakiens qu’il héberge est contraire aux
intérêts des Etats-Unis et d’Israël, les
agents recommandent de s’appuyer sur les
Frères Musulmans syriens qui sont, bien
que matés et étouffés depuis les années
80, la seule organisation politique
structurée susceptible de porter un jour
la révolte pour renverser le pouvoir. Il
faut donc être en contact de sympathie
avec eux et leur apporter toute l’aide
possible.
Ce
document est d’une clarté telle qu’on se
demande pourquoi si peu d’experts en ont
parlé, car enfin, il dévoile clairement
la stratégie étatsunienne pour
l’ensemble du monde arabe : porter l’Ikwan
au pouvoir partout par des révolutions
qu’ils savent présenter comme des
révolutions démocratiques qu’on
appellera « printemps arabes ». On verra
d’ailleurs en 2011 que les monarchies du
Golfe amies de Washington ne furent pas
touchées par cet élan populaire et
démocratique, en dehors de Bahreïn où la
révolte de la majorité chiite fut
écrasée dès le début dans le sang par
l’armée séoudienne.
Califat ottoman et
Union Européenne
Afin
qu’aucune force ne s’oppose à leur
contrôle des richesses énergétiques
immenses de la région, le plan
états-unien pour le Moyen-Orient est de
favoriser partout l’accession des Frères
Musulmans au pouvoir, et, à défaut, d’y
créer ou entretenir le chaos afin
qu’aucune force étatique ne leur soit
hostile. Ce plan rencontre en outre les
intérêts stratégiques d’Israël qui se
félicite de n’avoir aucun état arabe
solide contre lui. Il rencontre aussi
les ambitions turques de rétablir un
califat ottoman sur les ruines des
états-nations de la région : l’AKP,
parti des Frères Musulmans au pouvoir à
Ankara est l’outil d’Erdogan pour mettre
en œuvre cette politique islamiste à
vues impériales. Aujourd’hui l’armée
turque est présente sur les territoires
syrien et irakien sans autorisation des
gouvernements et profite de sa
complicité militaire avec les Etats-Unis
pour lutter contre l’irrédentisme kurde,
l’épine qui la torture en permanence.
Madame
Boutheina Chaabane, la Conseillère du
Président Assad me fit remarquer avec
une grande pertinence qu’il existait une
analogie frappante entre le plan de
califat ottoman d’Ankara et le plan de
l’Union Européenne, Bruxelles
s’évertuant à supprimer les
états-nations d’Europe pour établir un
ensemble supranational sur les ruines de
tous les particularismes nationaux et
les cultures qui les expriment. De fait,
si la mondialisation est une réalité
géographique, sociologique et politique
incontournable, le mondialisme est
l’idéologie soutenue par la finance
internationale qui, s’appuyant sur la
première puissance économique et
militaire mondiale, vise à détruire
toutes les entraves à son appétit
prédateur de conquête de biens -
frontières, états forts – pour laisser
la libre concurrence marchande sans
obstacles, ainsi qu’il est écrit dans
les traités fondateurs de l’UE,
thuriféraire de la concurrence libre et
non faussée, appuyée sur une Défense
absolument engerbée dans l’OTAN. Le
capital doit pouvoir placer ses avoirs
pour le plus grand rendement n’importe
où, y compris en Chine devenue une
économie capitaliste toutefois contrôlée
par une direction centralisée, sans
autre régulateur que les marchés, et
sans état fort qui s’y oppose, au
détriment en premier lieu de l’économie
états-unienne anémiée ; c’est ce que
dénonce Donald Trump qui veut forcer les
plus grands fonds de pension,
essentiellement basés à Wall Street et à
la City, à rapatrier leur avoirs pour
les injecter dans l’économie
intérieure : on comprend que tout le
système se déchaîne contre lui mais
aussi que les citoyens le soutiennent
contre vents et marées.
Dès la
fin de la dernière guerre mondiale, les
Etats-Unis ont su créer un glacis
européen à leur service face à la menace
soviétique en Europe. Après la chute de
l’URSS, en 1990-91, n’ayant plus aucun
rival dans le monde, ils ont considéré
que c’était leur rôle, presque de façon
messianique, d’apporter à l’ensemble de
la planète les bienfaits du mode de vie
américain. Mais depuis vingt-cinq ans la
Russie, sous la houlette de Vladimir
Poutine, est sortie des cendres où Boris
Eltsine l’avait enfouie, et s’affirme
désormais comme un pôle civilisationnel
ancré sur la foi orthodoxe, et une
puissance émergente, au même titre que
l’Inde, la Chine et l’Iran sur d’autres
valeurs spirituelles. Les BRICS prennent
corps un peu plus chaque jour et
s’organisent dans des projets
économiques, financiers, politiques et
stratégiques, notamment avec l’immense
projet de nouvelle route de la soie et
de ceinture maritime. La suprématie
totale états-unienne est finie, même si
elle est encore la première puissance
économique et militaire du monde, pour
combien de temps ?
Les
experts avisés de Washington l’ont
compris et deux courants s’affrontent
qui s’expriment dans la campagne
actuelle :
ceux
qui veulent adapter les EU au monde
nouveau en cessant les interminables
guerres, même celles menées avec les
soldats d’alliés dociles, et en
négociant de nouveaux équilibres avec le
monde,
et ceux qui refusent ce déclin pourtant
inexorablement réel, en cherchant à
prolonger une suprématie impossible,
créant au minimum le chaos pour empêcher
les adversaires supposés de s’imposer.
Le dollar, devenu monnaie de papier qui
finance leur dette abyssale mais non
plus leur économie, doit rester la
monnaie universelle et les velléités des
BRICS de s’en affranchir doivent être
combattues, y compris par des opérations
militaires apportant ce chaos.
Désinformation.
Pour
atteindre leurs objectifs les Etats-Unis
disposent de médias chargés de défendre
la stratégie états-unienne partout dans
le monde. Dépendant de la Maison
Blanche, le « Bureau of Public Diplomaty :
Bureau de diplomatie publique »,
appellation en forme de litote, dispose
d’un budget énorme pour créer les
scénarios qui présentent les Etats-Unis
comme les défenseurs du droit et des
libertés et justifient ses interventions
militaires dans ce but. Les agences de
presse relaient ces scénarios, ainsi que
de nombreuses ONG financées par de
généreux capitalistes et chargées, sous
couvert de sentiments humanitaires, de
dénigrer les opposants et d’encenser les
Etats-Unis. Des mensonges éhontés sont
diffusés, comme on l’a vu dans la
description médiatique de la bataille
d’Alep. Les médias décrivent la bataille
de Mossoul comme la reprise par Bagdad
et ses alliés d’une ville martyre
conquise par Daesh en 2014, tandis qu’à
Alep serait le siège et l’attaque
brutale de l’armée syrienne aidée par
ses alliés contre ses propres habitants
massacrés sous les bombes !
L’emploi d’armes chimiques par les
rebelles, aidés en cela par l’Arabie et
la Turquie, a été plusieurs fois imputé
à l’armée syrienne avec diffusion de
photos et vidéos de civils innocents
victimes de cette barbarie, mais pas de
combattants terroristes : quel gain
tactique aurait l’armée syrienne à tuer
des civils innocents ? Le mensonge a
pourtant été répété par les
gouvernements états-unien, britannique
et français, encore récemment à l’ONU.
La
Russie subit aussi cette désinformation
depuis le début de son intervention
militaire en septembre 2015 et encore
récemment dans les combats d’Alep. Mais
peu de journalistes ont repris
l’information de l’attaque aérienne des
avions états-uniens sur les positions de
l’armée syrienne à Deir el Zor le 17
octobre dernier, tuant plus de 80
soldats syriens et permettant à Daesh de
monter un assaut coordonné avec
l’attaque pour prendre la position
syrienne. « Une erreur » d’après le
commandement états-unien !
Les
médias contrôlés sont devenus l’arme de
destruction massive la plus efficace
pour déformer la réalité et manipuler
les opinions publiques. Toutes les
campagnes électorales aux Etats-Unis et
en Europe, notamment en France, en sont
l’illustration désolante.
Dans
cette ambiance tragique, la résistance
de la Syrie, aidée par ses alliés, à la
volonté occidentale de renverser le
pouvoir légal en soutenant les
terroristes islamistes par tous les
moyens restera un exemple historique.
C’est en effet en Syrie que le destin du
monde a changé : les renversements
successifs et rapides de Ben Ali en
Tunisie, Moubarak en Egypte, Kadhafi en
Libye n’ont pas été suivis du
renversement de Bachar el Assad, comme
je l’avais prédit, écrit et répété,
parce que les conditions
socio-politiques n’étaient pas
comparables. En avril 2013 j’avais
d’ailleurs intitulé une analyse :
« La crise
syrienne : révélateur tragique
de la naissance du nouvel ordre
mondial. »
Les
vrais journalistes ont d’ailleurs
commencé à dénoncer les mensonges
éhontés sur la Syrie, même si certains
ont du mal à s’émanciper de la
propagande qui présente Bachar el Assad
comme un tyran sanguinaire qui se
maintient au pouvoir en massacrant son
peuple avec l’aide d’une clique
minoritaire. Si des erreurs initiales
ont peut-être été commises à Deraa en
2011 dans la répression du soulèvement,
c’est parce que les premières victimes
de ces manifestations soi-disant
pacifiques ont été des membres des
forces de l’ordre et que le gouvernement
savait par qui ces mouvements étaient
manipulés. Comment aurait-il pu tenir
bientôt six ans contre ces hordes
fanatiques s’il ne disposait pas d’un
fort soutien populaire, dans la
population sunnite même qui ne veut pas
des barbares au pouvoir. Les experts le
savent d’ailleurs et c’est pourquoi ils
ne veulent pas d’une solution politique
et d’un vote libre. L’aura du Président,
qui montre dans cette lutte tragique des
qualités d’homme d’état et de courage,
est grandie par cette adversité
surmontée que les honnêtes gens lui
reconnaissent.
Résistance.
Il
existera une analogie future entre la
Résistance française à l’invasion nazie
et la résistance syrienne aux hordes
barbares venues de toutes les régions du
monde. Le peuple syrien que j’ai
rencontré ne veut pas dire de quelle
religion ou ethnie il est mais il se
groupe derrière son Président en
espérant le retour d’une situation
normale. Rappelons que l’armée est
composée majoritairement de soldats
sunnites.
Le
Mufti de la République, Mohammed-Badreddine
Hassoun, la plus haute autorité sunnite
du pays, m’explique la nécessité de
faire la différence entre les lois de
l’état, qui sont des lois de contrainte
pour permettre la vie harmonieuse en
société, et les lois de Dieu qui sont
des lois d’adhésion à l’Amour prôné par
le Créateur. Je lui réponds en lui
disant que Jésus est le fondateur de
l’idée de la séparation de l’église et
de l’état avec sa réplique aux
Pharisiens : « Rendez à César ce qui est
à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »
Il m’approuve et m’explique que la
réunion des hauts dignitaires religieux
de l’islam organisée cette année à
Grozny par Poutine, avec la présence des
responsables égyptiens d’Al Azhar, a été
un moment important dans la dénonciation
de la doctrine sectaire et terroriste du
wahhabisme. En définitive, mes multiples
rencontres avec les Syriens,
responsables ou simples citoyens m’ont
laissé l’impression d’un pays uni
derrière ses dirigeants pour faire face
à l’adversité. Les différences sociales,
religieuses ou ethniques, se sont même
effacées dans cette lutte commune.
J’ai
rencontré un des dix députés kurdes du
Parlement syrien, M. Omar Oussi, proche
d’Ocalan, qui m’a assuré que cette crise
a renforcé leur hostilité avec la
Turquie et que la paix revenue, les
Kurdes syriens seront des fidèles du
gouvernement de Damas qui les défend
contre les ambitions turques dans leur
région du Rojava.Ils se démarquent des
partis politiques kurdes irakiens qui ne
sont d’ailleurs pas d’accord entre eux.
C’est
pourquoi je ne crois pas à la
réalisation d’une Syrie fédérale après
cette crise tragique. Le sentiment
national est présent dans la majorité du
peuple.
Lutte contre le
terrorisme.
La
menace terroriste en Europe, et
particulièrement en France, est
désormais trop forte pour que nous ne
prenions pas immédiatement les mesures
pour la combattre efficacement.
Nous
devons nous rapprocher de ceux qui la
combattent en première ligne, et mettre
en demeure les états qui l’utilisent à
des fins stratégiques de cesser tout
soutien à cette plaie.
Nous
devons reprendre des relations
diplomatiques avec Damas, mesure
préalable indispensable à la reprise
d’échanges de renseignements avec les
services syriens, les mieux renseignés
du monde sur les réseaux terroristes et
coordonner nos actions avec les Russes
et les Iraniens qui ont aussi des
informations précises sur l’organisation
de ces nébuleuses criminelles.
Il est
probable que les réseaux de Daesh, en
voie de subir une défaite militaire sur
les terrains syrien et irakien, vont
demander à leurs candidats au suicide
dont ils ont une réserve inépuisable en
Europe et particulièrement en France, de
commettre des attentats encore plus
meurtriers que ceux que nous avons déjà
connus. Je le dis ici et maintenant avec
force : il serait criminel de ne pas
chercher à déjouer ces attentats en
s’informant auprès des services de
renseignement étrangers qui peuvent
permettre de déjouer une action
terroriste en préparation.
Dans
la campagne présidentielle qui commence
en France, si un nouvel attentat majeur
se produit, le peuple français demandera
des comptes aux politiques qui n’auront
pas su les protéger en raison de
l’obsession idéologique de vouloir
renverser le gouvernement légal de
Damas. La vie de nombreux Français est
en jeu.
Alain Corvez.
Novembre 2016
Le
dossier Syrie
Le dossier politique étrangère
Les dernières mises à jour
|