Algérie : Youpi ! Sofiane Djilali a reçu
un prix !
Ahmed Bensaada
Sofiane
Djilali, président du parti " Jil Jadid",
recevant le "Leaders for
Democracy Award" à
Washington
Dimanche 27 octobre 2019
Il y a des matins comme ça. On se
réveille et la première information
qu’on lit sur notre téléphone nous
laisse perplexe. On écarquille les yeux
pour être certain de bien comprendre ce
qui est écrit. On se replonge sous
l’oreiller histoire de se prouver qu’on
est encore entre les bras de Morphée.
Mais non, on est bien éveillé. On tape
alors quelques mots-clés afin de
s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une fake-news
et on se rend compte que la même info
clonée est étalée, affichée et répandue
sur tous les médias nationaux: El Watan,
Liberté, Le Matin, Reporters,
L’Expression, TSA et j’en passe. Un vrai
buzz médiatique!
« Sofiane Djilali a reçu un prix
international! »
International?
Serait-ce un de ces prix Nobel dont la
saison bat son plein? Une reconnaissance
pour sa contribution à la paix dans le
monde? La sauvegarde de la planète ? Ou
peut-être la préservation des singes
magots algériens?
« Sofiane
Djilali récompensé par le prix des
“Leaders de la démocratie” à
Washington »
Tiens donc. Un prix
offert dans la capitale de la plus
grande puissance mondiale pour
promouvoir la démocratie dans un pays
arabe. Ça n’avait pas un air de déjà-vu?
« L’ONG POMED
(Projet pour la démocratie au
Moyen-Orient) a décerné, hier mercredi à
Washington, son prix international
"Leaders de la démocratie" à sept
personnalités, dont le président du
parti Jil Djadid, Sofiane Djilali[1]»
Tout devenait clair
dans ce texte d’El Watan. Un prix
décerné par POMED, « The Project on
Middle East Democracy »! Mais pourquoi
diable, fallait-il le crier sur tous les
toits? Le « lauréat » et les médias qui
le plébiscitent ne connaissent-ils rien
aux organismes américains spécialisés
dans l’exportation de la démocratie? Ce
n’est surtout pas avec un tel prix qu’il
faut se bomber le torse et se pavaner
sur les colonnes des infos matinales,
Bien au contraire, le « lauréat »
devrait raser les murs. Et voilà
pourquoi.
Contrairement à ce
qu’annonce en grande pompe El Watan, ce
journal promoteur de la printanisation
du monde arabe, POMED n’est pas une ONG
au sens propre du terme.
Tel que mentionné
sur son site Internet, POMED est « une
organisation à but non lucratif et non
partisane qui se consacre à examiner
comment de véritables démocraties
peuvent se développer au Moyen-Orient et
comment les États-Unis peuvent au mieux
soutenir ce processus » [2].
Comme on peut le
lire clairement dans sa déclaration de
mission, POMED est directement reliée à
la politique américaine.
En réalité, il est
facile de vérifier que le POMED
travaille de concert avec Freedom
House[3] et est financièrement soutenu
par l’Open Society Institute (OSI) du
milliardaire américain, George Soros[4].
En 2016, par exemple, POMED a reçu une
subvention de 550 000$ de la Fondation
Open Society[5]. POMED est également
financée par la National Endowment for
Democracy (NED)[6].
Voilà ce que
j’écrivais au sujet de cet organisme en
2015 [7] :
« Parmi les indices
révélateurs, notons que le bureau des
conseillers de POMED compte, parmi ses
membres, Lorne W. Craner, le président
de l’IRI (International Republican
Institute dont le sénateur McCain est
président du conseil d’administration)
et Kenneth Wollack, le président du NDI
(National Democratic Institute dont
l’ancienne secrétaire d’État américaine,
Madeleine K. Albright, est présidente du
conseil d’administration)[8] ».
Pour essayer de «
clarifier » le rôle de POMED dans le «
printemps » arabe, son directeur
exécutif, Stephen McInerney, a déclaré
au New York Times en plein « printemps »
arabe : « Nous ne les [les
cyberactivistes arabes] finançons pas
pour qu'ils commencent les
protestations, mais nous les avons aidés
à soutenir le développement de leurs
compétences et leur réseautage ». Et
d’ajouter : « Cette formation a joué un
rôle dans ce qui est finalement arrivé,
mais c’était leur révolution
[« printemps » arabe]. Nous ne l’avons
pas démarrée »[9].
M. McInerney est
une des rares personnes impliquées dans
l’« exportation » de la démocratie et à
en parler avec autant de clarté.
Pour celles et ceux
qui ne seraient pas familiers avec cette
myriade d’organisations, il faut
préciser que la NED, le NDI, l’IRI,
l’OSI et Freedom House font toutes
partie d’un arsenal américain
d’« exportation » de la démocratie à
travers le monde et en particulier dans
le monde arabe[10]. Financées par le
gouvernement américain (sauf OSI), leur
rôle proactif dans les révolutions
colorées et le « printemps » arabe n’est
plus à démontrer[11].
Pour la petite
histoire, POMED a organisé deux
évènements spécialement dédiés au hirak
algérien. Le premier à Washington, le 15
avril 2019, a eu comme modérateur nul
autre que Stephen McInerney[12], le
directeur exécutif de POMED. Le second a
eu lieu à Tunis le 19 juin 2019 et avait
pour titre : « L’Algérie et le Soudan :
nouvelles vagues de changements
démocratiques ou rêves anéantis ? »[13].
Alors que l’un des intervenants invités,
Ezzaddean Elsafi, se présentait comme
chargé de programme à l’OSI, le
modérateur était Amine Ghali, une
vieille connaissance du « printemps »
arabe. En effet, M. Ghali est un
activiste tunisien qui, depuis 2008,
occupe le poste de directeur de
programmes de l’organisme « Al Kawakibi
Democracy Transition Center » (Centre Al
Kawakibi pour les transitions
démocratiques — KADEM). Notons, au
passage, que KADEM est un centre financé
par le « Middle East Partnership
Initiative » (MEPI), un programme qui
dépend directement du Département d’État
américain.
Auparavant, Amine
Ghali avait travaillé pour différentes
organisations dont Freedom House[14].
En définitive, il
s’avère que POMED n’est qu’une autre
organisation américaine d’exportation de
la démocratie, spécialement dédiée à la
région MENA (Moyen-Orient et Afrique du
Nord). C’est pour cette raison, par
exemple, que POMED était présent à la
Neuvième Assemblée mondiale du Mouvement
mondial pour la démocratie (World
Movement for Democracy, WMD),
grand-messe du « prosélytisme »
démocratique « made in USA » qui s’est
déroulée en 2018 à Dakar (Sénégal).
Ainsi, parmi les participants à cet
évènement, on pouvait compter Carl
Gershman (président de la NED), Kenneth
Wollack (président du NDI), Scott
Mastic, (vice-président pour les
programmes de l’IRI), Andrew Wilson
(directeur exécutif du Center for
International Private Enterprise -
CIPE), Shawna Bader-Blau (directrice
exécutive du Solidarity Center) et, bien
sûr, Stephen McInerney, directeur
exécutif de POMED[15]. Rappelons que le
NDI, l’IRI, le CIPE et le Solidarity
Center sont les quatre organismes
satellites de la NED[16].
Dans son allocution
de remise de prix « Leaders for
Democracy Award », Stephen McInerney
mentionna le fait que Sofiane Djilali
était un des fondateurs de « Mouwatana »
et mit l’accent sur le rôle de ce
mouvement dans le hirak[17]. Ce qui veut
dire que POMED et son directeur exécutif
doivent suivre de près ce qui se passe
actuellement en Algérie. Mais il ne sont
pas les seuls.
Dans un article
datant du 22 mars 2019, c’est-à-dire au
tout début du hirak, Slobodan Djinovic
et Srdja Popovic se sont aussi
intéressés aux manifestations
algériennes et n’ont cité qu’un seul
mouvement[18]. Devinez lequel ?
Mouwatana !
Ah, c’est vrai ! Je
ne vous ai pas présenté Slobodan
Djinovic et Srdja Popovic. Il s’agit des
deux célèbres Serbes, fondateurs du
Center for Applied Non Violent Action
and Strategies (CANVAS), l’école de
formation des révolutionnaires en herbe
du monde entier. CANVAS est financé,
entre autres, par Freedom House[19] et
l’International Republican Institute
(IRI)[20].
Slobodan Djinovic
et Srdja Popovic
Avant la création
de CANVAS, Slobodan Djinovic et Srdja
Popovic faisaient partie des leaders du
mouvement Otpor qui a été à l’origine de
la chute du président Slododan
Milosevic. C’est ce succès
« révolutionnaire » qui amorça le cycle
des révolutions colorées et, par la
suite, celui du « printemps » arabe[21].
Connaissant tout
cela, il serait intéressant de savoir ce
que M. Sofiane Djilali fera finalement
de son trophée : aura-t-il le courage de
l’exhiber pompeusement lors des
prochaines marches du vendredi ou
préférera-t-il le balancer dans les
oubliettes de l’histoire?
[14] Bertelsmann Stiftung,
« The Arab Spring: One Year After,
Transformation Dynamics, Prospects for
Democratization and the Future of Arab-European
Cooperation », Europe in Dialogue 2012, http://aei.pitt.edu/74000/1/Arab_Spring_One_Year_After.pdf
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