Chronique
Les « Sachants », les Frères et l’école
Ahmed Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Lundi 3 août 2015
Les voici qui trouvent du grain à
moudre, une tout petite mesure
pédagogique, pas grand-chose, tout juste
l’introduction des langues populaires à
l’école. Ce sont les Frères et ceux qui
leur ressemblent, ceux qui se sont
érigés en gardiens du temple, délégués
par on ne sait quel peuple, qui leur
aurait donné le mandat de s’occuper des
cerveaux de nos enfants. Ils hurlent à
qui veut les entendre que la ministre de
l’éducation nationale veut commettre un
sacrilège. Ils sont quelques partis,
divisés politiquement, mais avec
la religion comme fonds de commerce, qui
ont fait un communiqué commun où ils
considèrent que la réforme projetée est
« de nature à faire exploser
l’identité et l’unité nationale ».
Rien que ça ! Ils ont aussi dit, avec un
culot outrecuidant, que madame
Benghebrit « a franchi les lignes
rouges, en visant les fondements de la
société algérienne ». Il faut dire
qu’ils ont de quoi se permettre leur
intrusion, puisqu’ils ont été promus à
tous les niveaux de la gestion de la vie
sociale, surtout quand l’intelligence
risque de heurter les préceptes
religieux. Nous avons même vu les
médecins se contorsionner devant des
chouyoukhs, se faire courtisans, pour
faire rentrer dans leurs bonnes grâces
des actes relevant de la santé publique.
Pour ce qui est de l’école, les pouvoirs
successifs avaient pris les devants, en
termes de dogmatisme et de bigoterie,
jusqu’à ce qu’il soit établi qu’il
fallait ajuster, un tant soit peu, le
rapport du système éducatif aux réalités
socioculturelles du pays. D’autant que,
dans une actualité brûlante, l’on peut
évaluer de manière éclatante les fruits
de la volonté première de fondre les
Algériens dans le moule unitaire de
l’arabité, puisée dans ses sources
littérales. Une arabité qui a bien du
mal à séduire la société ou à lutter
contre le français, cette langue de l’ex
occupant qui continue d’être la langue
quasi officielle des institutions et de
la vie économique. En guise d’unité ce
sont les particularismes qui ont fleuri
et prospéré, au point d’offrir des
terreaux fertiles aux autonomistes, en
Kabylie et même au M’zab, qui ont la
tâche facile de se poser en défenseurs
légitimes d’une culture menacée. Les
Frères et autres marchands de religion
seraient bien en peine, sur le sujet,
d’assumer l’agression qui s’est exercée
contre l’âme algérienne et ses
composantes, contre l’imaginaire
collectif à l’épaisseur multiséculaire,
contre nos ancêtres, au nom de
« valeurs » et d’une « authenticité »
vaporeuse, qui ne figure nulle part, en
dehors des constructions idéologiques
des inquisiteurs. Ils viennent, par
contre, de démontrer que leurs cibles
fondamentales sont les langues du
peuple, ces langues vivantes que devrait
phagocyter « l’arabisation » et
l’invention d’autres « fondements de
la société algérienne », que ceux
qui ont prévalu depuis la nuit des
temps, en se nourrissant des apports de
toutes les civilisations qu’a connues le
pays. Un débat devrait être ouvert sur
la question, afin que soit mis fin à
cette équivoque qui fait que n’importe
quel quidam peut se proclamer
dépositaires des valeurs de la société.
Ahmed Halfaoui
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